« Cessez de vous plaindre, d’attendre l’aide extérieure. Agissez, développez des stratégies… « L’urbaniste camerounais Jean-Pierre Elong-Mbassi ne se lasse jamais de haranguer les élus africains, maires, conseillers municipaux, dirigeants de comités de quartier, qui se plaignent de la faiblesse des financements, de l’indifférence de l’Etat central, de l’ampleur sans pareille des défis qu’ils doivent relever. Secrétaire général de « Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique », CGLUA, Elong-Mbassi n’a pas son pareil pour secouer ses pairs, mais aussi pour les fédérer, les obliger à dépasser des clivages linguistiques ou culturels hérités de la colonisation. Alors qu’à Nairobi voici trois ans la frontière entre francophones et francophones volait en éclats, cette fois, lors de la nouvelle édition d’ « Africités », plus de 5000 représentants du Nord et du Sud du Sahara se sont rencontrés, ont échangé leurs expériences et comparé leurs succès ou leurs défis respectifs. Dans Marrakech étincelante, qui s’impose de plus en plus comme une ville de rencontres et de congrès internationaux, les Marocains, fiers des progrès réalisés par leur pays, ont accueilli avec chaleur leurs « frères » venus des quatre coins du continent et dénoncé au passage le rôle de « tampon » ou de gendarme que veut leur faire jouer l’Europe face aux migrants sub sahariens….
Est-ce parce qu’ils payaient eux-mêmes leurs droits d’inscription ? Ou parce que les sujets de discussion étaient concrets, avec, à la clé, le partage d’expériences pratiques ? Toujours est il que durant plusieurs jours, c’est avec une assiduité exemplaire que les participants d’Africités ont participé à des ateliers, des échanges, noué des contacts et visité un salon, Citexpo, où des dizaines d’exposants proposaient leur savoir faire en matière d’adduction d’eau, d’éclairage des rues, de traitement des déchets, de planification de nouveaux quartiers…
L’importance de cette conférence, véritable « foire des savoirs et des expériences » s’explique aussi par l’ampleur des défis : l’Afrique, qui a longtemps été le moins urbanisé des continents, voit ses villes exploser au rythme de 7% l’an. Voici un siècle, 3% de la population africaine vivait dans les villes, contre 39% aujourd’hui. D’ici dix ans, le continent comptera 70 villes de plus d’un million d’habitants, dont de véritables « jungles urbaines » comme Lagos ou Kinshasa, qui risquent d’être totalement incontrôlable.
Les Marocains ont exposé les progrès accomplis dans la plupart de leurs grandes villes : un tramway va bientôt traverser Rabat, Casablanca se modernise et grignote peu à peu ses taudis, Marrakech a fait peau neuve. Les maires de ces grandes cités, animant des ateliers, des groupes de travail, ont à chaque fois souligné que la décentralisation était la clé de ce développement spectaculaire, que les citoyens avaient été invités à participer à la chose publique, consultés sur les changements en cours et incités à les financer. Ils n’ajoutèrent cependant pas qu’en Afrique du Nord, et particulièrement au Maroc, les villes sont des entités anciennes, dont le rayonnement remonte parfois jusqu’au Moyen Age et que leurs habitants sont fiers d’y retrouver le lustre d’autrefois…
Au Sud du Sahara par contre, les villes sont récentes, nées de la volonté du colonisateur . Ceux qui s’y entassent aujourd’hui ont été poussés par l’exode rural, voire les guerres ; 90% des sols sont occupés de façon anarchique, les bidonvilles empiètent sur les zones maraîchères des périphéries, voire sur les marécages ou zones insalubres, les litiges fonciers se multiplient. De plus, les autorités centrales se sont montrées incapables de gérer ces monstres exponentiels, se contentant de profiter de leurs ressources et de leur prestige… L’ancien du président du Ghana, Jerry Rawlings, devait rappeler quelques évidences : « durant longtemps, les règles du développement de l’ Afrique ont été rédigées ailleurs…Et aujourd’hui, à l’heure du changement global, nous risquons même de perdre la maîtrise de nos terres au profit de nouveaux venus comme la Chine… »Alors que son pays est souvent cité en exemple, Rawlings se permit aussi de fustiger « les parasites politiques qui détournent l’aide », et la corruption qui, presque partout, paralyse les efforts de développement. Comme remède à ce fléau endémique, et citant l’exemple de son pays, il conseille donc aux gouvernements centraux d’accepter la décentralisation, non comme une érosion de leur autorité, mais comme un partage du fardeau, et aussi un retour aux valeurs communautaires africaines.
Désireux d’améliorer le quotidien de leurs électeurs, tous les participants à Africités appellent évidemment de leurs vœux une décentralisation qui devrait donner plus de responsabilités aux collectivités locales. Mais dans la réalité, on en est loin : en Afrique, les pouvoirs locaux ne disposent que de 5% des ressources publiques, contre 75% dans les pays du Nord ! Entre l’Etat central et les élus de la base, les transferts financiers ne s’opèrent qu’au compte gouttes et à regret…A Marrakech, cette faiblesse financière, que tous espèrent momentanée, n’a pas empêché les maires et autres dirigeants d’associations locales de faire le plein de cartes de visite, de bonnes idées, de promesses de soutien…

 

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a-marrakech/

Posté par rwandanews.be