(Le Pays 01/12/2009)

Le Président Kagamé du Rwanda a fait d’une pierre deux coups. En même temps que son pays faisait son entrée dans le Commonwealth, il renouait avec la France, après des années de brouille. Le rapprochement avec Londres traduit une certaine rancœur à l’égard de Paris.

Mais c’est aussi une alerte pour la Francophonie. Elle doit voir dans ce départ de l’un des siens pour le camp anglo-saxon, le signe d’une sérieuse désaffection susceptible de faire des émules. Ceci, à l’orée de cinquante ans d’indépendance proclamée. Ainsi, Kagamé part tout en restant. En reprenant ses relations avec Paris, il fait preuve d’une grande habileté. En effet, si la rancœur est tenace, le chef de l’Etat rwandais donne cependant le sentiment de ne pas vouloir frustrer inutilement les Français. La diplomatie de Bernard Kouchner a donc fini par payer. La France est parvenue à sauver ses liens avec Kigali. Sans doute aura-t-il fallu le talent de diplomate mais surtout le sens des relations de l’intrépide homme de terrain qu’est Bernard Kouchner.

Le ministre français des affaires étrangères est ainsi parvenu après force négociation à limiter les dégâts. On serait tenté de croire que les dernières arrestations de génocidaires rwandais à travers l’Occident, la relance des procès relatifs à ce dossier, ne sont pas étrangers à ce brusque réchauffement de liens entre Kigali, Londres et Paris. Mais ce serait une erreur de croire que le dossier du lourd contentieux franco-rwandais est clos.

Il est hors de doute que la forte personnalité du Président Kagamé a pesé de son poids dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une revanche sur l’histoire. Celui qui n’a jamais digéré le fait colonial et néo-colonial français, doit se satisfaire de sa double victoire.

Le président Kagamé n’est pas n’importe qui : des reproches lui sont faits régulièrement pour non-respect des droits humains. Au plan de la démocratie républicaine, son pays accuse un certain retard. Mais les femmes y sont bien représentées dans les instances de prise de décisions et ces dernières années, le Rwanda a fait un bond prodigieux au plan du développement. Flegmatique et très déterminé, cet homme sait assurément où il va et comment mener ses troupes.

Après avoir su monnayer son désir d’indépendance avec la France, le voilà qui profite de la vieille rivalité entre Anglais et Français pour se tirer d’affaire. Il n’ignore sans doute pas que cette rivalité peut tout aussi bien se muer en pacte circonstancié lorsque survient le partage d’intérêts communs. Sa forte personnalité joue pour l’instant en faveur du Rwanda.

Kagamé n’a jamais ouvertement pardonné à la France ses positions troubles et fourbes dans le conflit qui les a opposés, lui et les siens, au régime Habyarimana soutenu des années durant par le pouvoir français. Parvenu au pouvoir, le président rwandais, très nationaliste et critique, avait rapidement donné dos à un monde francophone qu’il juge vassalisé par la France ? Mais que serait donc la France sans la Francophonie, dans un monde ouvert et où la compétition devient chaque jour plus féroce ?

Les faiblesses de la France se révèlent de jour en jour et elle a du mal à convaincre les nouvelles générations d’Africains. Leurs regards se tournent désormais vers des horizons plus prometteurs d’autant que du côté de l’Hexagone les déceptions se multiplient : difficultés d’obtention des visas, mesures drastiques à l’endroit des immigrants, etc. Le recul de la langue française dans la communauté scientifique internationale, la pression multiforme du business international, ne sont pas non plus de nature à encourager le maintien des Africains dans l’espace francophone qui se résume à un club de politiciens complices. Rien d’étonnant que les jeunes du continent, dégoûtés du mal développement, tombent quotidiennement sous le charme d’autres appels du pied. Grâce à la magie de l’internet et à d’intenses activités de promotion, le camp anglo-saxon attire par la multiplicité de ses offres et les facilités qu’il fait miroiter aux jeunes. Les tentations sont bien grandes en dépit des critères prévalant à l’entrée au sein du Commonwealth.

Le départ pour le Commonwealth du Rwanda francophone devenu bilingue, constitue donc d’une certaine façon un désastre pour la France et sa Francophonie. Il peut faire des émules. En faisant son choix, le Rwanda qui sort d’une longue nuit de tourmente, fait ainsi preuve de vision. Il s’assume et affirme son indépendance. C’est un signal fort à ne pas négliger même si cela ne fait pas plaisir. Mais rarement on aura vu un Etat francophone tenir aussi tête à la France sans perdre des plumes.

Contrairement à la Francophonie qui est laxiste sur certains plans, le Commonwealth a ses critères et des valeurs à défendre. En y faisant son entrée, le Rwanda affirme son appartenance à un monde débarrassé de préjugés, de complexes et surtout empreint d’un minimum de souveraineté et de respect mutuel. Le camp anglo-saxon, sa langue, son respect de la culture des autres, son sens et son respect de la démocratie républicaine, son inventivité, forcent l’admiration. C’est un véritable choc pour un francophone que de se retrouver en milieu anglophone. Parfois même un choc terrible pour quiconque ne connaît pas un traître mot anglais. Le Burkina qui fait frontière avec un pays anglophone, le Ghana, en sait quelque chose. La multiplication des écoles bilingues au pays des Hommes intègres est en cela un signal fort.

L’Afrique francophone, comparativement aux pays anglophones d’Afrique, brille par son retard, presque sur tous les plans. Avec le départ du Rwanda, la Francophonie doit se livrer à une introspection sérieuse et sans complaisance. La mauvaise gestion de la démocratie et des ressources par des dirigeants cupides et bénéficiant du soutien de la France est à ce point déconcertante pour les jeunes générations qu’il ne faut pas exclure à terme d’éventuelles désaffections.

 
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posté par rwandaises.com