Le deuxième et dernier jour de procès opposant SOS-racisme à Pierre Péan a donné lieu à des débats plus denses, plus profonds et, parfois aussi, plus vifs.

«Dire qu’une communauté a la culture du mensonge, c’est dire qu’aucun Tutsi ne peut échapper à son destin. C’est grave, mais c’est en plus dangereux. » Au deuxième et dernier jour du procès en appel qui oppose SOS-racisme à l’écrivain-enquêteur, Pierre Péan, et à l’ancien directeur des éditions Fayard, Claude Durand, Christiane Taubira se tient à la barre et reprend exactement là où en étaient restés les débats. La députée PRG intervient comme témoin en faveur de l’organisation antiraciste et donne sa vision des quatre pages parues dans le livre « Noires fureurs, blancs menteurs » (1). Quatre pages pour lesquelles Pierre Péan est poursuivi pour « diffamation raciale » et « provocation à la discrimination ». « Ces quatre pages, explique Christiane Taubira, ressemblent à de la propagande et nourrissent l’arrogance de ceux qui, soit nient le génocide, soit le justifient » Et pour l’élue de Guyane de conclure : « Les mots ont incité à tuer au Rwanda, les mots ont excusés, les mots ont absous ».

« Pour survivre, il faut dissimuler »

Pour lui « répondre », un autre témoin : Hervé Deguine, journaliste, membre de Reporters sans frontières et auteur d’enquêtes au Rwanda pour cette organisation. Le « poids des mots », il connaît. Et il sait aussi que parfois ils peuvent être difficiles à trouver. Surtout pour raconter la réalité rwandaise : « C’est de loin le pays le plus compliqué à comprendre », confie-t-il avant de poursuivre, « C’est un pays qui n’a jamais été libre, qui n’a jamais été démocratique. Pour survivre, il faut dissimuler ». La « dissimulation », la « diffamation », la « désinformation » ont été des « pratiques » qui, selon lui, ont eu cours sous Habyarimana (le président hutu assassiné le 6 avril 1994, ndlr) et ont continué sous Kagame pour être instaurées en « système ».

 

La thèse développée par Pierre Péan dans « Noires fureurs, blancs menteurs » est que Paul Kagame se trouve derrière l’attentat qui a coûté la vie à son prédécesseur. Il justifie d’ailleurs les quatre pages sur « la culture du mensonge » des Tutsis et, « par imprégnation », des Hutus, pour expliquer ce qu’il juge être un système de désinformation instauré par Kagame. Un système visant à camoufler sa participation à cet assassinat et passer sous silence les « massacres de masse » qui ont été perpétrés à l’égard des Hutus.

« Des vieux clichés racistes »

Du côté des avocats de la partie civile, on préfère y voir des « clichés » qui « s’inspirent des plus vieux clichés racistes ». Me Maingain, un des avocats de Dominique Sopo, le président de SOS-Racisme, déclare, lors de sa plaidoirie, « avoir entendu les mêmes mots, les mêmes expressions en d’autres temps ». Me Lev Forster, le second conseil de l’association antiraciste, lui, pousse le raisonnement encore plus loin lorsqu’il explique que pour voir en Dominique Sopo « une courroie de transmission » du pouvoir rwandais, « il faut appartenir à tout un courant de pensée… » Une réponse à Pierre Péan qui, mercredi, lors de la première journée devant la chambre 2-7 de la cour d’appel de Paris, a réaffirmé que SOS-racisme agissait pour le compte de l’association Ibuka, une organisation proche de Kagame.

 

Une thèse que la défense de Péan et Durand a préféré laisser de côté pour sa plaidoirie, pour se concentrer sur les quatre fameuses pages incriminées. L’avocate de l’éditeur est la première à se jeter à l’eau. Pour elle, « ce procès est tordu » : « La “culture du mensonge”, ce n’est pas “Les Protocoles des Sages de Sion”. Tout le monde en parle, y compris des gens de RSF. Pas seulement des auteurs de l’époque coloniale, mais aussi des contemporains. » Me Bourg, l’avocate de Pierre Péan, elle, en dégaine justement un d’auteur contemporain : Colette Braeckman. Connue pour ne pas partager la thèse de Péan sur le génocide rwandais, elle évoque « une très ancienne tradition du mensonge » dans « Le Rwanda, histoire d’un génocide », un ouvrage paru… chez Fayard. 

« Je ne regrette pas d’avoir écrit… »

Du coup, lorsque Claude Durand est appelé à s’exprimer une dernière fois, il se montre plus combatif que jamais, qualifie d’« ignobles » les propos qui ont été tenus à son égard et se tourne vers Dominique Sopo pour lui dire « dans les yeux » qu’il ne lui « [reconnaît] aucune légitimité à [le] traiter de raciste ». Pierre Péan, lui, s’interroge à voix haute : « Si j’avais anticipé le “coût” médiatique, le “coût” juridique, je ne suis pas certain que j’aurais eu le courage [d’écrire ces quatre pages]. Mais pour la manifestation de la vérité… » La phrase reste en suspens. Suivent quelques digressions. Et Pierre Péan finit par lâcher : « Malgré tous les “coups”, je ne regrette pas d’avoir écrit… »

 

L’avocat général, qui n’a retenu que la « provocation à la discrimination raciale »a requis une amende dont le montant est laissé au soin des magistrats et la publication de la condamnation. Si condamnation, il y a. Réponse : le 18 novembre prochain…

 

 

(1) « Noires fureurs, blancs menteurs : Rwanda (1990-1994) ». Editions Mille et une nuits.

 

 

http://www.marianne2.fr/SOS-racisme-contre-Pean-Taubira-face-a-RSF_a182068.html?com

Posté par rwandaises.com