Après avoir été commissaire européen, Louis Michel se prépare à être président de l’Assemblée générale de l’ONU. Cette ambition est l’aboutissement du long parcours d’un homme qui n’a jaais hésité à se mouiller…
En 1999, lorsqu’il devint Ministre des Affaires étrangères, Louis Michel ne connaissait du vaste monde que ce que lui avait appris Jean Gol, le brillant président du PRL dont il avait longtemps été le chef de cabinet. Ce dernier, outre le Moyen Orient, suivait de près les évènements dans les Grands Lacs et y avait décelé, bien avant tout le monde, les tentations génocidaires. Quant au bourgmestre de Jodoigne, orfèvre de la politique belge, il se souvenait aussi de quelques vacances en Afrique du Nord et là s’arrêtait son savoir. Mais l’homme parlait plusieurs langues, comprenait au quart de tour les situations les plus complexes, et surtout, il était enthousiasmé par la mission dont le roi Albert II l’avait chargé : rendre quelque lustre à l’image de la Belgique, passablement ternie par l’affaire du « poulet à la dioxine » mais aussi par la démission de Bruxelles face au génocide rwandais.
Très logiquement, Louis Michel s’avisa d’un paradoxe : ses prédécesseurs aux Affaires étrangères avaient pratiquement tourné le dos à l’Afrique centrale, alors que l’ « expertise » belge dans ses anciennes colonies était toujours reconnue sur le plan international…Ses premiers voyages, en 1999-2000 le menèrent donc au Rwanda qui se relevait à peine du génocide et demeurait hanté par le souci de sa sécurité, ainsi qu’au Congo. Ce pays était alors divisé par la guerre, et il avait pratiquement disparu de l’écran radar des grandes puissances, les millions de victimes du conflit n’ayant pas encore « crevé l’écran ».
Lorsque le ministre découvrit l’Afrique centrale, il eut un choc. Choc politique devant l’ampleur du désastre, choc émotionnel aussi, face à l’état d’abandon des populations et à leurs attentes par rapport à la Belgique…Avec une patience de ravaudeur, le ministre belge entreprit alors de « recoller les morceaux » du puzzle prisé, de replacer le cœur de l’Afrique sur l’agenda des puissances. Les navettes se succédèrent : Louis Michel quittait un Conseil des Ministres en début de soirée, voyageait de nuit, arrivait au petit matin à Kigali, Kinshasa, Dar es Salaam, Kampala, multipliait les entretiens, se rendait sur le terrain dès qu’il le pouvait. A Goma, on le vit arriver en barque via le lac dans une ville ravagée par le tremblement de terre, on le vit à Kisangani en 2000, au lendemain de la « guerre des six jours »visiter le centre ville dévasté, gagner un hôpital, puis un autre, « mouillant sa chemise » sous un soleil de plomb alors que le reste de la délégation déclarait forfait. On le vit s’entretenir à Bukavu avec des jeunes filles victimes de viol et débarquer à Kigali, animé d’une roborative colère, pour être aussitôt refroidi par l’accueil glacial du président Kagame. De mois en mois, toujours à la recherche de l’introuvable paix au Congo, le ministre se rendit dans toutes les capitales africaines, enfilant les succès, les mésaventures, les colères aussi. A Gaborone, la capitale du Botswana, où son petit porteur était immobilisé par une fuite d’huile (heureusement décelée au sol) il s’empara d’un portable pour sommer André Flahaut, alors Ministre de la Défense, et en déplacement à Hanoï, de trouver une solution immédiate.
Ces jours là, le ministre qui somnolait trois heures par nuit, qui engloutissait des repas pantagruéliques à toute heure, faisait chauffer son portable et épuisait son entourage, ne songeait ni à sa santé, ni à l’image de la Belgique : ce qu’il voulait, c’était remettre le Congo sur le chemin de la paix, restaurer un minimum de compréhension entre Kinshasa et Kigali, créer les conditions pour que Joseph Kabila, pour lequel il éprouvait une sympathie quasi paternelle puisse consolider son autorité et aller aux élections. Mais il n’en oubliait pas Jodoigne pour autant : entre deux avions, il n’hésitait pas à apostropher un échevin, à donner des directives aux élus locaux du MR. Lorsqu’il rencontra Fidel Castro pour la première fois, c’est sans crainte que le Belge s’engagea dans une joute oratoire avec l’insomniaque leader. Et au petit matin, tous les autres sujets ayant été provisoirement épuisés, il fut question des porcs de Piétrain, élevés près de Jodoigne et d’une taille exceptionnelle, dont le potentiel de viande impressionna un Fidel très féru d’élevage et d’agriculture.
Lorsque « Bye Bye Belgium » le canular du siècle fut diffusé par la RTBF, Louis Michel, dans ses fonctions de commissaire européen, venait de débarquer à Nairobi. Durant quelques minutes, comme des millions de Belges, il crut en la fin de la Belgique. Son réflexe fut immédiat : « Flahaut, un avion, tout de suite, je dois rentrer… »
En quelques années le maïeur de Jodogne, féru de moto et de bonne chère, était devenu un bourlingueur, «Tonton Michel » s’était fait connaître de tous les Africains. Mais au Moyen Orient aussi, on connaissait son franc parler (qui faillit lui coûter cher en Israël), il avait découvert l’Amérique latine, le monde arabe. Et c’est tout naturellement que le Ministre, soudain aminci, mieux habillé mais toujours bourru, pestant contre les administrations, les bureaucrates, et devenu stratège de la realpolitik, occupa sa nouvelle fonction, Commissaire au développement et aux affaires humanitaires de l’Union européenne. Au départ, face à la Concurrence, à l’Energie, à l’Agriculture, ce poste là ne devait être qu’un strapontin, occupé par un nain muselé. Louis Michel en fit un formidable tremplin, une chambre d’écho et se fit entendre jusqu’à New York…

 

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Posté par rwandanews.be