Bernard Delattre

 

Nouvel accès de fièvre dans les relations orageuses entre pouvoir et médias. Cette fois, c’est le patron de l’armée qui indigne la corporation journalistique.

De tout temps chroniquement délicates en France, et ce, bien avant l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, tendues voire pas rarement orageuses depuis que ce dernier a accédé à la tête de l’Etat, les relations entre médias et pouvoir viennent de connaître un nouvel et brutal accès de fièvre, ce week-end.

Enième et donc lassante crispation dans une longue série ? Cette fois, c’est carrément la vie de journalistes qui pourrait être en jeu. Du coup lundi, cette poussée de fièvre semblait susciter l’embarras jusqu’au sommet du parti au pouvoir, qui faisait tout pour apaiser la tension.

Témoin, le porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefèbvre, qui pourtant entretient des relations difficiles avec la corporation journalistique, a apporté à cette dernière son soutien lundi matin, dans le contentieux l’opposant depuis la veille à rien moins que le chef d’état-major des armées, le général Jean-Louis Georgelin. Dimanche, celui-ci avait révélé que l’armée avait déjà dépensé « plus de 10 millions d’euros » dans les opérations de recherche des deux reporters de France 3 retenus en otages en Afghanistan depuis la fin 2009. « Ce qui alourdit la facture de nos opérations en Afghanistan », avait-il déploré. Avant d’en appeler « au sens des responsabilités des uns et des autres ». « Franchement, je pense que ce n’était pas le moment de dire ça », l’a sèchement recadré le porte-parole de l’UMP, le lendemain.

Ce rappel à l’ordre public du grand patron de l’armée par le sommet de l’UMP est assez inusité. Sans doute s’y est-on résolu en haut lieu, vu le tollé suscité par le haut gradé – même si ce dernier avait assuré ne « pas remettre en cause le droit à l’expression et la liberté de la presse ».

Tollé ? Même la haute direction de France Télévisions, à la communication d’habitude si feutrée, s’est interrogée « sur l’opportunité » de la déclaration du patron de l’armée. Rappelant qu’« il n’était pas, jusque-là, dans les habitudes de la France d’évaluer le coût du rapatriement de citoyens français retenus contre leur gré à l’étranger ». Un ton plus haut, Reporters sans frontières s’est dit « consterné » par « une polémique nauséabonde ». Pour l’association de défense des journalistes, le rappel comptable du général est « indécent » et « irrespectueux » envers les journalistes, « qu’on fait passer pour des inconscients ». C’est « obscène », a vitupéré le syndicat national des journalistes (SNJ-CGT), qui a exigé « des excuses » du n° 1 de l’armée. « Une comptabilité choquante et déplacée », a embrayé le leader centriste François Bayrou. Des propos « inacceptables, parce que les deux journalistes enlevés remplissaient leur mission d’informer », a abondé la socialiste Martine Aubry.

Cela, c’était dimanche. Lundi, les réactions indignées ont continué de tomber. Ainsi, le syndicat CDFT a sommé l’état-major de cesser de « se perdre dans la vulgarité de considérations financières lorsque des vies humaines sont en jeu ». Et la Société des journalistes de France 3, « outrée », a mis en doute le « sens des responsabilités du plus haut responsable de l’armée, alors que des négociations sont en cours et que la plus grande discrétion est réclamée par les autorités françaises ».

C’est la troisième fois en moins de deux mois que le pouvoir est critiqué par le milieu journalistique pour ses prises de position sur ce dossier.

Début janvier, des échos avaient décrit un Nicolas Sarkozy fustigeant, en plein Conseil des ministres, des journalistes « inconscients » d’être partis en reportage en Afghanistan et faisant peser des risques « insupportables » aux militaires français chargés de les retrouver. « C’est vrai que Nicolas Sarkozy, à plusieurs reprises, a dit que cette imprudence était vraiment coupable », avait confirmé par la suite le bras droit du Président, le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant. Selon qui « le scoop ne doit pas être recherché à tout prix ». Depuis, cependant, lors de sa dernière prestation télévisée, le chef de l’Etat avait semblé jouer l’apaisement, estimant que, pour l’instant, l’heure n’était pas à la polémique dans ce dossier.

 

http://www.lalibre.be/actu/international/article/564432/france-grosse-colere-journalistique.html