Recherché par Interpol, Eugène Rwamucyo aurait bénéficié de l’appui de Claude Guéant pour régulariser sa présence en France.

Portrait d'Eugène Rwamucyo (Interpol).

Un médecin rwandais soupçonné de crimes contre l’humanité a t-il bénéficié de l’appui de Claude Guéant pour obtenir une carte de séjour illégale ? Ironie de l’histoire, c’est dans le Nord, à quelques kilomètres de la « jungle » de Calais que cette étrange affaire a été révélée.

Recherché par Interpol et soupçonné d’avoir participé au génocide de 1994 au Rwanda, son pays d’origine, Eugène Rwamucyo travaillait sans être inquiété à l’hôpital de Maubeuge depuis mars 2008. Il aurait bénéficié d’appuis en haut lieu pour régulariser sa présence en France.

Jusqu’au cabinet de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur

C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre Thierry Lazaro, député UMP du Nord, qui a admis avoir intercédé en faveur de ce réfugié un peu particulier. La journaliste de Nord-Eclair qui a révélé l’étendue de ses faveurs en haut lieu explique :

« Lazaro m’a dit avoir été jusqu’au directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur après 2005, pour obtenir des papiers pour Eugène Rwamucyo. »

Or à cette époque, c’est bien Claude Guéant qui exerçait les fonctions de directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy. Contacté par Rue89, le bureau de Thierry Lazaro renvoie désormais sur la préfecture du Nord, « seule habilitée à délivrer des cartes de séjour ». Claude Guéant n’a pas non plus répondu à nos sollicitations.

Même silence du côté d’Eugène Rwamucyo qui, après avoir dénoncé une cabale contre lui, refuse désormais de parler à la presse.

Il a été démasqué il y a une dizaine de jours, par une infirmière, vexée des remarques du médecin sur son embonpoint. En tapant le nom de Rwamucyo sur Internet, elle découvre, stupéfaite, le lourd passé du médecin rwandais, comme le révèlera un article paru dans Le Monde daté du 16 octobre, qui a mis le feu aux poudres.

Aujourd’hui âgé de 50 ans, l’homme n’est pourtant pas un inconnu : une instruction judiciaire a été ouverte contre lui en février 2008 concernant son rôle lors du génocide rwandais de 1994 qui fit plus de 800 000 morts, en seulement trois mois, dans ce petit pays de l’Afrique des Grands Lac.

Un planificateur des massacres connu des historiens

Son nom est également plusieurs fois cité dans des ouvrages de référence peu susceptibles d’être accusés de partialité :

L’historien André Guichaoua, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs rappelle ainsi dans son livre « Rwanda 1994, les politiques du génocide à Butare » (Karthla 2005) que ce médecin installé à Butare, ville au sud du Rwanda, coordonnait le Cercle des républicains universitaires, cercle d’intellectuels « regroupant les extrémistes hutus les plus actifs ». Il aurait également fait « évacuer, c’est-à-dire massacrer pour la plupart » les Tutsis qui s’étaient réfugiés dans l’enceinte de l’hôpital universitaire de la ville, dans l’espoir d’échapper aux tueries.

Une autre enquête de référence (« Aucun témoin ne doit survivre », Alison Des Forges et Human Rights Watch/ Fidh, Karthala, 1999) l’accuse d’avoir participé à plusieurs réunions « de planification du génocide » et d’avoir incité ses compatriotes « à continuer le travail », c’est-à-dire les massacres, lors d’une réunion en présence de Jean Kambanda, Premier ministre du gouvernement intérimaire qui orchestra le génocide de 1994.

Après la chute du régime génocidaire, Rwamucyo se retrouve en Côte d’Ivoire où le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) lui refuse une première fois le statut de réfugié en raison des soupçons qui pèsent contre lui.

Même rejet en 2002, après son arrivée en France où il se retrouve débouté de sa demande par l’Ofpra puis la Commission des recours.

Parmi les raisons invoquées par cette instance pour lui refuser l’asile : « sa participation en 1994 à plusieurs réunions de planification du génocide rwandais » est clairement évoquée.

Malgré ces faits accablants, Eugène Rwamucyo a bénéficié d’une totale impunité depuis son arrivée en France. Bien plus il se révèle très actif, participant à différents colloques ou conférences qui dénoncent l’actuel régime de Kigali. Tout en militant pour une relecture du génocide rwandais.

On a pu ainsi le voir aux côtés de l’écrivain Pierre Péan lors d’une réunion qui dénonce les « mensonges » de l’Histoire et affirme que « les Tutsis tuaient aussi », selon les termes de Pierre Péan.

Le journaliste a été attaqué en justice pour incitation à la haine raciale suite à la publication de « Noires fureurs, blancs menteurs » (2005) dont certaines pages évoquaient la « culture du mensonge chez les Tutsis ». Après un premier verdict favorable à Pierre Péan et aux éditions Fayard, l’affaire est désormais en appel (décision le 18 novembre prochain).

Il demandait l’asile territorial, on lui a promis plus

En mai 2006, Eugène Rwamucyo aura même droit à un grand portrait dans la presse régionale où il fait figure d » « immigré modèle », dans lequel l’ancien médecin rwandais, interviewé au sujet des nouvelles lois sur l’immigration choisie (Nord-Eclair du 21/22 mai 2006), s’exclame :

« Quand j’écoute les grands principes de la loi, je me dis que la carte “talents et compétences”, c’est pour moi ! »

Déjà à l’époque Rwamucyo ne cachait pas les soutiens dont il avait bénéficié : « Il demandait l’asile territorial, on lui a promis plus : une carte de séjour libellée à son nom », soulignait l’article du quotidien régional.

Alors pourquoi a t-il fallu attendre qu’une infirmière découvre par hasard en octobre 2009, le passé d’Eugène Rwamucyo pour que le scandale éclate et que le directeur de l’hôpital de Maubeuge procède samedi dernier a une suspension conservatoire en attendant l’issue de l’affaire ?

Alain Gauthier est le premier surpris : il est le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, association qui a déposé plainte contre Eugène Rwamucyo. Depuis des années, avec sa femme d’origine rwandaise, il se bat pour que la justice française s’occupe enfin de ces hôtes si particuliers.

D’autres cas similaires en France

Parmi eux, la veuve du Président rwandais Juvénal Habyarimana, Agathe Kanziga, soupçonnée elle aussi de faire partie des planificateurs du génocide. Elle n’a pourtant jamais été entendue par les juges et vit désormais en France, sans papiers, puisque le Conseil d’Etat a rejeté vendredi dernier son dernier recours pour obtenir le statut de réfugiée.

Jusqu’à présent, malgré l’ouverture d’une instruction judiciaire contre elle, malgré le non-droit de sa situation administrative, elle n’a jamais été entendue par les juges parisiens chargés des dossiers rwandais.

Alain Gauthier garde espoir :

« La médiatisation et l’émotion suscitée autour de l’affaire Rwamucyo permettront enfin de faire avancer la justice française. »

L’affaire Rwamucyo et les faveurs dont il a bénéficié semblent en tout cas avoir réveillé les curiosités : dans son édition de mercredi, le quotidien Sud-Ouest évoque le cas de Sosthène Munyemana, qui ressemble fortement à celui du médecin de Maubeuge.

D’ailleurs les deux hommes se connaissent : ils sont tous les deux médecins, tous les deux ont vécu à Butare où ils ont fait partie des mêmes cercles extrémistes.

Comme Rwamucyo, Sosthène Munyemana a été débouté du droit d’asile et fait l’objet d’une instruction judiciaire en France. Et lui aussi travaille dans un hôpital, à Villeneuve-sur-Lot. Sans jamais avoir été inquiété par les autorités françaises.

Reste que pour Eugène Rwamucyo, il est peut-être déjà trop tard : mardi, on apprenait que la Belgique (où il est désormais domicilié, non loin de la frontière) venait de lui accorder une carte de séjour au nom du regroupement familial.

« La France peut encore demander son extradition », souligne Alain Gauthier. Un vœu pieux ? A moins qu’Eric Besson se charge du dossier de ces immigrés si encombrants…

 

 

Par Maria Malagardis | Journaliste | 22/10/2009 | 13H53

Posté par rwandaises.com