Depuis que Raoul Peck est venu tourner sa fresque Sometimes in April au Rwanda, en 2004, les réalisateurs français, belges, britanniques se sont succédé dans ce petit pays pour y tourner des longs métrages évoquant le génocide des Tutsi, qui fit 800 000 morts en 1994. Les autorités de Kigali surveillent de près les scénarios de ces films. Le régime du président Kagamé, issu du Front patriotique rwandais, qui a pris le pouvoir après avoir défait les génocidaires, encourage les équipes étrangères, tout en produisant lui-même une partie des images qui nourrissent la commémoration officielle de cette catastrophe.

Tous les mois d’avril, à l’anniversaire du début des massacres, les télévisions diffusent des programmes consacrés à 1994. Il s’agit souvent d’images documentaires très brutales, dont le psychiatre Naasson Munyandamutsa dit qu’elles « viennent telles de la nourriture non digérée à l’intérieur de soi-même ; parfois on finit par les vomir ». Le Rwanda a produit très peu de fictions pour l’instant, faute de moyens. Pourtant, le premier long métrage sur le génocide, 100 Days (2001), est rwandais ; il a été produit par Eric Kabera, un exilé anglophone revenu au pays après 1994. Le film reprend très littéralement tous les éléments de la version gouvernementale de la crise et de sa résolution, mettant violemment en cause la France, les Nations unies et l’Eglise catholique.

Aujourd’hui, Kabera dirige le Rwanda Cinema Center, qui forme des réalisateurs et des techniciens grâce à des subventions et des collaborations étrangères. C’est ainsi que le cinéaste allemand Volker Schlöndorff est venu animer des stages à Kigali à plusieurs reprises. Tous les ans, le centre organise un festival itinérant. Un écran gonflable est amené dans les villages des collines rwandaises (la manifestation a été baptisée Hillywood).

Là, dans les villages à majorité hutu, on projette 100 Days ou We Are All Rwandans. Réalisé par une Britannique, Debs Gardner-Paterson, coécrit avec un Rwandais, Ayuub Kasasa Mago, ce film de 2007 relate un épisode postérieur au génocide : une bande armée venue du Congo avait envahi un internat et exigé des élèves hutu qu’ils désignent leurs condisciples tutsi. Face au refus des jeunes gens, les miliciens avaient massacré une classe entière.

« Ne te sacrifie pas ! »

Ayuub Kasasa Mago raconte que lors d’une projection dans un village, il a « entendu un cri, au moment où la jeune fille refuse de dénoncer ses amis : « Ne te sacrifie pas ! » » Le scénariste et réalisateur (d’un court métrage qui évoque la vie quotidienne à Kigali, sans se référer au génocide) explique qu’il est impossible de mesurer l’impact des images et des discours sur la majorité de la population rwandaise. En privé, les Rwandais reconnaissent, voire revendiquent leur appartenance à l’une ou l’autre des communautés, alors qu’il est interdit d’en faire mention en public.

Dans ce contexte où se mêlent une pression idéologique très forte, la formation d’un groupe de jeunes gens dynamiques, formés au cinéma par les tournages de films étrangers et l’occidentalisation à marche forcée du pays – ou tout au moins de sa capitale -, les courts métrages et les documentaires, souvent destinés à alimenter les programmes commémoratifs, se multiplient. Manquent encore les projets de longs métrages nationaux.

Au printemps 2010, les professionnels rwandais attendent avec impatience le début du tournage d’Africa United. Cofinancé par Pathé, dirigé par la réalisatrice de We Are All Rwandans, ce film doit raconter l’histoire de trois enfants rwandais – un orphelin, un enfant-soldat et une petite prostituée. Le trio prend la route, une route de 2010, qui mène près de Soweto, à la finale de la Coupe du monde de football. Ce sera la première fois depuis longtemps qu’on mettra en scène le Rwanda d’aujourd’hui.