(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Dans les campagnes rwandaises, depuis deux ans, les gens se ruinent pour faire décorer soigneusement les salles lors des fêtes. Ils imitent les citadins, mais sans en avoir les moyens et sont poussés par les autorités locales soucieuses de suivre la politique gouvernementale.
Ainsi, lors des mariages, des réunions, des conférences, et même des funérailles, les décorateurs font tout pour orner avec soin les lieux. Tissus, rubans, fleurs, tentes, mais aussi et surtout les produits de la vannerie rwandaise traditionnelle comme les petits paniers décorés communément appelés uduseke, les nattes, les grands paniers, etc. tout est bon pour attirer l’œil des invités. Des investissements importants au départ pour les décorateurs, mais le même matériel est utilisé plusieurs fois. Ceux qui fabriquent de la vannerie ont ainsi trouvé un nouveau marché…
Se ruiner pour quelques heures
Auparavant, seuls les citadins s’intéressaient à la décoration, aujourd’hui les gens des campagnes cherchent à les copier en dépit de leurs moyens limités. Aujourd’hui, une fête au village ressemble beaucoup à une fête en ville. « Même si on habite dans un coin très retiré, nous appelons les décorateurs de Kigali ou de Butare. Évidemment, c’est assez cher, mais nous faisons tout pour trouver le budget nécessaire ; pourvu que tout soit présentable, car nous voulons garder de beaux souvenirs : photos, vidéos, etc. C’est ce que j’ai fait lors de mon mariage », explique Ndahimana Alphonse, jeune marié de Nyaruguru, Sud.
Les gens se ruinent pour que tout soit beau, négligeant d’autres aspects importants. Lors des mariages, les dépenses pour la décoration se font au détriment d’autres besoins. Souvent pendant les réceptions, les invités se lamentent qu’ils n’ont rien eu à manger ou à boire alors qu’ils ont significativement contribué à la fête. « Les gens exagèrent quand même ! Ce décor qu’on est en train d’enlever a coûté plus de 200 000 Frw (400 $), se plaint Semanywa Pierre, à la sortie d’un mariage à Ruhango, Centre. Pourtant, bon nombre d’invités n’ont même pas pu recevoir un Fanta. C’est vraiment déplorable ! ».
Face à cet engouement, les agences de décoration ouvrent des succursales dans des centres de négoce ou utilisent des commissionnaires. « Je suis une grande décoratrice de Kigali, mais je suis souvent sollicitée ailleurs, par exemple à Muhanga, au centre du pays, à Bugesera à l’Est et au Nord surtout quand il s’agit de grandes fêtes de personnes riches. Là j’impose le prix puisque je dois assurer le transport de mes employés et les prendre en charge », explique fièrement Rosine Mukarugira.
La propreté n’est pas la décoration
Préoccupées par la mise en application de la politique du gouvernement qui veut promouvoir la propreté, les autorités au niveau des structures de base font tout pour inciter les gens, pourtant souvent démunis, à améliorer l’hygiène et l’esthétique. « Nous voudrions vraiment éduquer la population à la propreté et, pour y arriver, il nous revient non seulement de les y inciter, mais également de briller par des exemples, estime un coordinateur d’un village de Nyamasheke, Ouest. C’est pourquoi, lorsque nous organisons des réunions ou des formations tout doit être propre et nous payons la décoration. Petit à petit, nous constatons qu’il y a des progrès au niveau des ménages ».
Sensibilisées aussi par des animateurs de santé et hygiène, les femmes et les jeunes filles s’efforcent de soigner leurs habitations « Bien que nous soyons pauvres, nous avons compris l’importance de la propreté. Et quand j’ai des visiteurs, je n’ai plus honte de les accueillir chez moi, » témoigne une paysanne de Kaduha, Sud. De même, les petites boutiques et bistros du milieu rural s’efforcent d’attirer les clients en les aménageant coquettement. Ce que ces derniers apprécient.
Souvent tenus par des femmes, ces ateliers de décoration font aussi travailler des hommes. « Je suis un petit tailleur, mais occasionnellement je travaille pour la propriétaire d’un atelier de décoration ici à Butare et c’est très rentable », témoigne Ngabonziza Aimable qui, lorsque la demande est forte, gagne plus de 120 000 Frw (soit environ 250 $) par an. Pour profiter de l’aubaine, nombre de jeunes garçons et filles, qui ont terminé les études secondaires et qui ne trouvent pas d’emploi, fondent des associations autour de la décoration, mais elles manquent souvent de fonds pour démarrer leurs activités.