(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Le partage de l’héritage et la cogestion du patrimoine familial par les femmes, autorisés par la loi rwandaise, divisent de plus en plus les couples. Des hommes mécontents vont jusqu’à tuer leur épouse quand elles exigent le respect de leurs droits.

Cette famille de Kayonza, est du Rwanda, est aujourd’hui divisée : le père de famille et ses deux garçons de 18 et 16 ans opposés à la mère et sa fille de 21 ans. La fille aînée de la famille, soutenue par sa mère, demande sa part de la terre familiale pour pouvoir vivre de l’agriculture, mais son père et ses frères ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, « il faut qu’elle aille se débrouiller ailleurs ou chercher un mari qui lui donnera une fortune ». Un avis qui va à l’encontre de la nouvelle loi rwandaise sur l’héritage.
Depuis que la loi de 1999, relative aux régimes matrimoniaux, libéralités et successions sur les droits de la femme et de la fille au Rwanda, a établi l’égalité entre les sexes en matière de succession, les Rwandaises ont commencé à lutter pour la faire respecter. Elles réclament aujourd’hui haut et fort l’héritage de leurs parents, la succession de leur mari ou la gestion du patrimoine familial, que la loi leur reconnaît. Cela suscite des conflits au sein des familles qui se disputent la gestion ou le partage des biens familiaux.
La terre reste, en effet, la première source de revenus pour des Rwandais. Suivant la loi sur l’héritage, chaque enfant de la famille y a droit. Mais la division de ces petites parcelles en autant de parts que le nombre de membres de la famille est un casse-tête. Les hommes font toujours la loi. « Si les hommes continuent à vouloir gérer seuls tous les biens familiaux, cela va renforcer la désintégration ou la dislocation des familles », note un responsable de Gatsibo, Est.

« Quand la femme hérite, ça irrite »
Brisant l’ancienne culture de soumission, les Rwandaises demandent à gérer le patrimoine familial, une revendication qu’elles sont nombreuses à payer de leur vie. Dans la province de l’Ouest par exemple, en 2009, au moins six femmes ont été tuées par leurs maris, à la suite de conflits à propos de la gestion des biens de la famille, témoigne un officier de la Police judiciaire de la région. Pour l’heure, la police de l’Ouest détient une cinquantaine de dossiers impliquant des meurtres ou tentatives, liés à l’héritage ou à la succession. « Dans tous les procès de meurtres entre conjoints, la cause en est le refus de partager les biens gagnés par les couples », affirme cet officier de police.
Ce que constate aussi Mme Umulisa, activiste des droits de la femme : « Les femmes prennent conscience de leurs droits longtemps bafoués par la coutume et quand elles commencent à réclamer ce qui leur revient, la guerre éclate dans le foyer. Visiblement quand la femme hérite, ça irrite. »
Fin 2008, plus de 360 femmes avaient eu recours à Haguruka, une association qui milite pour les droits de la femme, afin de soumettre des plaintes pour assassinats des leurs ou pour des tentatives de meurtre. Plus de 2 000 autres avaient demandé une assistance juridique devant les tribunaux pour divorcer. Cette association a déjà enregistré près de 23 000 plaintes de femmes et de filles qui réclament la succession dans leurs familles et plus de 28 500 autres de femmes et enfants qui revendiquent le droit aux biens de leurs mères. Plus de 1 400 femmes ont soumis à Haguruka leurs plaintes accusant leurs conjoints d’abandon de famille à la suite de querelles familiales. « Beaucoup ont eu gain de cause dans ces procès et les jugements ont été respectés », se félicite un défenseur judiciaire de l’association.

Favoriser la séparation des biens
Pour de nombreux militants des droits de l’homme, pendant la période de sensibilisation sur la nouvelle loi, on devrait favoriser le régime matrimonial de la séparation de biens ou celui de la communauté réduite aux acquêts. Dans ce cas, chaque époux conserve la pleine propriété de ce qu’il avait avant le mariage et de ce dont il hérite ; seuls les biens et revenus acquis pendant le mariage, les « acquêts », appartiennent aux deux époux. « Petit à petit, les conjoints pourront comprendre le bien-fondé de se marier sous le régime de la communauté universelle de biens (3e régime matrimonial reconnu par la loi, Ndlr), où tous les conjoints ont droit à une part égale du patrimoine familial », estime un avocat au barreau de Kigali.
« Lors du mariage, de nombreux couples optent pour la mise en commun de leurs biens. Ce régime préserve l’unité familiale et permet à la femme d’avoir accès à tous les biens de la famille, explique un magistrat. Ce choix de la communauté universelle de biens pose des problèmes, car certains hommes n’acceptent pas un partage équitable du patrimoine familial. » « Certains, regrette aussi un homme d’Église de Kicukiro à Kigali, choisissent ce régime en prévoyant le divorce dans un proche avenir pour pouvoir ainsi partager la fortune de l’autre conjoint. »

 
 

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Posté par rwandaises.com