Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a condamné, le 18 décembre, à la prison à vie un ex-colonel de l’armée rwandaise, Théoneste Bagosora. Il est accusé d’être le théoricien du génocide de 1994. Pour Le Temps, cette sanction tardive ne suffit pas à masquer les insuffisances de ce tribunal.

L’histoire retiendra son nom comme celui du « cerveau » du génocide rwandais de 1994. C’est en tout cas ainsi qu’il était présenté par l’accusation : Théoneste Bagosora a été condamné, le 18 décembre 2008, à l’emprisonnement à vie par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Il a été reconnu coupable de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Deux autres officiers des forces armées rwandaises, Aloys Ntabakuze et Anatole Nsengiyumva, ont été condamnés à perpétuité par le tribunal d’Arusha, en Tanzanie.

Cette sentence, contre laquelle Théoneste Bagosora fera appel, constitue le point d’orgue d’un procès-fleuve, entamé en avril 2002. « La justice a été rendue. Nous sommes satisfaits », a commenté le représentant de Kigali auprès du TPIR. Les centaines de pages du jugement ne sont pas encore rendues publiques. Mais dans un communiqué, le TPIR en résume les points principaux. Au printemps 1994, Bagosora, ancien enfant de chœur devenu militaire, était directeur du cabinet du ministère de la Défense à Kigali : il exerçait « le contrôle effectif » de l’armée rwandaise. A ce titre, il a été reconnu coupable de l’assassinat, le 7 avril 1994, du Premier ministre Agathe Uwilingiyimana, considérée comme une modérée par les durs du régime hutu, de dix casques bleus belges, d’opposants politiques, ainsi que de la « participation à grande échelle des meurtres de civils perpétrés à Kigali durant cette période ». Précédé, le 6 avril, par l’attentat contre l’avion dans lequel se trouvait le président Juvénal Habyarimana, cet engrenage avait déclenché un déluge de violence meurtrière : le massacre en trois mois de 800 000 Rwandais, des Tutsis pour la plupart.

Mis en place fin 1994 par le Conseil de sécurité des Nations unies, le TPIR avait pour mandat de juger les crimes commis au « pays des mille collines ». Depuis son installation, plombé par sa lenteur et son manque d’efficacité, il a prononcé une trentaine de condamnations et six acquittements, dont celui, hier, du brigadier Gratien Kabiligi.

« Le TPIR n’est pas parfait, souligne Philip Grant, directeur de l’ONG Track Impunity Always (Trial). A budget équivalent, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a rendu le double de jugements. Mais la condamnation de Théoneste Bagosora est une victoire qui permet de rétablir sa crédibilité. »

« On attendait ce jugement depuis très longtemps », acquiesce Thierry Cruvellier, auteur d’un livre intitulé Le Tribunal des vaincus. Pour ce spécialiste, la condamnation à vie du principal suspect est « essentielle sur le plan symbolique ». Sans prononcer le mot génocide, le 10 novembre 2005, Théoneste Bagosora avait admis à la barre que les Tutsis avaient été victimes d’une tuerie, un moment clé de l’histoire du TPIR. Mais ce jugement « n’efface pas l’embarras causé par l’incapacité du tribunal à respecter des principes fondamentaux tel le droit des accusés à un procès rapide », poursuit-il. Douze années se sont écoulées entre l’arrestation, en mars 1996, de Théoneste Bagosora au Cameroun et sa condamnation. Gratien Kabiligi a passé onze ans en prison avant d’être libéré.

En outre, le TPIR a acquitté Bagosora et ses coaccusés du crime de « conspiration en vue de commettre un génocide ». « Les preuves d’une forme de planification de l’extermination ne sont pas là ou pas suffisantes, décrypte Thierry Cruvellier. Ce procès devait être celui de la conspiration. Il est un rendez-vous manqué avec l’histoire : il n’apporte pas une meilleure lecture des faits. »

Le TPIR, dont le fonctionnement coûte chaque année une centaine de millions de dollars, ne parviendra sans doute jamais à faire toute la lumière sur la machination infernale qui a conduit au génocide. Le temps lui est compté : le Conseil de sécurité lui avait dicté d’achever à la fin de 2008 ses travaux en première instance. Un délai supplémentaire d’un an a été accordé. Il ne sera pas plus respecté étant donné le nombre d’affaires en cours. Le président du TPIR, le juge Byron, a déclaré la semaine passée au Conseil de sécurité qu’il souhaitait voir démarrer dix nouveaux procès en 2009.

Pierre Hazan, expert en matière de justice internationale, exprime un autre regret : « Le présupposé de la justice internationale est sa capacité de prévention de nouveaux conflits. Or la dimension dissuasive du TPIR n’a pas joué à l’échelon régional. » Quinze ans après, la région des Grands Lacs n’en finit pas d’endurer les séquelles du génocide rwandais, comme en atteste le conflit qui continue de miner l’est de la république démocratique du Congo

A l’affiche
D’Arusha à Arusha, titre du documentaire de Christophe Gargot, fait référence à à De Nuremberg à Nuremberg, le documentaire que Frédéric Rossif consacra à la machine nazie, de ses premiers congrès au procès de ses dirigeants à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre civile rwandaise en 1994, Arusha est devenu le siège du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Christophe Gargot s’intéresse à ce procès et à la manière dont la communauté internationale veut rendre la justice au nom des Rwandais qui, tout au long du film, commentent le déroulement des différentes sessions présentées dans le film. Une oeuvre qui permet de prendre la mesure des difficultés à appréhender des sujets aussi complexes. Il sort le 16 décembre sur les écrans français.

 

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Posté par rwandaises.com