Monsieur le Président, Le Sommet France-Afrique, le 25ème du genre vient de fermer ses portes à Nice, sans avoir véritablement répondu aux attentes du continent africain. C’est une vérité qui tombe sous le sens tant et si bien que je voudrais reprendre à mon compte, votre interrogation : « Un sommet Afrique-France pour quoi faire ? Est-ce encore utile ? Ne faut-il pas y voir de la part de la France, l’expression, comment le dire, d’une forme de néo-colonialisme ? Ou encore la volonté d’entretenir, par la perpétuation d’un rite qui serait devenu désuet, l’illusion d’un rôle révolu ? », fin de citation. Votre interrogation pour son honnêteté, mérite des réponses courageuses, d’autant que selon vous « entre amis, dans une relation de confiance ; on doit pouvoir parler de tout, sans fâcherie et sans gêne ». Monsieur le Président, comme bien d’acteurs politiques du continent, j’ai tendu l’oreille vers les résolutions de ce 25ème sommet. Vous avez reconnu qu’ « aucun, absolument aucun des grands problèmes auxquels notre monde est confronté ne pourra trouver de solutions sans la participation active du continent africain ». Vous avez donc décidé d’engager la France dans une bataille pour faire une place à l’Afrique dans la gouvernance mondiale, parce que « il est absolument anormal que l’Afrique ne compte aucun membre permanent au Conseil de Sécurité ». Le disant, vous vous positionnez comme le défenseur de l’Afrique. Drôle de défenseur j’avoue, que cet ami qui n’a encore participé à aucune des célébrations des cinquantenaires de l’indépendance. Monsieur le Président, aussi vrai que vous soutenez que ‘‘la France veut parler à toute l’Afrique’’, chacun des pays africains souhaite parler à toute l’Europe. Je le dis parce qu’un sommet qui met tout un continent devant un pays me paraît suspect, qu’il s’agisse d’un sommet France-Afrique ou Chine-Afrique…etc. Je dois reconnaître cependant que votre engagement à intégrer l’Afrique dans la gouvernance mondiale a réussi à lui tout seul à dominer le sommet. C’est en effet un discours de rupture du point de vue de la politique en France. Il a très peu de chance, cependant, de passer pour un discours pertinent. Rien donc de nouveau sous nos soleils de famine, de misères et de maladies, parce que votre engagement a certaines insuffisances. D’abord ce n’est pas à la France de défendre le continent africain, un peu comme si par compassion, elle consentait à demander à un cercle d’amis de bien vouloir autoriser l’Afrique à occuper un poste permanent au Conseil de Sécurité. N’est-il pas vrai que pour intégrer l’Union Européenne, les Etats qui en manifestent le désir doivent satisfaire un certain nombre de critères ? Si cela est vrai pour l’Union Européenne, cela doit l’être également pour le Conseil de sécurité des Nations Unies. Et si tant est qu’il existe des critères, même non écrits, qu’il soit tout simplement permis aux pays qui les remplissent d’y accéder sans qu’il n’aient besoin de parrainage, au risque de faire le lit de chantages et autres marchandages. Un membre permanent du Conseil de sécurité, admis un peu par compassion peut-il soutenir un autre point de vue que celui de son parrain ? Le fait est que seuls le niveau de développement et la force de dissuasion d’un pays déterminent sa place dans la gouvernance mondiale. Si donc la France entend travailler pour l’Afrique dans la gouvernance mondiale, je ne saurai que trop lui conseiller de travailler d’abord pour l’épanouissement économique et la souveraineté militaire du continent. Vous vous souvenez certainement des échanges inamicaux que vous avez eus avec la Chine de Hu Jintao après que les Chinois aient manifesté leur désapprobation de voir la France accueillir sur son sol le Dalaï -Lama en 2008. « La France ne se laissera pas dicter sa politique extérieure », avez-vous dit avant que Mme Rama Yade enfonçant le clou, ne déclare que le Président Français ne participerait pas à la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques de Beijing. L’annonce avait valeur de sanctions pour un pays récalcitrant qui trainait les pas sur la voie des droits de l’homme. Monsieur le Président, vous avez pourtant gratifié la Chine d’une présence remarquée et remarquable, obligeant je m’en souviens, le député européen, Daniel Cohn Bendit à vous accuser de forfaiture. Il avait parlé d’une capitulation en rase campagne, et avait accusé la Présidence française d’être « une girouette qui dit à un moment une chose qui est vraie, et à un moment dit une chose qui est fausse ». Vous l’avez fait parce que vous redoutiez les sanctions économiques que la Chine aurait pu infliger aux intérêts français. C’est connu, les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Vous ne vous battez en réalité que pour les intérêts de la France. Depuis le 1er sommet France-Afrique avec Georges Pompidou en 1973 jusqu’au 25ème que vous venez de présider, la France n’a fait que cela, se battre pour ses intérêts. Après la guerre israélo-arabe, le Premier sommet avait eu pour enjeu d’impliquer l’Afrique – bien entendu sous la bannière de la France – à la construction de la paix autour du bassin méditerranéen. Le 25ème est plutôt une sorte de baroud d’honneur devant la percée des Chinois et des Américains sur le continent. Comme ils se ressemblent tous, ces sommets France-Afrique. En 1981, François Mitterrand s’était dit proche de l’Afrique, un peu comme vous vous présentez aujourd’hui comme le défenseur de l’Afrique. Que vaudrait bien pour l’Afrique, une place qu’elle obtiendrait par compassion au Conseil de Sécurité ? En vérité, ce n’est pas tant le Conseil de sécurité qui nous intéresse, c’est bien un nouvel ordre mondial qui reconnaitrait la souveraineté effective de chaque Etat et qui comprendrait que cinq Etats ne peuvent décider du sort du monde. Monsieur le Président, Au même titre que les Présidents Obama des USA, Medvedef de la Russie, le Premier-Ministre britannique David Cameron, vous faites partie des dirigeants des nouvelles générations, c’est-à-dire des dirigeants plus sensibles aux questions de développement qu’aux questions de prestige. Vous avez conforté en moi cette conviction en déclarant à Nice que « la stabilité est le préalable indispensable à toute politique de développement ». Vous avez raison, parce que les anciennes colonies françaises ne connaissent plus la paix. Certes, elles ne sont pas en guerre, les unes contre les autres, mais elles plient presque toutes, sous le poids de tensions internes qui compromettent leur développement. Elles ne sont donc pas engagées dans la dynamique du développement, mais occupées à régler ce que vous appelez pudiquement, des crises institutionnelles. Si donc la stabilité conditionne le développement, il urge que nous nous interrogions ensemble sur les causes des crises à répétition qui secouent le continent. Je vous le dis très sincèrement, tant que dans une sorte de nostalgie, l’ancienne puissance colonisatrice aura des candidats, des préférences qu’elle voudra absolument au perchoir, la démocratie s’en trouvera tronquée. Et les crises surgiront, parce qu’il n’est pas évident que le choix de l’ancienne métropole soit celui des peuples. Au cours du sommet, vous avez annoncé que la France consacrera 300 millions d’Euros à former 12 000 soldats africains pour les forces de maintien de la paix et de la sécurité en Afrique. C’est une annonce intéressante et dangereuse à la fois. Intéressante, parce qu’il est bon de régler les problèmes. Dangereuse parce qu’elle ne permet pas d’anticiper sur les crises, alors qu’il est nettement préférable de les prévenir que de les régler. Devrais-je comprendre que nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles crises, si vous pensez déjà à les régler ? L’idée de la création d’une force interafricaine d’intervention elle-même n’est pas nouvelle. Mitterrand l’avait déjà annoncé au sommet de Biarritz en 1994, mais elle est restée lettre morte. Il y a de fortes chances qu’à votre tour, vos propos ne soient suivis d’effets, parce que tout cela ressemble à du réchauffé. Pour rappel, un sommet a déjà été entièrement consacré à la sécurité sur le continent miné par de nombreux conflits. Celui de 1998 qui s’est ténu avec Jacques Chirac à Paris dans un environnement marqué par la guerre en République démocratique du Congo qui a dégénéré en conflit régional. Depuis, que de conflits sur le continent, sans que la France n’ait jamais songé à la mise sur pied de cette force d’interposition. Tout se passe comme si les sommets France-Afrique n’étaient que des catalogues de bonnes intentions, justes bonnes pour des shows médiatiques. Vous faites bien de saluer à ce propos le rôle joué par l’Union Africaine dans les conflits sur le continent. Vous faites bien, parce qu’il est grand temps que cet organisme s’occupe d’autres choses, notamment de développement et de croissance économique, un peu comme l’Union Européenne le fait pour le vieux continent. Pour y arriver, il faudra bien que les pays africains débarrassés de toutes contraintes puissent vivre non plus une démocratie surveillée comme l’ont été les indépendances, mais une démocratie véritablement ancrée dans les valeurs de la liberté et du respect des lois qu’ils se donnent. C’est pour cela que votre allusion aux crises institutionnelles que connaissent nos Etats m’interpelle. Et quand vous ajoutez que le continent connaît la position de la France sur les droits de l’homme et qu’« en Afrique comme ailleurs, la population demande des comptes au gouvernement », j’ai peur que vous ne soyez en réalité en train de dévoiler les prétextes qui autorisent les ingérences malencontreuses. Vous avez volontairement omis de parler du rôle de la France dans les crises en Afrique, peut-être parce que vous et nous savons tous que les crises en Afrique sont en réalité la face visible de l’iceberg du désidérata des grandes puissances. Cela me préoccupe, non pas en tant qu’acteur politique, mais tout simplement comme Africain, témoin de certains faits. Monsieur le Président, où est donc passée cette rébellion tchadienne, l’Union des Forces pour la démocratie et le Développement (UFDD) qui a assiégé le temps d’un week-end, le palais présidentiel de N’Djamena avant de disparaître comme par enchantement ? Comme bien d’observateurs, j’ai noté que le départ subit de la rébellion ne pouvait être sans rapport avec la libération des enfants de l’Arche de Zoé, les français que les autorités tchadiennes maintenaient en détention. Je n’aurais peut-être jamais les réponses à cette question, et c’est bien ce qui me préoccupe. Comment clore mes observations sur votre intervention au sommet France-Afrique sans revenir sur le développement ? J’ai vu avec quelle détermination, l’Europe s’est battue pour ne pas soumettre la Grèce à un plan d’ajustement structurel. Or donc, les plans d’ajustements structurel ont quelque chose d’humiliant. Pourriez-vous Monsieur le Président, me montrer un seul pays du continent qui ne soit sous ajustement structurel. S’il s’en trouve -sait-on jamais, ils ne doivent pas excéder les cinq doigts de la main. Si vraiment comme vous le dites, « L’Europe et l’Afrique ont une communauté de valeurs » et que « la France veut être l’alliée de l’Afrique », pourquoi donc nous offre-t-elle ce qu’elle tient en horreur pour des Européens ? C’est une réalité qui devrait interpeller aussi les élites africaines, parce qu’il est clair désormais que les institutions de Breeton-Woods ne devront plus constituer les 90% de nos budgets. C’est assurément une des réponses aux questions du développement, autrement l’Europe aurait invité la Grèce à s’inscrire aux guichets du FMI et de la Banque Mondiale. Je ne peux donc croire à la crédibilité du sommet France-Afrique qui par ailleurs n’a pu traiter la question de la fuite des cerveaux de l’Afrique, après celle de ses bras valides. Qu’est-ce qui doit être fait pour que les Africains des nouvelles générations ne se sentent plus obligés de monnayer leurs intelligences en Europe ou en Amérique ? Sauf votre respect, vous étiez probablement en clientèle pour la France. C’est du moins ce qui se dégage de votre allocution de clôture, et je cite : « (…) La France est optimiste sur les capacités et les atouts de l’Afrique. L’Afrique a une superficie considérable, dans un monde où l’espace va devenir une denrée rare. L’Afrique a une démographie exceptionnelle dans un monde qui va manquer de jeunesse. L’Afrique a un dynamisme, une croissance sur laquelle on peut appuyer un développement économique (…) le fait que nos amis chinois, nos amis américains s’intéressent à l’Afrique, pour nous, c’est plutôt une bonne nouvelle. Parce que ce n’est pas leur faire injure que de dire qu’ils ne le feront pas de manière désintéressée. Et que par conséquent, s’ils trouvent intérêt à y aller, cela prouve que nous, les raisons de vous aider et d’être à vos cotés, ce sont des raisons qui ne sont pas simplement liées à l’histoire mais qui sont liées à l’avenir » (Fin de citation). Je comprends mieux pourquoi après 25 éditions du sommet France – Afrique, les pays africains demeurent politiquement sans influence, militairement inexistants, financièrement endettés et économiquement exsangues. Que de préoccupations autour de la pertinence de ce sommet. J’avoue que je vous ai dit tant et tant de choses, que vous serriez dans votre bon droit de me demander mon point de vue sur les Africains. Votre préoccupation serait légitime et je la partagerai bien volontiers. La raison est toute simple parce que les chefs d’Etat africains doivent changer de lunettes et voir autrement la France, autant que les peuples dont ils ont la charge. Pourront-ils dire si le 25ème sommet a donné réponse à leurs préoccupations, plus exactement aux préoccupations de leurs populations. Pourront-ils rassurer celles-ci après ce sommet, que la démographie et la jeunesse de l’Afrique ne seraient plus des handicaps ? Pourront-ils dire que le sommet de Nice leur a permis de vaincre l’analphabétisme, le sida, le chômage et la délinquance juvénile ? Nous aurions tous raison de nous interroger sur leur participation à ces sommets qui sont pour certains, le gage d’une certaine reconnaissance et pour d’autres la consolidation de vieilles amitiés. Nous sommes tous d’accord que l’Afrique n’a jamais été en réalité présente à ces sommets France-Afrique. Autrement, elle aurait milité pour la mise en place d’un mécanisme de contrôle et de suivi des engagements. Elle aurait insisté pour que le sommet traite des questions d’entrepreneuriat et d’industrialisation, sur lesquels le continent accuse un sérieux retard. Les conditions de l’Industrialisation existent en Afrique autant que les ressources humaines. Pourquoi n’est-elle pas encore industrialisée ? Pourquoi à contrario des pays qui ne participent pas à ces sommets France -Afrique, et qui disposaient moins d’atouts que l’Afrique soient devenus aujourd’hui des pays dits émergents, comme la Chine, le Brésil, la Corée du sud… ? De là à conclure que vous avez été bien inspiré de vous interroger sur la pertinence des sommets France-Afrique, il n’y a qu’un pas à franchir. J’estime pour ma part, que les sommets France-Afrique ont vécu et qu’il faut désormais mettre l’accent sur des sommets pour l’aide bilatérale, c’est-à-dire des sommets entre Etats, et non entre un Etat et un continent, des sommets entre l’Union Africaine et l’union Européenne, des sommets entre l’UEMOA et la zone Euro etc. A quand donc les sommets pour parler des pays africains qui renoncent à demeurer des pourvoyeurs de matières premières ? A quand les sommets pour débattre de la question des pays africains qui s’engageront dans le domaine du spatial et du nucléaire ? A quand les sommets pour parler de la contribution des pays africains à la recherche sur l’évolution des nouvelles technologies de l’information ? Ces questions sont d’une très grande importance. Vous voudrez donc me permettre monsieur le Président de profiter de cette correspondance pour inviter les leaders africains à mettre dès à présent en place, les fondamentaux d’une Afrique nouvelle. Je parle de ce continent que nous, nouvelle génération africaine voulons bâtir en opérant une relecture de notre collaboration et de notre contribution dans les sommets qui ne sont parfois qu’un simple show médiatique. C’est à ce prix que nous parviendrons à un partenariat gagnant-gagnant, une sorte de rendez-vous du donner et du recevoir. Pour les Africains, il faut surtout songer à redynamiser les organismes régionaux. Ils ne doivent plus avoir des agendas pour la résolution des conflits. Ils doivent plutôt avoir des initiatives de développement. Je vous remercie d’avoir accepté de distraire un peu de votre temps précieux pour lire ma missive. Salutations respectueuses.

Stéphane Kipré, Leader d’opinion, acteur politique et opérateur économique africain.

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