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Lors d’une conférence de presse à Paris jeudi, Jacques Toubon, intronisé par Nicolas Sarkozy « secrétaire général du cinquantenaire des indépendances africaines », a lancé les festivités, qui auront comme point d’orgue la tenue d’un sommet France-Afrique fin mai à Nice. Objectif, selon l’ancien Garde des Sceaux, « assumer, expliciter et rénover la relation » entre la France et l’Afrique. Mais dans salle, les interrogations sur la signification de ces célébrations dans l’Hexagone fusent. Et les réponses, elles, sont plutôt évasives.

Il aura donc fallu attendre le 1er avril pour voir officiellement annoncées les célébrations du cinquantenaire des indépendances africaines en France. Un communiqué publié fin juin 2009 par l’Elysée informait pourtant du lancement d’une initiative « 2010-Année de l’Afrique ». Mais au fil des mois – et des complications diplomatico-budgétaires – cette année de l’Afrique en France s’est peu à peu transformée en simple célébration du cinquantenaire des indépendances de 14 pays subsahariens*. Soit.

Nommé par Nicolas Sarkozy « secrétaire général du cinquantenaire des indépendances africaines », Jacques Toubon a donc lancé le coup d’envoi des festivités jeudi matin, lors d’une conférence de presse organisée au Cape (Centre d’accueil de la presse étrangère), à Paris. Et pour commencer, l’ancien garde des Sceaux, que l’on disait en mal de budget dans son tout nouveau secrétariat, a tenu à donner des chiffres: 250 projets sont en gestation pour une enveloppe globale de 16,3 millions d’euros, gérée par les différentes administrations qui participent aux événements (Ministère des Affaires étrangères, Agence française pour le développement, Cultures France, etc). « On ne va pas demander de l’argent aux pays africains, c’est le contraire », a-t-il tenu à préciser, évoquant, le soutien de Paris « à un certain nombre d’initiatives » en Afrique, par le biais de la coopération française.

Un défilé problématique
Point d’orgue des festivités, l’organisation d’un sommet France-Afrique – avec seulement 14 pays africains, donc – fin mai à Nice. Le 14-Juillet sera par ailleurs l’occasion de voir défiler sur les Champs-Elysées des contingents issus des anciennes colonies françaises. « Y compris les armées qui ont commis des massacres? « , s’interroge une journaliste allemande dans la salle. Jacques Toubon feint l’ignorance: « Quelles sont les armées qui ont massacré et qui massacrent?  » La Guinée Conakry, par exemple, où des militaires sont accusés d’avoir tué plus de 150 civils et violé des dizaines de femmes en septembre dernier. Mais quelques minutes plus tard, à la faveur d’une question sur le nombre de chefs d’Etat africains qu’il a rencontrés jusqu’à présent, le secrétaire général rappelle que la Guinée a obtenu son indépendance en 1958 et qu’elle ne figure donc pas sur la liste des invités de ce cinquantenaire. Cinquante ans plus tard, la date est salutaire: Paris évite ainsi un malaise certain.

Quant à la Côte d’Ivoire – alors que le bombardement par l’armée ivoirienne de la base française de Bouaké en 2004 est un souvenir douloureux dans les rangs français – l’état actuel de ses relations avec Paris, sur fond d’incessant report électoral, fait que le problème ne se posera sûrement pas. « La Côte d’Ivoire entend célébrer le cinquantenaire seule, dans le cadre de sa politique nationale de refondation. Nous en prenons acte », a d’ailleurs rappelé Jacques Toubon, précisant toutefois qu’une invitation avait bien été envoyée au président Laurent Gbagbo et à ses troupes.

Reste donc l’éventualité de voir une armée putschiste défiler sur les Champs-Elysées: celle du Niger, où une junte a renversé Mamadou Tandja en février dernier. Un coup d’Etat toutefois relativement peu condamné, les récentes exigences du président déchu sur l’exploitation des mines d’uranium et sa dérive autoritaire étant devenues relativement gênantes. Pour faire bonne figure, on espère désormais côté français que les élections libres et transparentes promises par la junte seront organisées avant le fameux défilé. Jacques Toubon, lui, ne semble pas rentrer dans ce genre de considération. Pour lui, il ne faut voir dans ce défilé que « l’hommage des soldats d’aujourd’hui aux soldats d’hier [et] la reconnaissance de la France aux centaines de milliers de soldats qui, durant la première et la seconde guerre mondiale, ont tenu haut le flambeau de la liberté au sacrifice de leur vie ».

« Les accords de défiance »
Ce défilé sera précédé la veille d’un « sommet familial  » – en matière de relation franco-africaine, le paternalisme n’est jamais loin – qui réunira Nicolas Sarkozy et les quatorze chefs d’Etats concernés. A cette occasion, le chef de l’Etat devrait réaffirmer « la nouvelle approche française » dans ses relations avec l’Afrique, discours qu’il a déjà tenu lors de son voyage au Gabon fin février. Et c’est, selon Jacques Toubon, l’objectif même de ce cinquantenaire. Là où certains s’interrogent sur l’ironie de l’histoire qui conduit la France à célébrer la fin de son propre joug colonial, l’ancien ministre de la Culture et de la Francophonie y voit l’occasion, au contraire, d’ »assumer, expliciter et rénover la relation » entre la France et l’Afrique, et ce, dans « la ligne du discours du Cap », prononcé par le président de la République en février 2008. Déplorant « une certaine ignorance en France et en Afrique de l’histoire de l’Afrique » et jugeant que « cela n’aide pas à clarifier les relations entre nos pays », le secrétaire général espère donc que les célébrations de ce cinquantenaire conduiront à « apporter plus de connaissance » des deux côtés de la Méditerranée.

D’où la volonté de la France de mettre l’accent à cette occasion sur « la formation des jeunes, le développement rural et de l’agriculture vivrière, l’accueil des immigrés, les relations diplomatiques et militaires dont les accords de défiance (sic) viennent d’être profondément modifiés ». Dans la salle, le lapsus de Jacques Toubon fait sourire. Mais les interrogations sur la signification des célébrations de ce cinquantenaire en France demeurent. « S’agit-il d’une réconciliation entre l’ancienne puissance coloniale et les anciens pays colonisés ou bien l’occasion de célébrer l’empire colonial perdu? « , s’interroge un journaliste africain. « S’agit-il pour la France de mettre un voile sur le passé colonial ou de faire son mea culpa? « , renchérit un autre. Le malaise est perceptible.

A ceux-là, Jacques Toubon répond invariablement qu’il s’agit simplement de rappeler une « histoire commune ». « De cet héritage, il faut faire un capital pour l’avenir », ajoute-t-il, estimant qu’il n’est pas du ressort de son secrétariat de faire le bilan de cinquante ans d’indépendance. Le président de la Cité de l’immigration –un autre sujet tabou- renvoie d’ailleurs la balle aux historiens: « Je souhaite que les questions qui n’ont jusqu’ici pas été ouvertes par les historiens soient à l’ordre du jour de ces manifestations (…) afin qu’à la fin de l’année nous puissions répondre à cette question du bilan. » Et d’insister: ce cinquantenaire doit être « un moment de mémoire et de renouvellement ». Une aporie qui résume la difficulté d’être de la relation franco-africaine.

* Togo, Burkina Faso, Madagascar, Congo Brazzaville, Bénin, Cameroun, Niger, Côte d’Ivoire, Tchad, République centrafricaine, Gabon, Sénégal, Mali et Mauritanie

Marianne Enault – leJDD.fr

Vendredi 02 Avril 2010

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