A l’occasion de la sortie d’Arusha à Arusha, ressurgit l’ombre de ce que fut le troisième génocide du XXe siècle, celui du Rwanda. Or, c’est justement au prisme du seul cinéma que ce dernier s’éclaire au mieux et se donne à comprendre. Car l’image libère autant qu’elle montre et condamne…
La rivalité entre Hutus et Tutsis, récit d’une abomination à venir
Partagé depuis toujours entre deux ethnies, les Hutus et les Tutsis, le Rwanda connaît au début des années 90, une vive tension, voyant le pouvoir autoritaire à sa tête menacé. En effet, sous la coupe du général Juvénal Habyarimana depuis 1973, le pays est mené d’une main de fer par son clan et en faveur de la seule majorité Hutu. Or, la minorité Tutsi et les militaires stationnés dans l’Ouganda voisin ne l’entendent plus ainsi, désireux qu’ils sont de reprendre au dictateur, la terre de leurs ancêtres. Revisitant l’opposition séculaire entre Hutus et Tutsis, la lutte qui s’annonce ne fera dès lors que prolonger les massacres perpétrés depuis la « Toussaint rwandaise » de 1959, cette période fratricide qui opposa les uns aux autres sur fond de préférence coloniale et de révolution sociale. Et c’est ainsi que le 30 septembre 1990 survient le premier volet du massacre, sous la férule de Paul Kagamé, un Tutsi revanchard.
L’attaque commence mais les Hutus sont prêts. Car le dictateur Hutu, au courant de l’initiative, a déjà fourbi ses armes en mettant en place, une milice Hutu prête à tout, en sus d’un soutien français « indéfectible » et d’une armée dont les effectifs ont été multipliés par sept. L’affrontement peut alors s’éterniser plusieurs mois durant, avant que l’impensable ne survienne. C’est d’ailleurs souvent par le récit de ce pourrissement et les traces de son enlisement que commencent les récits qui s’attachent au Rwanda, qu’ils soient le fruit de la plume de Jean Hartzfeld ou l’objet d’Hôtel Rwanda et d’Un Dimanche à Kigali.
La promesse d’une paix qui ne durera pas
En effet, alors que de juillet 1992 à février 1993, les Tutsis investissent non sans une incroyable violence, le nord du Rwanda et excitent leurs rivaux, la trop célèbre radio des Mille Collines aux mains de Juvénal Habyarimana distille une propagande pestilentielle, appelant purement et simplement à éradiquer l’ethnie adverse comme le rappelle Kigali, des images pour un massacre. Débordée et trop impliquée, la France est dépassée et laisse alors à l’ONU et à ses casques bleus, le soin de trouver une solution viable pour la région – ce qui n’est pas sans interroger nombre des documentaristes à s’être penchés sur la situation. Or, malgré ce recul, la médiation fonctionne puisque les discussions aboutissent au printemps 1994 à la signature de la paix, une solution pourtant insatisfaisante pour les deux camps.
Hélas, deux jours à peine après cet accord, le 6 Avril 1994, l’avion de Juvénal Habyarimana, l’homme de fer rwandais, est abattu par deux missiles censément tirés par des Tutsis du FPR- à ce que l’on sait de l’enquête menée par le juge Bruguière. Le tyran succombe dans l’attentat et avec lui, sonne l’heure de la vengeance. Car ses partisans s’empressent de sortir les machettes, plongeant le pays tout entier dans une violence que l’on pensait ne plus jamais revoir… Et cela, dès le lendemain, puisque les casques bleus sont pris pour cible et l’exécutif nouvellement formé, décapité.
« Abattez les grands arbres »
L’horreur génocidaire se met alors en marche, méticuleusement préparée. Le pays s’entredéchire, Kigali et le Rwanda tout entier sombrent.et 800 000 personnes périssent sous les assauts concertés des milices du « Hutu Power », tandis que les Occidentaux et les forces onusiennes désespérément impuissants, ne parviennent qu’à fuir. Il faudra dès lors attendre la contre-offensive Tutsi pour que le bain de sang cesse le 4 juillet 1994. Et que l’ONU, sous couvert de l’opération Turquoise, ne réagisse enfin, à mesure que le pays s’enfonce dans la guerre civile et que les exactions et les déplacements de population gagnent en ampleur…
Une fois la situation maîtrisée et la violence plus ou moins endiguée, vient sans conteste le temps de l’effroi, celui d’un constat que l’on pensait ne plus devoir refaire : un génocide a eu lieu, sanglant, aveugle. Et il est plus que temps d’en poursuivre les responsables. S’enclenche alors à la suite d’une telle prise de conscience, la machinerie pénale issue de Nuremberg et le Tribunal Pénal International pour le Rwanda est institué le 8 novembre 1994 en complément des Gacacas, cette justice villageoise traditionnelle au Rwanda. L’époque est alors à la condamnation, à la dénonciation mais aussi à la représentation. Pour que tous sachent et qu’aucun n’oublie ce qui s’est passé…
Représenter l’horreur par la fiction…
En effet, dans cette folie et par delà les poursuites encore en cours, le cinéma fait très tôt acte de militance et s’implique par exemple dès 2001 avec Cent Jours de Nick Hugues. Or, il est fort intéressant de remarquer que, si le fardeau pèse encore, seul le cinéma anglo-saxon ose se saisir précocement du sujet, notre cinéma national préférant se taire. Ainsi, entre fiction et documentaire, trouvera-t-on plus d’une quarantaine de films de cinéma portant sur la question dans les dix années qui suivront. Et ce n’est pas peu dire que d’affirmer que leur virulence n’aura d’égale que la portée des critiques et du dévoilement qui incrimineront la folie Hutu, la communauté internationale mais aussi la France et son gouvernement.
Néanmoins et en dehors de toute considération politique et polémique, deux tendances faciles mais éminemment profitables se distinguent face au génocide rwandais, celle explorée par le documentaire et celle creusée par la fiction. Pour sa part, Hôtel Rwanda dès les années 2000 ébranlera les certitudes de l’Occident sous la patte de Terry George en voulant rendre la mécanique et l’horreur génocidaires de l’intérieur. Quant à Shooting Dogs, à sa suite, son propos néocolonialiste s’avèrera dommageable et farouchement réducteur. Mais plus que ces deux exemples de productions richement dotées et perfectibles, les fictions qui marqueront la période sont plus à chercher ailleurs. Ainsi, Sometimes in April et Un Dimanche à Kigali, respectivement signés par Raoul Peck et Robert Favreau la même année, donnent au drame rwandais, les preuves de l’utilité nécessaire du médium et dotent ce dernier, de représentations aussi fidèles qu’éminemment complexes. Du genre de celles que l’on n’oublie pas.
Certes, ce ne sont pas les seules fictions à s’être colletées à un tel sujet mais force est de constater que les autres tentatives ne rencontreront pas les mêmes échos, que l’on songe à Munyurangabo de Lee Isaac Chung, présenté à Cannes en 2007, à l’inédit Shake Hands with the Devil de Roger Spottiswoode ou au premier film de Philippe Van Leeuw, Le Jour où Dieu est parti en voyage. En effet, la part de la fiction face à un tel sujet atteint les limites mêmes de la représentation et actualise l’épineux souci que tout cinéaste rencontre lorsqu’il s’agit de parler de l’éradication pure et simple d’un peuple uniquement pour ce qu’il est.
…Et tout dire par le documentaire ?
Par ailleurs et en dépit des efforts de la fiction traditionnelle, force est de constater que c’est le cinéma documentaire qui s’est le plus sûrement employé à le comprendre et à le restituer. Kigali, des images contre un massacre de Jean-Christophe Klotz fut un premier choc salutaire en attendant Les Zones Turquoise, son pendant fictionnel. Mais que dire des films étrangers qui l’ont devancé comme Tuez-les tous de Raphaël Glucksmann, David Hazan et Pierre Mezerette, Rwanda, récit d’un survivant de Robert Genoud et Venuste Kayimahe ou Après, un voyage dans le Rwanda de Denis Gheerbrant. Et l’on en oublie bien d’autres…
Tous abordent effectivement le massacre rwandais sous l’angle du récit, des responsabilités et du traitement qu’il reste à en faire pour le comprendre et le dépasser. De fait, posent-ils des questions difficiles, complexes et se permettent-ils une réflexion sur l’après à laquelle la fiction ne peut prétendre sans aboutir ni caricaturer, quand ils n’interrogent pas à leur tour, les capacités du cinéma à tout saisir. Ainsi, en va-t-il d’Arusha à Arusha, film-monument sur la question de la justice pénale destinée aux acteurs du carnage rwandais et de sa représentation, sujet qu’explorait autrement Gacaca: Living Together Again in Rwanda ?.
Quant à Loin du Rwanda, le film d’Hubert Sauper qui l’aborde sous l’angle des migrants, Mon voisin, mon tueur d’Anne Aghion qui examine le pardon à l’aune de la justice traditionnelle rwandaise ou Un cri d’un silence inouï d’Anne Lainé qui traite des traumas qui en résultent, ils sont d’autres exemples de la force et de la richesse de l’approche documentaire lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux drames du présent et à leurs multiples conséquences. Car ces derniers peuvent par leur liberté formelle et leur radicalité de ton, se permettre de douter, de questionner et de cerner des êtres et les traces de leur douloureux passé. Et cela sans être entravés par l’obligation d’un récit de fiction…
Dès lors, si l’on constate une surreprésentation du documentaire dans l’abord du génocide rwandais et de sa représentation, disproportion compréhensible au regard des formats adoptés, des cibles visées et des budgets mis en jeu, une évidence s’impose. Le cinéma documentaire ouvre toujours plus de portes que la fiction sur de tels drames, et en cela, il la complète de la plus profonde des manières, en déployant l’arsenal des questions, des responsabilités et des raisons que l’émotion fictionnelle présuppose. En somme, deux faces d’une même médaille, c’est le cinéma tout entier qui devient face à de telles abominations, le relais et l’outil d’une meilleure compréhension du monde et de l’Homme. Et c’est bien le moins que l’on attendait de lui.
Pour aller plus loin
Site Arte spécifique
http://www.arte.tv/fr/2532286.html
Synthèse sur la question et son approche
http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/ECJS/HTML/rwanda.htm
Quelques conseils bibliographiques et des lectures
http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/genocide-rwandais/2532740.html
Posté par rwandanews.fr