(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Au nord du Burundi, l’interdiction de la polygamie, qui demeure vivace dans la culture, multiplie le nombre de filles mères, contraintes de vivre dans leur famille sous peine d’être condamnées pour concubinage.

Au pied du mont Muhabura, un ancien volcan, à la frontière entre le Rwanda et l’Ouganda, la localité de Gahunga est débordée par le nombre croissant de filles mères. Depuis deux ans, l’autorité locale s’est lancée dans la lutte contre la polygamie, interdite par la loi rwandaise, mais encore très répandue et ancrée dans la culture de la plupart des habitants de cette province du Nord. La première épouse est encouragée par les autorités à dénoncer les filles qui s’unissent à des hommes mariés.
La loi punit d’un emprisonnement de deux à quatre ans, toute personne reconnue coupable de concubinage et d’une amende allant de 100 000 Frw (200 $) à 200 000 Frw (400 $). Pour éviter ces punitions sévères, les jeunes femmes enceintes restent dans leurs familles, tout en continuant à voir leurs amants, souvent d’âge relativement avancé, mais qui disposent de moyens financiers.
Muhawenimana est veuve, quinquagénaire. Elle cohabite, bon gré mal gré avec ses deux filles, toutes deux mères, dont la plus jeune a des jumeaux. « Ma maisonnée est très encombrée ; mes moyens sont limités. Je ne saurais pas subvenir à la fois aux besoins de mes petits-fils et de mes filles. Il faut qu’elles retournent absolument chez leurs « maris ». La polygamie n’est pas mal vue, affirme-t-elle. Mon mari était polygame, entouré de trois femmes. J’étais sa deuxième et la vie était bonne. »

Peu d’hommes et pas d’argent
« Nous n’avons pas de choix. Les hommes sont peu nombreux pour nous marier toutes. Il faut qu’on se partage des maris », se justifie une de ces filles mères du district de Gicumbi, Nord, qui rappelle que de nombreux hommes se sont exilés en RDC en 1994 et que peu sont revenus. Le Rwanda compte 54 % de femmes. « Je suis entouré de quatre familles. Dans chacune, il y a au moins une fille mère qui a été pourchassée… Ce phénomène est très effrayant dans notre district de Burera », s’inquiète un pasteur d’une Église de réveil.
La rareté et le morcellement des terres arables rendent la vie difficile dans cette province du Nord. Les hommes qui ont hérité des biens de leurs aïeux disposent des moyens financiers. Les femmes, elles, sont vulnérables et dépendantes. « Mon mari a presque l’âge de mon père. J’ai accepté sa main parce qu’il m’avait promis beaucoup. Il aide mes frères et sœurs à poursuivre leurs études et il a construit une maison à ma mère », confie Muhoza, la trentaine, mère de quatre enfants qui a appris la couture grâce à son mari. Elle témoigne subir des menaces de ses deux autres femmes paysannes jalouses.
« Nous les chassons aujourd’hui, demain elles retournent chez leurs concubins. Nous les avertissons quant aux conséquences fâcheuses de la polygamie, mais elles n’obtempèrent pas. C’est en réalité la pauvreté qui est au centre de leur vulnérabilité », analyse ce parlementaire natif de Burera, qui lutte activement contre la polygamie. « Les pulsions sexuelles qui poussent les hommes à être polygames créent une grande irresponsabilité, car même les plus dépourvus le sont », critique Maisha, juriste, qui demande au ministère public de condamner avec la dernière énergie, la polygamie sous toutes ses formes.

Contourner la loi
Certains hommes craignant la loi portant sur la prévention et la répression de la violence basée sur le genre du 28 octobre 2008 qui interdit, entre autres, de porter atteinte à la tranquillité de son épouse, prennent aujourd’hui de la distance vis-à-vis de leurs concubines. « Je crains que ma première femme porte plainte au tribunal. Depuis trois mois, j’ai cessé de passer la nuit avec mon amante qui est mère de mes deux enfants », confie un commerçant de Musanze qui jure pourtant qu’il ne l’abandonnera pas, car elle est instruite et aide à la comptabilité de son commerce. Il témoigne que d’autres, comme lui, s’écartent de leurs femmes illettrées qui ne cadrent plus avec le contexte économique actuel. « Dans tout le pays, des enfants continuent à naître de filles dont les pères sont d’ores et déjà mariés, ajoute ce commerçant. Ces derniers accusent leurs anciennes femmes d’être des ignorantes et préfèrent épouser leurs concubines dans les pays limitrophes du Rwanda où ils travaillent le plus souvent. »
De plus en plus d’hommes, remarque le pasteur, installent leurs concubines dans d’autres circonscriptions administratives pour échapper aux tracasseries et aux reproches quotidiens de leur première femme qui milite contre la polygamie. Ce fait est confirmé par le vice maire Pascal Butunge, chargé des affaires sociales dans le district de Musanze (Ruhengeri) : « Les hommes économiquement bien positionnés sont nombreux à quitter la campagne. Ils vivent avec leurs jeunes épouses qui bénéficient de maisons et d’autres prérogatives que leurs rivales n’ont jamais eues. »

 
 
 http://syfia-grands-lacs.info/index.php5?view=articles&action=voir&idArticle=1588
Posté par rwandaises.com