LE CAIRE – Un traité de partage d’eau entre cinq pays en amont du bassin du Nil – à l’exclusion de l’Egypte et du Soudan – a relancé le différend de longue date sur la répartition des eaux. Cependant, les experts locaux disent que l’accord ne compromettra pas la part historique de l’Egypte des eaux du Nil.
« L’Egypte dépend des eaux du Nil depuis des milliers d’années », a déclaré à IPS, Hani Raslan, chef du département pour le Soudan et les pays du bassin du Nil au Centre Al-Ahram pour les études politiques et stratégiques, basé au Caire. « Nul ne peut fixer une limite sur l’utilisation du Nil par l’Egypte, qui est protégé par le droit international ».
Mais l’Ethiopie, le Rwanda, l’Ouganda, la Tanzanie et le Kenya ont d’autres idées, comme il ressort du nouveau traité sur l’eau qu’ils ont élaboré au cours d’une réunion en mai à Entebbe, en Ouganda.
A la mi-avril, les représentants de neuf Etats du bassin du Nil – y compris le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC), l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda – se sont rencontrés dans la ville balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh afin de parvenir à un accord mutuellement acceptable sur le partage des eaux du fleuve.
Tel que se présentent les choses actuellement, le partage des eaux du Nil est déterminé par deux traités rédigés en 1929 et en 1959, qui accordent à l’Egypte et au Soudan la part du lion. Aux termes des deux accords, l’Egypte a le droit d’utiliser 55,5 milliards de mètres cubes des eaux du Nil par an, tandis que le Soudan bénéficie d’un quota annuel de 18,5 milliards de mètres cubes.
Les traités stipulent également qu’aucun grand projet d’eau, tel que les barrages ou les travaux d’irrigation, ne peut être entrepris dans les pays en amont sans l’autorisation expresse de l’Egypte et du Soudan.
Mais, les pays en amont se plaignent depuis longtemps que ces deux traités – signés pendant qu’ils étaient sous occupation coloniale – ne parviennent pas à garantir leurs droits légitimes à l’eau. Toutefois, l’Egypte et le Soudan rejettent fermement toute réduction de leurs parts actuelles de l’eau.
Depuis la fin des années 1990, les Etats du bassin du Nil essaient en vain d’élaborer un accord-cadre révisé pour le partage de l’eau, baptisé l’Initiative du bassin du Nil (NBI). Deux récentes conférences consacrées à la question n’ont pas réussi à résoudre l’impasse.
En mai 2009, les discussions organisées à Kinshasa, la capitale de la RDC, ont échoué parce que les quotas d’eau historiques de l’Egypte et du Soudan ne sont pas mentionnés dans le texte de l’accord proposé. Les ministres de l’Eau se sont réunis à nouveau en juillet 2009 dans la ville côtière égyptienne d’Alexandrie, où l’Egypte et le Soudan ont réaffirmé leur rejet de tout accord qui n’indiquerait pas clairement leur part historique de l’eau.
Les Etats en amont accusent l’Egypte et le Soudan de tenter de maintenir un monopole déloyal datant de l’époque coloniale sur le fleuve. Cependant, les responsables égyptiens et les analystes défendent leur position, faisant remarquer que l’Egypte dépend beaucoup plus du fleuve pour ses besoins en eau que ses voisins en amont.
Selon Raslan, les eaux du Nil représentent plus de 95 pour cent de la consommation totale en eau de l’Egypte. Certains des pays en amont qui bénéficient des précipitations beaucoup plus fortes dépendent du fleuve pour moins de cinq pour cent de leurs besoins en eau.
Les négociations de Charm el-Cheikh en avril ont échoué le long des lignes traditionnelles de combat, avec l’Egypte et le Soudan d’un côté et les sept Etats en amont de l’autre.
Dans un effort de faire une percée, les sept ont saisi l’occasion pour faire une déclaration commune selon laquelle ils annonceraient « unilatéralement » un nouvel accord plus équitable – avec ou sans l’Egypte et le Soudan.
Le Caire et Khartoum ont condamné cette déclaration et ont prévenu d’une « réaction forte » à une telle démarche.
« L’Egypte dispose de certains moyens pour adopter une réaction forte à toute position qui menace son droit historique à l’eau du Nil, a déclaré l’ambassadeur Ridda Baïbars, porte-parole de la délégation égyptienne à la conférence.
Néanmoins, le 14 mai, l’Ethiopie, le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie ont signé un nouveau traité sur l’eau à Entebbe. Quelques jours plus tard, le Kenya aussi a signé l’accord.
« Nous ne pouvions plus attendre longtemps, puisque nous négocions depuis plus de dix ans », a confié à la BBC peu après, le ministre rwandais de l’Environnement, Stanislas Kamanzi.
A la grande déception de l’Egypte et du Soudan, le nouveau traité n’a ni fait mention de leur part historique de l’eau du Nil, ni ne leur a accordé le droit de veto sur les projets d’eau en amont.
Des voix dans la presse locale se sont levées pour qualifier l’accord d’Entebbe d’une menace pour les ressources en eau de l’Egypte. Les gros titres du 16 mai du quotidien indépendant ‘Al-Dustour’ ont cité des experts qui avertissaient que le traité représentait « un danger clair et présent pour la part de l’eau du Nil réservée à l’Egypte ».
L’Egypte, pour sa part, a refusé de reconnaître l’accord, réitérant son rejet catégorique de toute diminution de ses droits historiques sur l’eau.
« L’Egypte a refusé de reconnaître même le traité d’Entebbe », a indiqué Raslan. « L’Egypte refuse absolument de céder une portion de sa part historique de l’eau et prendra toutes les mesures nécessaires pour conserver sa part actuelle ».
Dans un entretien accordé à la chaîne panarabe satellitaire, Al-Jazira, le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, a dit que la poursuite du rejet par l’Egypte d’un projet de partage d’eau modifié constitue « la source du problème ».
« L’Egypte continue de soutenir la notion obsolète selon laquelle elle possède le Nil et peut dicter la répartition de ses eaux, et que les Etats en amont sont incapables d’utiliser l’eau parce qu’ils sont politiquement instables et frappés par la pauvreté », a affirmé Zenawi. « Mais les données ont changé ».
Le 22 mai, il a été annoncé que les ministres égyptiens du Commerce et de l’Industrie, de l’Irrigation et des Investissements devaient se rendre au Burundi, en Tanzanie, au Kenya, au Rwanda et au Soudan dans les prochaines semaines pour discuter d’une coopération mutuelle.
« Les efforts égyptiens visant une coopération conjointe avec les Etats en amont sont susceptibles de porter des fruits », a prédit Raslan. « Mais s’ils ne le font pas, l’Egypte a bien des moyens pour protéger ses droits historiques – juridiquement, politiquement et matériellement ». (FIN/2010)
Adam Morrow et Khaled Moussa al-Omrani
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Posté par rwandanews.be