PORT LOUIS, (IPS) – « Pourquoi devrions-nous nous livrer à l’invasion des produits européens fortement subventionnés? Quel sera l’impact des sorties de capitaux du fait de services stratégiques tels que les télécommunications, le port, l’énergie et l’eau en cours de libéralisation et de privatisation dans l’intérêt des entreprises européennes? »
Telles sont les questions auxquelles ‘Rezistans ek Alternativ’, un mouvement politique mauricien, veut des réponses après que le gouvernement de son pays, ainsi que Madagascar, les Seychelles et le Zimbabwe, ont signé un accord provisoire de partenariat économique (APE) avec la Communauté européenne (CE) à la fin du mois dernier.
Ils ont demandé d’organiser une session extraordinaire du parlement pour débattre de l’accord.
« Ceux qui profiteront considérablement de cet accord ne sont pas ceux qui assumeront ses conséquences », ont déclaré à IPS, Roody Muneean et Ashok Subron, membres du mouvement.
Ils ont estimé que les technocrates et les politiciens n’ont pas appris les leçons du passé, se référant aux accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui ont été signés « à la hâte » avec des conséquences néfastes pour les populations de beaucoup de pays en développement.
Ils ont en outre déploré l’exclusion du mouvement syndical, des petits producteurs des industries, des pêcheurs, des organisations de consommateurs ainsi que d’autres mouvements citoyens – du processus de négociation.
« L’accès au marché accordé aux pays de l’ESA (Afrique orientale et australe) n’est rien de plus que le verrouillage approfondi des économies africaines dans la stratégie dirigée par les exportations néo-coloniales, fondée sur une main-d’œuvre bon marché et la dégradation des conditions de travail pour notre peuple », selon Rezistans ek Alternativ.
Muneean et Subron voient l’APE non pas comme un outil de développement pour l’Afrique, mais comme un mécanisme générateur de profits pour les entreprises de la CE et pour certains intérêts locaux.
Mais, ceux qui ont signé l’accord l’ont présenté sous un angle différent. Le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international de l’Ile Maurice, Arvin Boolell, l’un des principaux promoteurs de l’accord, a déclaré à IPS que cet Etat insulaire veut utiliser l’accord commercial pour accroître le commerce, promouvoir la diversification, attirer les investissements de la CE et encourager le transfert de technologie.
« Nous devons constamment faire la guerre contre la pauvreté. Améliorer les vies de nos populations élargit le cercle des opportunités pour tout le monde », a-t-il affirmé.
Sindiso Ngwenya, secrétaire général du Marché commun d’Afrique orientale et australe (COMESA), a justifié l’APE en indiquant que ce dernier représente collectivement 27 pays.
« Ces pays sont non seulement les partenaires commerciaux les plus importants pour la région du COMESA, représentant entre 20 et 40 pour cent du chiffre d’affaires commercial, mais ils sont aussi des partenaires très importants de la région, fournissant un financement essentiel pour le développement sous la forme de prêts et de subventions à travers divers canaux », a-t-il souligné.
Le ministre de l’Industrie et du Commerce de la Zambie, Felix Mutati, a insisté qu’il ne devrait y avoir « aucun débat sur les mots, s’il vous plaît. Le défi pour les producteurs de sucre à Maurice, les producteurs de légumes au Zimbabwe et les producteurs de miel en Zambie, qui sont en train d’être piqués par les abeilles mais qui continuent de récolter du miel – qui ont tous besoin de mettre de la nourriture sur la table – est de savoir comment ils peuvent être connectés à l’APE.
« Si nous pouvons apporter un certain soulagement à ces populations, sur le terrain, dont les vies ne sont que la simple survie, l’APE aurait accompli quelque chose », a-t-il observé. Toutefois, son pays n’a pas signé l’accord en dépit du fait qu’il dirige le groupe des 16 pays africains de l’ESA.
Interrogé par IPS, Mutati a répondu: « Dans la tradition africaine, le père ne mange pas le premier ». Plus tard, il a ajouté que la Zambie signera tout l’APE prévu pour octobre 2009. Le ministre zambien est prêt pour faire du démarchage auprès des autres Etats de l’ESA – qui sont restés en dehors du processus – pour qu’ils entrent sous la tente.
Il a appelé les entreprises de la CE à venir en Afrique puisque le continent a « abandonné » la mauvaise gouvernance, y compris l’instabilité dans la gestion économique et dans les institutions caractérisées par le dysfonctionnement.
L’APE remplace tous les accords commerciaux précédemment conclus entre la CE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et était prétendument destiné à appuyer leur développement, à renforcer l’intégration régionale, et assurer une protection spéciale et différentielle des marchés vulnérables des pays ACP.
Conformément à cet accord, les États signataires exportent tous les produits, sauf le sucre et le riz, hors taxe et sans quota vers la CE. Pour le textile et les vêtements, la CE offre actuellement la seule règle d’origine de transformation, autorisant ainsi les entreprises des États signataires de l’ESA à rechercher des tissus à partir de n’importe où dans le monde, à les transformer et les exporter hors taxe et sans quota vers ses marchés.
Ce nouvel accord s’écarte de la relation commerciale traditionnelle, non préférentielle, entre le groupe des pays ACP, composé de 77 pays en développement, et la CE, puisqu’il est fondé sur la réciprocité. Ainsi, les États de l’ESA libéraliseront progressivement 80 pour cent des importations en provenance de la CE sur une période de 15 ans, avec une période préparatoire initiale de cinq ans.
Après cette période, 20 pour cent du commerce, principalement des produits agricoles et des produits finis que les pays ont jugés trop sensibles, demeureront totalement exclus de toute libéralisation.
Sunil Boodhoo, directeur adjoint de l’organisation non gouvernementale, l’Unité de politique commerciale à Maurice, a déclaré à la presse qu’il n’y a « pas de contrainte » à signer l’APE. « Tous les pays sont libres de signer ou non, mais l’on doit mesurer les conséquences pour une île comme Maurice qui n’est pas un pays moins avancé (PMA) et ne bénéficie pas de l’initiative commerciale « Tout sauf les armes (EBA) (pour les PMA) », a-t-il expliqué.
Il a par ailleurs souligné que, si demain, l’une des industries locales est affectée de manière néfaste par des importations en provenance des pays de la CE, l’île Maurice pourrait toujours mettre en place des garanties. « C’est le cas pour tout pays africain », a-t-il indiqué.
Les APE sont en train d’être signés avec la CE dans sept régions du monde. Jusqu’à présent, 26 des 36 pays ont déjà signé cet accord commercial qui changera la relation commerciale, économique et d’investissement entre l’Union européenne et les pays ACP. (FIN/2009)
Nasseem Ackbarally
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