L’accord conclu lundi par le Brésil, la Turquie et l’Iran a nourri de vifs espoirs de changement de gouvernance mondiale. Le chemin reste encore long pour un tel avènement

La gouvernance mondiale dans le domaine de la sécurité internationale est-elle en train de se transformer? L’accord conclu lundi par le Brésil, la Turquie et l’Iran dans le domaine nucléaire a rapidement suscité l’espoir de mettre fin à la domination des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Chine, Russie, France et Royaume-Uni) qui perdure depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a surtout laissé croire que cette initiative de deux pays émergents ambitieux allait permettre de sortir de l’impasse dans laquelle se sont enfermées les six puissances (les cinq + l’Allemagne) qui négocient avec la République islamique afin de s’assurer qu’elle ne développe pas un programme nucléaire à des fins militaires. L’accord prévoit que l’Iran transfère 1200 kilos d’uranium en Turquie en échange de 120 kilos de combustibles enrichis à 20% que Téhéran entend utiliser à des fins médicales.

Le secrétaire général de l’ONU a qualifié cette initiative turco-brésilienne «d’avancée positive». D’autres commentateurs ont même parlé de moments historiques pour le Sud qui seraient enfin en mesure, à travers les puissances émergentes que sont le Brésil et la Turquie, de modifier le système international de manière à le rendre plus représentatif des rapports de force réels. L’accord a en tout cas été pris au sérieux par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Mardi déjà, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton annonçait qu’un consensus avait été trouvé sur un projet de quatrième résolution imposant des sanctions à l’Iran. Une manière de couper court à la diplomatie d’Ankara et de Brasilia. Mercredi, à Madrid, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a mis en garde contre l’arrogance du Conseil de sécurité s’il devait décider de ne pas débattre de l’initiative turco-brésilienne.

Conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique et président du Conseil de fondation du Centre de politique de sécurité de Genève, François Heisbourg pense que l’accord turco-brésilien rompt l’unanimité du Conseil de sécurité et le polarise. «Le défi pour les cinq membres permanents sera d’obtenir les neuf votes nécessaires pour faire passer la nouvelle résolution. Ce d’autant que les abstentions équivalent à des votes négatifs», relève François Heisbourg. Pour ce dernier toutefois, on n’assiste pas à une remise fondamentale de l’ordre international, mais de l’ordre nucléaire mondial. La Turquie et le Brésil ont de vraies ambitions nucléaires civiles. «Le Brésil et la Turquie sont deux membres non permanents du Conseil de sécurité. Ils agissent donc de l’intérieur du système.» Le conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique pense que l’accord conclu lundi à Téhéran aurait pu transmettre un message fort à la communauté internationale. «Mais les Iraniens ont commis une grave erreur en affirmant qu’ils allaient continuer à enrichir de l’uranium à 20%. Une manière de vider l’accord de sa substance.»
La diplomatie turco-brésilienne aurait eu beaucoup plus d’impact si elle avait produit un résultat plus probant. La question de l’enrichissement n’est en rien réglée par l’accord. De fait, Washington a réussi à obtenir un consensus de Moscou et de Pékin, jusqu’ici réticents à adopter de nouvelles sanctions, grâce au faux pas iranien. Professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement (Iheid), Mohammad-Reza Djalili pense que les Etats-Unis ont «manœuvré à l’iranienne en contrant avec succès le souhait de Téhéran d’affaiblir le consensus au sein des six puissances». Et le professeur de poursuivre: «La diplomatie turco-brésilienne complique le jeu. Mais il rappelle aussi les intérêts économiques nationaux des deux Etats: le Brésil vient de signer un gros contrat avec la République islamique et les échanges commerciaux entre les deux pays s’élèvent à près de 10 milliards de dollars. La Turquie est le plus grand partenaire de l’Iran.»

Professeur de science politique à l’Iheid, David Sylvan est aussi sceptique quant au changement de gouvernance mondiale: «On en parle tous les cinq ans. D’un point de vue économique, c’est le cas. Au plan politique, les grandes puissances ne sont pas prêtes à limiter leur pouvoir.»

Dans l’après-guerre, plusieurs initiatives ont tenté de modifier l’ordre mondial. La création du Mouvement des non-alignés à Bandung en 1955 en fut une, mais elle ne fut pas suivie d’effets concrets. Ici, la donne a néanmoins changé. Le Brésil a la démographie et aura bientôt la force économique pour jouer dans la cour des grands.
jeudi20 mai 2010

Stéphane Bussard

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Posté par rwandaises.com