Ce territoire de l’est du pays vit sous le régime d’une double administration, qui laisse deviner qu’une nouvelle guérilla se prépare à déstabiliser la région

«Je représente une association de défense des droits de l’homme. » Les mots glissés à l’oreille du journaliste n’auront pas de suite. Dans la seconde, deux hommes en civil interrompent brutalement le sexagénaire qui s’éloigne, tête basse, sous les regards d’une foule impassible.

L’atmosphère est lourde à Bihambwe, bourg du territoire (canton) de Masisi, au Nord-Kivu. Ici, à l’extrême est du pays, l’intégration de la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) au sein de l’armée nationale n’a fait que renforcer son emprise sur cette région connue pour la richesse de ses terres et de son sous-sol.

Ici, le pouvoir civil est toujours tenu d’une main de fer par le CNDP, mouvement fondé en 2006 par le général tutsi congolais Laurent Nkunda. Lorsque ce dernier fut « lâché » par ses parrains rwandais au début de l’année, c’est son chef d’état-major, Bosco Ntaganda, qui a pris la suite.

Aux termes d’un accord conclu entre Kinshasa et Kigali, ce criminel de guerre présumé, visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, est devenu le commandant en second de l’opération Kimia 2, visant à combattre les rebelles hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Contesté par les fidèles de son ancien patron, Bosco Ntaganda a joué jusqu’ici le jeu de l’intégration dans les Forces armées de RDC (FARDC). Ce qui ne l’empêche pas de couver discrètement la gestation d’un nouveau groupe rebelle, le Front pour la libération et l’émancipation du Congo (Flec).

Afflux de milliers de réfugiés venant du Rwanda

On lui attribue les enrôlements d’adolescents ayant eu lieu ces dernières semaines à Bihambwe ainsi que dans d’autres localités de la région. « Ils prennent des jeunes comme moi, de 15 à 17 ans », témoigne un adolescent visiblement terrifié.

De fait, on peut croiser des « soldats » de cette tranche d’âge dans le fief du CNDP, Mushake. « Pour certaines familles tutsies, confier un fils au CNDP est une sorte d’obligation morale envers ceux qui défendent leur cause, explique un responsable de l’administration provinciale. Les autres n’ont pas le choix, on leur donne 20 dollars et c’est leur feuille de route. »

Le malaise est renforcé par l’afflux de milliers de réfugiés venant du Rwanda. « Ce sont surtout des Tutsis, dont certains étaient réfugiés en Tanzanie, confie un membre d’une agence de l’ONU. Le transfert est soigneusement organisé à travers des postes frontière non officiels tenus par le CNDP. »

Mêlé à celui de dizaines de milliers de déplacés internes, ce retour après souvent plus de quinze ans d’exil crée des tensions avec les populations restées sur place. « Leurs vaches ravagent nos champs, se plaint un jeune agriculteur de Bihambwe en désignant les huttes abritant des réfugiés, installés sur la colline surplombant son champ. On nous promet des indemnisations, mais elles ne viennent jamais. »

Tandis que les opérations militaires font passer bon nombre des zones minières des mains des FDLR à celles du CNDP, le territoire de Masisi vit sous le régime de deux administrations rivales, l’une « légaliste », contrôlant à peine le tiers du canton, dont son chef-lieu, l’autre dépendant du CNDP, gérée depuis Mushake, un bourg plus proche de la capitale provinciale, Goma.

Tensions avec les troupes originelles des FARDC

S’il a rendu, au début de l’année, l’essentiel du pouvoir civil aux autorités congolaises dans deux territoires voisins qu’il avait conquis militairement, le CNDP en a profité pour étendre son emprise dans son fief historique. Désormais, la quasi-totalité des officiers commandant les troupes du Masisi sortent de ses rangs, ce qui n’est pas sans créer des tensions avec les troupes originelles des FARDC.

Jeudi 3 décembre, un soldat tutsi issu du CNDP a ainsi refusé de se soumettre à la police militaire à Bihambwe, alors qu’il était dépourvu d’ordre de mission. Ayant dégoupillé une grenade, il s’est tué en même temps qu’un des trois policiers militaires qui le contrôlaient. Un des deux survivants a ensuite été lynché par la foule, sous les yeux impuissants de quelques casques bleus sud-africains débordés.

Le lendemain, le commandant du bataillon de casques bleus indiens basé à proximité et le commandant local des FARDC, un colonel issu du CNDP, réunissent les autorités locales. Il s’agit de désamorcer la crise, éviter qu’elle n’embrase les communautés. Les représentants des pouvoirs locaux rivaux sont là.

« Je suis l’administrateur adjoint du territoire de Masisi », se présente le responsable nommé par l’État. « De Masisi centre », le reprend son rival du CNDP. « De Masisi », répète calmement le fonctionnaire. C’est sous bonne escorte de la Mission de l’ONU en RDC (Monuc) qu’il a pu se rendre à Bihambwe, qui est pourtant officiellement sous sa juridiction.

Les discours se succèdent. « C’était un problème purement militaire, lance le colonel Baudouin Ngaruye. Ce n’est pas parce qu’un soldat appartenant à telle ou telle communauté est mort que cela doit déclencher des problèmes ethniques. Je vous présente mes condoléances, mais je suis très mécontent de votre comportement. » « Je présente les excuses de la population, répond un responsable du CNDP, on ne s’est pas bien comporté. »

Enième retournement d’alliances

Puis chacun rentre chez soi, l’administrateur officiel vers l’ouest, ses homologues du CNDP vers leur fief. Ces derniers revendiquent la « double administration » qu’ils entretiennent, financée par des taxes illégales exigées de tout camion de marchandises.

Selon le groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, l’ex-rébellion en tirerait au bas mot 250 000 dollars (160 000 €) par mois. « C’est pour nos blessés de guerre que le gouvernement s’était engagé à prendre en charge, justifie Basile Kapenda Muhima, responsable adjoint de l’administration parallèle. Nous avons montré notre bonne foi, mais le gouvernement n’a appliqué que 20 % de ses engagements. »

Cette « double administration » aurait des allures de Clochemerle si elle n’avait son pendant dans l’armée. Plusieurs centaines de soldats ont déserté depuis septembre. Chacun craint, ici, que cela ne débouche, une fois encore, sur la fondation d’une nouvelle rébellion.

D’autant plus que les troupes du CNDP récemment intégrées dans l’armée sont largement formées de Hutus, peu motivés pour combattre leurs « frères » engagés dans les FDLR. Et un troisième groupe combattant, les « Maï-Maï », milices autochtones, reste très actif, après l’échec de son intégration dans l’armée au début de l’année.

Confiants dans les pouvoirs « magiques » censés les rendre insensibles aux balles, bien des habitants du Nord-Kivu comptent sur eux pour tenir tête aux opérations militaires, avant un énième retournement d’alliances qui les verrait rejoindre à nouveau l’armée gouvernementale.

Laurent d’ERSU, à Masisi

 http://www.la-croix.com/Le-Nord-Kivu-vit-dans-la-crainte-d-une-nouvelle-rebellion/article/2407011/55351

Posté par rwandanews.be