Le 23 avril dernier, à Paris, l’African Business Club (ABC) a organisé, dans le cadre de la 5e édition de son Forum Elit’, l’African Business Conference en partenariat avec l’association ALTERNOSS et l’hebdomadaire économique Les Afriques.

Des intervenants aux profils diversifiés (financier, économiste, entrepreneur, bailleur de fonds et spécialiste du green business) se sont réunis autour du modérateur Erik Nyundu, rédacteur en chef de la chaîne Panafricaine Voxafrica.

Messieurs ZINSOU (Président de PAI partners et Conseiller Spécial du Président béninois), SAVI DE TOVÉ (Africa Portfolio Manager de CDC Plc), AMIONG (Directeur des Opérations de PetroGabon), RAY (Conseiller Spécial auprès de Monsieur SÉVÉRINO, Directeur Général de l’Agence Française de Développement) et TÉNÉ (Directeur du cabinet A2D Conseil) constituent le panel des intervenants. Bien que précis, l’objectif de cette manifestation n’en est pas moins complexe.

La discussion débute sur un retour en arrière : réaliser un bilan du chemin parcouru depuis les années 1960. La réflexion s’ancre dans le contexte des indépendances, période qui s’apparentait alors à un point de rupture, synonyme d’émancipation des nations africaines à-même de prendre leur destin aussi bien politique, économique que social, en main.

Et si l’Afrique était bien partie ?

D’un point vu historique, comme l’a souligné Olivier Ray (co-auteur avec Jean-Michel Severino de l’ouvrage « Le Temps de l’Afrique »), on oublie souvent que dans les années 60 l’Afrique était plus avancée que l’Asie sur le plan économique. Cette affirmation contredit d’une certaine manière la thèse de René Dumont, auteur de « l’Afrique noire est mal partie » en 1962.

A la sortie des indépendances, la majorité des nations africaines ont fait le pari des matières premières, ces dernières devenant alors un élément névralgique des stratégies de développement. Le décrochage et la sous-performance de l’Afrique par rapport à l’Asie ou l’Amérique Latine prennent leur origine dans l’effondrement des cours dans les années 1980. Malgré elle, l’Afrique devient « victime de la tragédie des cycles conjoncturels ». Cet élément marque le point de départ de la sous performance africaine et de la divergence de trajectoire du continent par rapport aux nations d’Asie du Sud Est notamment. Thierry Téné ajoute que les stratégies de développement retenues par les jeunes nations africaines ne reposaient pas sur des fondamentaux stables. Cependant, on pourrait aussi analyser le chemin parcouru par l’Afrique, comme le mentionne Lionel Zinsou, avec une grille de lecture africaine et non pas « occidentale » : les progrès parcourus doivent être lus à travers un prisme qui intègre notamment les éléments démographiques et socio-économiques caractéristiques de l’Afrique au sortir de la colonisation. Or, « il n’était pas simple d’administrer de tels fondamentaux ». Ainsi par exemple, « en 1960, le Bénin avait 400 000 personnes à scolariser, aujourd’hui il y en a plus de 6 000 000 » précise-t-il. Cet afro-optimiste convaincu estime que l’Afrique a progressé et continue de progresser : la mortalité infantile baisse, l’accès à l’eau potable s’intensifie, les taux d’alphabétisation sont à la hausse. De plus, même si le phénomène n’est pas uniforme, les nations africaines s’engagent sur le chemin de la transition démographique.

La plupart des pays africains n’ont pas adapté une démarche suffisamment « proactive » contrairement à l’Asie, peut être par peur de « prendre résolument leur destin en main ». C’est dans ces termes que Jean-Marc Savi de Tové déplore l’attentisme des « nations africaines dans l’enfance ». Jacques Amiong qui intervient en qualité d’industriel africain ajoute cependant que la période post indépendance est marquée par l’édification progressive d’un secteur industriel dont la marge de progression reste grande.

Connaître le passé pour mieux relever les défis à venir…

Une fois le bilan dressé, une question se pose : a-t-on tiré les leçons du passé ? Sur ce point, les intervenants s’accordent sur le fait que les dynamiques aussi bien démographiques, qu’économiques ou sociales à l’œuvre sur le continent ont évolué. De plus, à l’issue des Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) et des politiques d’austérité, les nations africaines cheminent vers la stabilité macroéconomique, alors que certains pays européens font aujourd’hui appel à la solidarité de l’Europe et du FMI pour régler leur déficit budgétaire devenu abyssal : ironie du sort ou preuve d’évolution de l’Afrique ? : « Les pays africains redressement leurs comptes de façon spectaculaire et se désendettent », avance Lionel Zinsou. Le continent rivalise désormais avec l’Asie au rang des zones géographiques affichant les taux de croissance les plus élevés de la planète.

M. Zinsou réfute l’idée largement répandue selon laquelle les économies africaines seraient des économies de matières premières : le secteur primaire occupe, il est vrai, la majorité de la population active, mais c’est le tertiaire (notamment les télécommunications et les services financiers) qui s’illustrent comme les premiers contributeurs au PIB. Cette tendance ne pourra que s’accentuer dans les années à venir. Toutefois, l’Afrique a besoin d’une « vraie révolution agricole » : les gains de productivité permettront non seulement d’atteindre l’autosuffisance alimentaire à l’échelle continentale, mais aussi d’affecter davantage de facteurs de production au secteur secondaire.

Enfin, au-delà des aspects d’ordre politique, économique et social, l’Afrique connaît avant tout des mutations idéologiques. Les intervenants s’accordent à dire que cette dynamique se traduit notamment par la prise en compte des opportunités que peut offrir le continent, l’émanation d’un esprit d’initiative, et la promotion de l’entreprenariat. Thierry Téné précise notamment le rôle « accélérateur » des nouvelles technologies dans ce mouvement.

L’Afrique en marche…

Nous l’avons compris, l’Afrique est tout sauf un continent statique. De nombreuses dynamiques sont à l’œuvre sur le continent : « Il est temps de se fixer des objectifs et d’aller de l’avant » résume Thierry Téné.

Les années 2000 apparaissent comme la décennie de la croissance : les pays assainissent leurs finances publiques et mettent en place des mesures d’amélioration de l’environnement des affaires. La dette extérieure se réduit considérablement et représente désormais 25% du PIB en moyenne.

Le continent s’illustre plus que jamais comme une terre d’investissement. Objet de convoitise des puissances émergeantes, le continent développe aussi une dynamique « interafricaine ». Ainsi, le Maroc, l’Afrique Sud ou encore le Nigéria y multiplient leurs investissements. La capacité des fonds de private equity à lever des ressources à destination du continent (13 milliards entre 2004 et 2008) s’inscrit dans la même logique. Ainsi, M. Savi de Tové indique que CDC Plc, structure publique britannique spécialisée dans l’investissement en fonds de fonds dont il gère le portefeuille Afrique, consacre près de 50% de ses ressources à l’Afrique. De même, à l’exemple de Proparco, et de la Société Financière Internationale, les bailleurs de fonds accompagnent l’initiative privée en Afrique. Cependant, le private equity se développe de façon inégale, les pays francophones restant à la traîne par rapport à leurs homologues anglophones.

Le green business, un concept sous exploité malgré son potentiel avéré

Le green business figure parmi les opportunités dont l’Afrique peut tirer profit. Mécanisme de développement propre, énergies renouvelables, finance carbone, projet Désertec… Thierry Téné est convaincu que le green business est un potentiel vecteur de croissance à la portée de nos économies. Ingéniosité et vision constituent les mots d’ordre de ce que ce spécialiste de la question appelle « l’abondance dans la rareté », à savoir la capacité de nos états à anticiper l’amenuisement des matières premières, à en déceler le potentiel en termes d’opportunité et à établir un cadre préalable propice à l’essor du green business. Ils doivent impulser une « rationalité dynamisante ».

Malgré le chemin parcouru, l’Afrique bénéficie d’une marge de progression largement perfectible : la révolution agricole reste à faire (le continent affiche les rendements agricoles les plus faibles au monde), les économies africaines doivent accroître leur compétitivité en se dotant d’infrastructures de qualité et en garantissant un approvisionnement correct en énergie.

Or, fortement « capital intensive », ces pré-requis à la compétitivité obligent les états à développer leur capacité à mobiliser l’épargne internationale, en plus des flux financiers générés par la diaspora et l’aide internationale au développement. Cette dynamique passera nécessairement par le développement des marchés financiers africains et la prise en compte de nouveaux compartiments de la finance tels que la finance carbone.

L’Afrique future…

Au terme de cette conférence nous retiendrons que de nombreuses mutations sont à l’œuvre sur le continent. Après un demi-siècle d’indépendances, les nations africaines composent avec leurs réalités et établissent les nouveaux paradigmes de leur développement. Nous vivons une étape charnière qui définira de manière active ou passive les fondamentaux du futur.

L’Afrique franchira le cap du deuxième milliard d’habitants dans les trente prochaines années. A l’échelle du continent, la densité au kilomètre carré passera ainsi de 36 à 72 habitants. Ce phénomène sera source d’enjeux qui dépassent les simples questions démographiques. La croissance économique et l’émergence d’une classe moyenne dans les pays devront composer avec les « poches de pauvretés » qui parsèment l’espace africain. En résulte la nécessité pour les Etats d’établir des modèles économiques ancrés dans la réalité du continent, mais qui répondent avant tout à une vision portée par un projet économique et social limpide fondé sur une connaissance du continent.

Les jeunes Africains sont prévenus, l’Afrique est à la croisée de son destin. Ils auront un rôle proéminent à jouer dans cette nouvelle page du devenir africain en ayant à l’esprit les paroles pleines de sagesse de Frantz Fanon qui dans Les Damnés de la Terre n ‘hésite pas à lancer cet avertissement : « chaque génération, doit dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».

Par Melissa Etoke Eyaye et Jean-Jacques Ngono de l’African Business Club

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Posté par rwandaises.com