(Syfia Grands Lacs/Burundi) Mutations abusives, suspensions intempestives, emprisonnements controversés… Les magistrats burundais qui ne jugent que selon le droit sont depuis quelques mois la cible du gouvernement qui fait pression sur eux dans les affaires politiques. Au mépris de l’indépendance de la Justice. Les juges se sont mis en grève pour se faire entendre.

« Ils ont tout plaqué et c’est nous qui en payons le prix, car personne ne veut plus nous recevoir ni enregistrer nos plaintes », s’insurge un des justiciables désespérément massés le 22 octobre devant le Parquet général en mairie de Bujumbura. Pas d’audiences, ce jour-là. Bien qu’ils soient tous présents, les juges ont boudé le service en organisant un mouvement de grève pour réclamer la réhabilitation de trois magistrats suspendus par le ministre de la Justice en septembre.
« Les trois juges sont sanctionnés pour avoir prononcé l’acquittement d’un prévenu accusé, par le service de renseignements, d’atteinte à la sûreté de l’État et d’association de malfaiteurs. Mais c’est inacceptable qu’un juge soit puni pour avoir dit le droit et jugé en âme et conscience », déclare, sous le sceau de l’anonymat, un magistrat gréviste. Dans ce dossier, le prévenu est Gédéon Ntunzwenindavyi, président d’une association anti-génocide, soupçonné de complicité avec la rébellion du général Laurent Nkunda (Est de la RD Congo). « En réalité, rétorque André Ntahomvukiye, porte-parole du ministère burundais de la Justice, les trois juges sont punis pour n’avoir pas fait suffisamment d’enquêtes avant de trancher. » « En cas d’insatisfaction, clament d’autres magistrats, le service de renseignements aurait dû interjeter l’appel dans une autre instance judiciaire. » Cette affaire est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de l’indignation des agents et autres cadres du ministère, atterrés depuis des mois par l’immixtion de l’autorité politique dans le traitement de certains dossiers sensibles.

Des juges instables et inquiets
« Craignant pour leur sécurité, les magistrats évitent désormais les dossiers politiques et certains ont déjà démissionné pour aller travailler ailleurs pendant que d’autres deviennent avocats pour avoir plus de liberté », confie Alexandre Nikoyagize, juriste. C’est la pression de l’autorité et la séquestration de leurs collègues qui les poussent à lâcher. En mars, Désiré Semanzi, un des trois magistrats qui avaient planché sur le dossier de l’opposant Alexis Sinduhije (ancien journaliste président du parti MSD), a frôlé la mort. Alors qu’il sortait de son bureau au Tribunal de grande instance de Bujumbura, des policiers l’ont kidnappé, cagoulé et conduit dans un buisson pour lui arracher des aveux sur l’argent qu’Alexis Sinduhije aurait donné à ces juges pour acheter sa libération.
Le lendemain, les trois magistrats ont été mutés de Bujumbura vers des tribunaux éloignés de l’intérieur du pays. Cette dispersion, synonyme de sanction pour avoir blanchi un opposant, a révolté bien des acteurs socio-politiques. « C’est un signe qui montre que la justice burundaise est à la botte du pouvoir et c’est une honte pour un État qui se dit démocratique », conclut Isidore Minani, défenseur des droits de l’homme.

Payés pour leur complaisance
Beaucoup plus par complaisance que par conviction personnelle, certains juges s’accommodent, malgré tout, de cette mainmise de l’autorité et troquent leur indépendance contre de menus avantages personnels comme la promotion pour ceux qui sont « politiquement corrects » avec à la clé des intérêts financiers. C’est ainsi que des jeunes magistrats sont catapultés au sommet de la Cour suprême pendant que les vieux routiers de la magistrature se retrouvent dans des tribunaux de résidence.
Les praticiens du droit déplorent ces pratiques : « C’est nuire au système judiciaire, car la Cour suprême est le dernier échelon pour un magistrat ; il faut plusieurs années d’expérience pour y arriver. C’est pourquoi on ne devrait pas y mettre des jeunes sans aucune expérience », commente Me Fabien Ndegeya.
Tandis que les juges indépendants disent le droit, rien que le droit, et blanchissent les innocents, d’autres ferment les yeux et emprisonnent les voix discordantes sur instruction du pouvoir. « Le journaliste Jean-Claude Kavumbagu et le syndicaliste Juvénal Rududura n’auraient pas fait plusieurs mois de prison avant d’être blanchis et relaxés à cause de la pression internationale si les juges ne disaient que le droit, et c’est peut-être pour les mêmes raisons que l’honorable Hussein Rajabu, principal opposant au pouvoir, est coffré pour 13 ans », conclut Alexandre Nahayo, politologue.
Si on ne leur donne pas satisfaction, les magistrats promettent un mouvement de grève illimité.

 
 
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Posté par rwandaises.com