Francine Wohnlich tente dans «Baptiste et Angèle» un pari difficile mais réussi: parler de désir sur un champ de morts.
Il existe des bibliothèques entières sur le Rwanda, des relations bouleversantes de Jean Hatzfeld aux innombrables témoignages de victimes, en passant par les romans d’auteurs africains, comme L’Aîné des orphelins de Tierno Monénembo. Mais écrire sur le génocide par le biais du désir, il fallait l’oser. Francine Wohnlich a pris ce risque et c’est une réussite. En exergue, elle rappelle brièvement le massacre d’un million de Tutsis. «Quinze ans après, génocidaires et rescapés se côtoient», écrit-elle. Il faut reconstruire le pays. «Défricher les parcelles, envoyer les enfants à l’école, cuire la bouillie de sorgho. Jouer au foot, louer Dieu, boire des bières./Rester seul ou tenter l’approche.» Tenter l’approche, c’est la voie qu’ont choisie ses personnages.
Baptiste et Angèle ont la trentaine, ils avaient donc entre 11 et 16 ans en 1994. S’ils appartiennent au côté des victimes, ils savent qu’ils auraient pu naître dans celui des bourreaux. Un lien fort les unit à l’évidence mais le passé leur interdit de vivre. Quand ils ne parviennent pas à se parler, Angèle va retrouver Epiphanie et Baptiste, Anatole. Ils ont vécu les mêmes horreurs, eux sont restés seuls; ils peuvent comprendre ou, au moins, écouter.
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Pour se protéger, Angèle s’est murée, transformée en sarcophage. Le plaisir est dangereux, il brise les défenses, fait fondre la glace. Quelle que soit l’affection qu’elle éprouve pour Baptiste, s’il l’approche de trop près, elle s’absente d’elle-même et ne livre qu’un corps docile et figé. «Je ne supporte pas d’être un qui te force. Je ne peux plus. Pardon», avoue Baptiste. «Est-ce que tu crois qu’on ne peut pas se donner du repos, comme on se donne de l’amour», tente Angèle. Se quitter n’est pas envisageable, elle ne veut pas revivre «la solitude des marigots», il a besoin d’être consolé quand il émerge des cauchemars. Ils ont des rires, des gestes d’affection, un quotidien paisible, ils peuvent s’écouter. Mais la tendresse ne suffit pas. «Mon père, il était un arbre, dit Baptiste, il avait des branches, il portait des fruits. Moi je me ratatine au fond et ça me refuse les affectionnements. Je vais te quitter.» Quand Baptiste craint sa propre violence, il cherche refuge auprès d’Anatole. Qui ne peut rien pour lui: «J’ai vécu la fin de l’autre. Un monde fait que de moi et de ma peur.» Epiphanie, elle, croit encore au retour de la vie. Mais quand Angèle fait un pas, c’est Baptiste qui se réfugie dans sa coquille vide, ses «cachettes de disparition», ses «trous d’absence». On ne sait pas s’ils se rejoindront.
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Posté par rwandaises.com