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Belle idée d’avoir évoqué le génocide des Tutsi du Rwanda sans le montrer, mais en le découvrant dans l’esprit terrorisé d’une fugitive, constamment en danger de mort.
Date de sortie : 2009-10-28 | Durée : 1 h 34
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Tout sur LE JOUR OU DIEU EST PARTI EN VOYAGE – La Critique
La Shoah a inspiré de grandes œuvres cinématographiques (Le pianiste, Shoah), le génocide Khmer aussi (L’important c’est de rester vivant, S21 la machine Khmère Rouge). Voici le premier grand film de fiction sur le génocide rwandais. Une épure radicale et naturaliste, voisine du cinéma des frères Dardenne.
Eric Vernay
Pour son premier film, le belge Philippe Van Leeuw semble avoir fait voeu d’austérité et de simplicité. L’ancien directeur de la photo de Bruno Dumont (La vie de jésus, 1996) et de Laurent Achard (Le dernier des fous, 2005) sait que l’exhibition de la violence ne suffit pas à la dénoncer. Mais figurer le drame rwandais sans verser dans le gore ou le stylisme ressemble à une gageure. Adepte du hors-champ, Van Leeuw refuse tout sensationnalisme, et place son film en opposition radicale avec le néo-cool tiers-mondiste (Slumdog Millionaire, Sin Nombre, Johnny Mad Dog, etc.), en vogue actuellement.
LE JOUR OU DIEU EST PARTI EN VOYAGE En avril 1994, le massacre des Tutsis par la tribu Hutu ravage le Rwanda. Les occidentaux quittent alors le pays. Jacqueline, la nourrice tutsie d’une famille belge se cache dans le plafond de la maison, pendant que
ses employeurs blancs fuient le bain de sang. Mais Jacqueline n’y tient plus,
elle doit sortir pour retrouver ses enfants, restés à l’extérieur…Quand elle l
es retrouve, ils sont déjà morts.
Le jour où Dieu est parti en voyage raconte le génocide à l’échelle d’une simple victime.
Une femme seule, Jacqueline, traquée par les Tutsis dans les bois du Rwanda.
En braquant son objectif sur ce corps fuyant et solitaire, Le jour où Dieu est parti en voyage
exprime la violence et la barbarie faite à tout un peuple. Les machettes,
les têtes des Tutsis découpées à la chaîne par les Hutus, les litres de sang
versés en quelques mois de l’an 1994, dans l’indifférence mondiale : de tout
cela on ne verra rien, ou presque. Ce qui intéresse Van Leeuw, c’est la souffrance
individuelle, le cheminement d’un corps comme métaphore d’un massacre
outrepassant l’entendement. En ce sens, le martyre subi par Jacqueline évoque
les chemins de croix réservés aux héroïnes des frères Dardenne.
Comment survivre à la barbarie ? Comment garder un semblant de foi dans ces conditions inouïes ? D’abord cachée dans un toit de maison alors que ses enfants
se font trucider, Jacqueline (Ruth Nirere) erre ensuite dans une végétation luxuriante,
seule jusqu’à sa rencontre avec un homme (Afazi Dewaele), gravement blessé à la
hanche par les Hutus. Elle le soigne comme elle peut, avec les moyens du bord,
usant de son corps comme d’un outil de fortune : ses joues deviennent réservoir
d’eau, son urine un désinfectant de fortune. En longs plans fixes, Van Leeuw
détaille ces gestes mécaniques, résidus d’humanité dénués de tendresse.
L’homme quant à lui, se fait naturellement à son sort de bête traquée.
Régénéré par les soins de Jacqueline, il s’adapte, taille une lance dans le bois,
part à la chasse, construit une esquisse de foyer, et ne tarde pas à prendre
Jacqueline pour sa femme. Or Jacqueline, moins terrienne, est en révolte
intérieure. Incapable d’intégrer cette vie de terreur, cette relégation de la
civilisation au statut d’animal, cette absurdité qui a fait qu’un jour, un peuple
s’est mis à massacrer son frère jumeau.
mais aussi au sacré. Idée reprise dans un gros plan superbe sur le visage
de Jacqueline, qui remonte sur son visage le médaillon de son collier (un crucifix),
comme si Jésus avait la tête à l’envers. Seule relique la rattachant, avec sa montre,
au monde humain, ce collier prend une valeur symbolique forte. Désespérée,Jacqueline
ira jusqu’à l’arracher, dans l’indifférence poignante d’une nature imperturbable :
les bruits de la forêt continuent leur brouhaha perpétuel, les sables mouvants
avalent indifféremment bourreaux ou victimes. A sa manière sèche et sans maniérisme,
Van Leeuw ne cherche jamais le lyrisme inquiet des films de forêts de Naomi Kawase
(La forêt de Mogari) et John Boorman (La forêt d’émeraude), ni le panthéisme de
Terrence Malick. A travers son beau personnage féminin, le cinéaste belge filme
une humanité au bord du gouffre, prête à basculer, faute de choix, dans la violence
(auto-mutilation, pulsion de meurtre), la mort (tentation du suicide) ou la folie
(faire l’autruche ou simplement crier). En cage.
Cette belle épure naturaliste, reposant sur le témoignage de l’horreur en creux, révèle le talent brut d’un cinéaste à suivre.
Eric Vernay
http://www.dvdrama.com/news-35893-cine-le-jour-ou-dieu-est-parti-en-voyage.php
Posté par rwandaises.com
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