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La chronique d’Alexandre Adler.

L’infâme libellé de Péan contre Bernard Kouchner a au moins le mérite de braquer le projecteur sur une ténébreuse affaire, le génocide des Tutsis du Rwanda, en 1995, et les responsabilités qui ont pu être, à ce moment-là, celles de la France. Le sujet, apparemment simple, tant les souffrances endurées par les Tutsis ne peuvent que provoquer notre solidarité humaine, est, en réalité, plus complexe qu’il n’y paraît.

On sait que le déclenchement de l’horreur eut pour point de départ immédiat la destruction d’un avion dans lequel avaient pris place le président hutu du Rwanda, Habyarimana, et son homologue Ntaryamira, également hutu, pour la première fois dans l’histoire de son pays, du Burundi. Artificiellement divisés en deux petits États indépendants par le colonisateur belge en 1960, le Rwanda et le Burundi, qui ne font qu’un sur le plan humain et culturel, sont d’anciens districts de l’Afrique orientale allemande, placés sous le mandat de la Belgique, en 1918. Cette dernière, très contestée dans sa gestion de l’immense Congo voisin, se fit un point d’honneur de faire de son nouveau mandat une colonie modèle. Là encore, contrairement aux stéréotypes politiquement corrects, il est faux de dire que l’opposition des Hutus, très majoritaires (80 % environ) et des Tutsis, élite de pasteurs (entre 15 et 20 %), n’est pas une invention de la colonisation.

Si les Tutsis parlent la même langue bantoue, il ne fait pas de doute, en revanche, que ce soient des migrants venus du nord avec leurs troupeaux et dotés d’aptitudes guerrières peu communes, qui leur permirent de soumettre et d’asservir, mais sans excès graves, la majorité des agriculteurs bantous qu’ils trouvèrent sur leur route. Le statut aristocratique et le type physique très reconnaissables qui rappellent les peuples de la Corne de l’Afrique, firent instantanément grande impression sur les Belges qui, dans le racisme naïf de la colonisation d’alors, jouèrent systématiquement la promotion des élites tutsies « à moitié blanche ».

Dans les années 1950, revirement total : parce que mieux éduqués, les Tutsis deviennent plus rebelles et porteurs d’une contestation de gauche qui rappelle, quelque peu, celle de Lumumba, dans le Congo voisin. Il n’en faudra pas plus pour que l’administration belge et surtout les pères blancs flamands qui tiennent tout le système éducatif, renversent leurs préférences sur les Hutus qu’ils voient comme les Flamands de la métropole, fidèles à leur baptême, opprimés et méprisés par une minorité francophone, laïque, tendant vers la gauche. À force d’entendre le récit de la bataille des « Éperons d’or », où le peuple flamand fit la peau au XIIIe siècle à la chevalerie française, beaucoup de Hutus fantasmèrent d’expulser et de massacrer les Tutsis. Ils y furent encouragés, en 1960, par les services secrets belges qui craignaient que naquît, sur les hauts plateaux, une petite république socialiste tutsie alliée à Lumumba.

Mais après un bain de sang déjà atroce, il fallut trouver une solution de compromis : au sud, le Burundi demeura administré par sa minorité tutsie, dotée d’une forte armée et alliée aux pays anglophones de l’Afrique de l’Est. Au Rwanda, au contraire, on organisa le triomphe militaire des Hutus et la résistance tutsie se vit, en grande partie, expulsée au-delà de la frontière en Ouganda, où nombre de ses enfants, dont Paul Kagamé, se firent une place de choix dans l’armée de leur nouveau pays. Le Rwanda, bastion hutu, était, lui, tourné vers Mobutu, et à mesure que la Belgique s’effaçait, vers la France de Jacques Foccart et du SDECE. Alors que le pouvoir de Mobutu commençait à vaciller sérieusement, les deux petits États montagneux commencèrent à être en proie à une fièvre identitaire terrible.

Il est faux de dire que la France, par sa diplomatie, son armée ou ses services secrets, aient mis de l’huile sur le feu : preuve en est, la conférence d’Arusha, en Tanzanie où Hubert Védrine, envoyé de François Mitterrand, avait recherché un compromis miracle avec les voisins les plus calmes de la zone : Kenya et surtout Tanzanie. Au terme du compromis, les Hutus gagnaient un président et la règle de la majorité au Burundi, et au contraire, au Rwanda, les Forces armées tutsies deviendraient, à terme, partie intégrante de l’État, tout en reconnaissant le pouvoir majoritaire des Hutus. C’est ce compromis, sans doute bancal, qui vole en éclats avec l’avion des deux présidents. Ici, Pierre Péan, et avant lui, les services secrets français ou encore Hubert Védrine ou Bernard Debré, ont parfaitement raison de dire que jamais des Hutus, aussi fanatisés que l’on voudra, aient pu froidement liquider leur direction. Les enquêtes menées par la suite tendent à montrer que la roquette fatale fut tirée par des Tutsis, soit proches de Paul Kagamé, soit intégrés en raison de la sophistication de l’armée utilisée, dans l’armée ougandaise.

Mais contrairement aux allégations d’un Péan, cette responsabilité tutsie n’explique pas le génocide. Il y avait, bien sûr, un plan d’action pour liquider la minorité tutsie au Rwanda que la diplomatie de la France avait tout juste interrompue et qui s’est déroulé avec une violence et une efficacité diaboliques sous les yeux médusés des Français qui n’avaient ni compris ni vu venir la catastrophe. On comprend, dès lors, que si les responsabilités du drame sont complexes, l’horreur et l’ampleur du génocide tutsi commandent, à ce jour, à la France, de réparer ce qui est réparable, au bénéfice tout d’abord des victimes. C’est ce que Bernard Kouchner a compris depuis fort longtemps, c’est l’une des origines du véritable contrat qui a été passé pour l’abattre.

 Alexandre Adler
06/02/2009

 

http://www.lefigaro.fr/debats/2009/02/07/01005-20090207ARTFIG00211-rwanda-ce-qu-a-compris-bernard-kouchner-.php

Posté par rwandaises.com

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