Sans soulever l’intérêt des foules au sein de l’opinion française, la visite de Nicolas Sarkozy à Kigali ne manque pas de passionner les cercles impliqués dans la promotion et le suivi des intérêts français en Afrique. En témoignent ces articles de presse d’une violence surprenante, où M.Sarkozy est accusé de ridiculiser la France en se rendant à Kigali, le traitant pratiquement de traître.

Ainsi dans un hebdomadaire parisien en ligne, réputé proche des milieux engagés jadis dans l’aventure politico-militaire que Bernard Kouchner qualifie de “faute politique” de la France au Rwanda, on interroge : “Faut-il se réconcilier à n’importe quel prix avec  un  pays  qui pèse aussi peu » ?

Cynique en diable, la question ne manque pourtant pas de pertinence car la poser, c’est y répondre ! En effet, si une grande puissance comme la France, ennemie déclarée de toute « repentance », tient à se concilier les bonnes grâces d’un pays africain sans minerais stratégiques ni pétrole – qui l’accuse de complicité de génocide de surcroît – c’est que des raisons de le faire existent. Voyons lesquelles.

1. Un Dien Bien Phu africain

Le Rwanda parmi les relations africaines de la France, c’est l’histoire d’une bavure. Une erreur de calcul et de parcours que certains n’hésitent pas à qualifier de “Dien Bien Phu africain”, par référence au site de la célèbre défaite de 1954 en Indochine, prélude à la chute de  l’empire colonial que la France s’était taillé dans cette partie du monde. Une erreur due, selon les propres termes de la mission parlementaire française d’information sur l’action de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, à la “sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais”.

Le régime dont il est question est celui de l’ex-président Habyarimana, que des stratèges du rayonnement impérial en France avaient choisi d’appuyer sans réserve dès octobre 1990, pensant miser sur le bon cheval dans un conflit où ils croyaient voir des Africains anglophones montant à l’assaut d’une forteresse francophone. 

La réalité était toute autre. Le 1er octobre 1990, deux générations après avoir été chassés par un pouvoir se prévalant d’une idéologie effectivement ethniste et raciste, des Rwandais avaient fait le choix des armes pour faire valoir leur droit au retour. Le fait qu’ils se soient organisés en Ouganda, pays d’exil où l’anglais est pratiqué par l’élite, n’en faisait certainement pas des militants de la pénétration anglaise dans leur pays d’origine, où les langues européennes n’ont jamais totalisé plus de 4% de locuteurs.(1) .

Et pourtant, c’est sur base de ce genre de faux calculs et de considérations d’un autre âge que deux décennies durant, la politique rwandaise de la France s’est fourvoyée dans une alliance avec les tenants d’un régime qui a clôturé son règne par l’extermination d’une population dont ils avaient la charge.

Un régime dont les dirigeants ont échoué par la suite à justifier les appuis financiers, médiatiques, diplomatiques et militaires censés leur assurer la  reconquête, face à une administration FPR dont la résilience et l’habileté politique avaient échappé aux meilleurs analystes de ce qu’on appelle la Françafrique.

Ne pas procéder à des révisions déchirantes de la politique française vis-à-vis de notre pays dans ces conditions, c’était condamner l’influence de la France au déclin, dans une région des Grands Lacs où le Rwanda tient désormais une place de choix. Dépit et courroux sont donc logiques dans les officines responsables des options tactiques devenues obsolètes en France, où faute de le faire ployer en vingt ans d’acharnement, on se console en disant qu’après tout, le Rwanda ne pèse guère.

2. Les péripéties d’une relation difficile

Début juillet 1994, le FPR inflige une défaite complète aux exécutants civils et militaires du génocide, mettant fin à une hécatombe que le monde entier avait observé sans rien faire. Pris de court par l’effondrement militaire et la disqualification politique et morale de leurs alliés, les dirigeants français pensèrent faire céder le nouveau Rwanda en le punissant d’avoir déjoué leurs calculs. Un réflexe déjà vu à l’oeuvre en 1958, lorsque la Guinée avait voté pour son indépendance immédiate au grand déplaisir de Paris. Rien ne fut épargné à notre pays: opposition impitoyable aux financements nécessaires à la reconstruction, soutien à peine déguisé et multiforme à la destabilisation, recours à l’instrumentalisation de la presse et de la justice pour isoler et diaboliser le leadership rwandais.

On hésita surtout pas devant les accusations monstrueuses: le FPR aurait  sciemment déclenché le génocide en abattant l’avion de l’ex-président Habyarimana, l’extermination des Tutsi étant, parait-il, la seule carte lui permettant d’accéder au pouvoir. Un juge français était arrivé à cette conclusion pour le moins atroce, en fondant l’essentiel de son enquête sur le témoignage du colonel Bagosora, l’orchestrateur suprême du génocide lui-même, aujourd’hui condamné à la détention perpétuelle par la justice internationale. Dans la foulée, il avait lancé des mandats d’arrêt contre neuf personnalités rwandaises de premier plan, dont le Président de la République. Pour le Rwanda, c’était la goutte à faire déborder le vase. L’ambassadeur de France fut invité à plier bagage. C’était en novembre 2006.

3. Le tournant

Avec l’élection présidentielle de 2007 en France, un frémissement se fit sentir. Plus pragmatique ou moins accro que ses prédécesseurs aux concepts “géo-poétiques” qu’on peut lire sous la plume des “spécialistes” affectés aux services des relations avec l’Afrique, Nicolas Sarkozy n’a pas manqué de faire la part des choses. Avec Bernard Kouchner aux affaires étrangères, il n’ignore pas la réalité du génocide perpétré par les “amis” de la France au Rwanda, ni la fabrication laborieuse d’un second génocide de rétorsion qu’il fallait prêter au FPR pour tempérer la compromission de l’Etat français aux côtés de la faction rwandaise génocidaire.

La politique de la France pouvait-elle rester la même vis-à-vis d’un pays qui avait su encaisser treize années d’hostilité intense, pour devenir un modèle de reconstruction et un acteur régional respecté en Afrique des Grands Lacs? Non, assurément.

Alors? Pour reprendre la formule du magazine parisien précité, “faut-il se réconcilier à n’importe quel prix avec le Rwanda »? Oui bien sûr. La France se doit de tourner le dos au déni comme au cynisme, par respect des valeurs qui font l’honneur de son histoire.

Faustin Kagame
Consultant en communication et médias
auprès de la Présidence
Kigali

Note

(1) Ironie suprême, peu avant l’intervention militaire française destinée à remettre le “francophile” Habyarimana en selle, l’enseignement du français venait d’être supprimé au niveau de l’école primaire au Rwanda. Il  sera rétabli sous le gouvernement d’union constitué après le génocide, par les fossoyeurs supposés de la langue de Molière. Comme on peut le voir, le français n’a jamais pu s’y retrouver entre ses amis et ennemis supposés, dans un pays où les langues étrangères sont juste prises pour ce qu’elles sont: des outils nécessaires d’ouverture et d’échange, devant un contexte mondial où plus on en parle, mieux on communique. On est donc très loin des fantasmes prêtant aux Rwandais (rwandophones avant tout), des préférences affectives pour des langues qu’ils doivent aux hasards de la conquête coloniale.


(RWANDA NEWS AGENCY/GRDS LACS HEBDO)

Posté par rwandaises.com