By David Gakunzi

Rwanda2

Parés de titre d’éminents juristes, de vénérables historiens, le ton faussement scientifique et objectif, ils sont quelques uns à sillonner depuis quelques années, les capitales européennes et américaines, le même refrain, la même bave, la même logorrhée négationniste à la bouche : « Le génocide contre les Tutsi du Rwanda ? Les choses ne se sont pas passées ainsi, ce n’était pas un génocide, c’était une tuerie ordinaire africaine, une furie tribale africaine de plus ; a civilian-civilian massacre ». Inlassablement, de conférence en conférence, du Minnesota à Bruxelles en passant par Paris, ils distillent partout le même venin ; ils insinuent : « Vous savez, ces Africains… Ces Africains ne sont pas comme nous ; chez eux la guerre tribale est une coutume… »

Les facultés affectives estropiées, la voix et la plume dominées par une sorte d’instinct de haine, la mauvaise foi notoire, le jargon pseudo scientifique, la légèreté insigne, ils amalgament et additionnent les morts ; escamotent l’ingénierie étatique, politique et idéologique du génocide contre les Tutsi du Rwanda ; contestent l’intention génocidaire du gouvernement de l’époque ; affirment que les morts sont morts par hasard, par les hasards d’une furie soudaine et populaire, par les hasards de la guerre ; sciemment, délibérément, ils inversent l’Histoire, proclament l’innocence des bourreaux et chargent les victimes d’être les auteurs et les bénéficiaires de leur propre extermination. Soft ou brutal, emballé ou brut, chacun de leur mot vise manifestement à tuer une seconde fois les morts et à blesser les survivants. Leur haine est froide, glaciale, meurtrière. Ils ne parlent pas : ils crachent, cognent avec une lâcheté et une violence effarantes sur les morts et les survivants. La conscience claire, ils ont choisi leur carrière : le négationnisme ; le négationnisme, cette distorsion délibérée, cette manipulation perverse des faits, cette suite idéologique du génocide, cette entreprise de destruction de la mémoire, cette continuation du génocide après le génocide, cette incitation au passage de nouveau à l’acte.

Mais qu’est-ce qui fait courir ces trafiquants de l’Histoire ? Qu’est-ce qui les pousse à écrire et proférer contrevérités sur contrevérités ? Leur fond idéologique ? Des pulsions non avouables ? Le besoin personnel de notoriété ? Le besoin de sortir de l’anonymat de leurs obscurs destins ? Le besoin de remédier au vide de leurs vies ? Peut-être tout cela à la fois. Une certitude néanmoins, un constat : pétris d’un certain sentiment d’impunité, ces experts en bidouillage de l’Histoire usent et abusent à volonté de leur fonction de professeur comme d’un alibi scientifique à des fins de propagande idéologique. Quitte à éclabousser au passage l’éthique, la rigueur, la prudence, le sérieux, la crédibilité scientifiques, la circonspection intellectuelle de leurs centres de recherche et universités ; quitte à donner une image détestable de leurs institutions d’affiliation ; quitte à créer le scandale.

Qu’y a-t-il de scientifique dans leur démarche ? Rien. L’éthique, l’honnêteté intellectuelle ? Ils s’en contrefichent : ils sont dans l’idéologie ; l’idéologie de la haine. Leur compagnonnage, en actes et en paroles, avec les génocidaires rwandais est d’ailleurs connu, public. Ils partagent la même vision du monde, la même idéologie meurtrière ; leur visée, leur dessein est le même : installer, incruster dans les esprits, avec le temps, le doute, le soupçon sur le génocide ; noyer le génocide dans l’insignifiant ; disqualifier la parole des victimes ; réhabiliter l’idéologie et la pratique du génocide ; dédouaner les génocidaires ; criminaliser les victimes et délégitimer, du même coup, le pouvoir de ceux qui les ont empêché de mener à terme le projet génocidaire, ces empêcheurs de génocider en paix. Et qu’importent les faits historiques, qu’importe l’évidence du génocide, qu’importe l’éthique de la recherche : ces héritiers de Goebbels ont fait du mensonge et de la mauvaise foi leur crédo. Leur discours nauséeux – truffé de contrevérités et de contresens, de mélange du vrai et du faux, de confusions délibérées – n’est que tromperie et intoxication.

Qu’on s’insurge contre la perversité de leur propos, et les voilà, voilà nos contrefacteurs qui se posent en pauvres martyrs, qui hurlent à la censure, réclament en chœur, à cor et à cri, au nom de la liberté d’expression, le droit de continuer à propager sans entraves leurs thèses monstrueuses ; en somme, le droit de continuer à brutaliser, à torturer la mémoire des victimes et des rescapés, en toute impunité. Au nom de l’égale valeur de toutes les opinions. Comme si le négationnisme était une opinion comme une autre ; comme si le négationnisme était un avis banal, bénin. Or, le négationnisme n’est pas un point de vue quelconque mais bel et bien un délit, un déni d’humanité, une insulte à notre humanité à tous ; oui, nier le génocide des Tutsi du Rwanda, c’est nier notre humanité à tous.

Que répondre, comment répondre aux fabricants, aux façonniers et colporteurs de ce discours, de cette parole de haine, de cette tentative de réhabilitation du crime absolu: le négationnisme ? Clairement. Sans ambigüité. Activement. Par la pédagogie, la diffusion de la vérité mais aussi par la force de la loi. Oui, tout négateur doit être appelé, un jour ou l’autre, à répondre de ses propos et de ses écrits devant la justice. L’objectif n’étant pas ici, évidement, de mêler la Justice à l’écriture de l’Histoire – le négationnisme n’est d’ailleurs ni l’Histoire ni une école de l’Histoire – mais de veiller à la préservation de la vérité des faits ; car, ne l’oublions pas, la vérité peut se révéler parfois, avec le temps, plus fragile que l’offense à la vérité.

Posté par rwandaises.com