Le carnet de Colette Braeckman
Bujumbura, reportage
Kinama, l’un des quartiers périphériques de Bujumbura. Depuis 10 heures 30 ce samedi, la circulation a repris, les magasins ont levé leurs volets. Abdoul et Philippe font une pause. L’un est chauffeur et vient du quartier Musaga, l’autre travaille à la boulangerie. Depuis l’aube, comme tous les samedis matin, ils ont participé à l’ « umuganda », le travail communautaire requis par les autorités. Durant quatre heures, avec tous les hommes du quartier, ils ont curé le caniveau, déblayé et brûlé les immondices. Ils se moquent des paresseux qui, en ville, se sont contentés de dormir plus longtemps. Eux, ils assurent avoir répondu à l’appel du président, qui a demandé à la population de se prendre en charge et ils veulent suivre son exemple. Lorsqu’on l’interroge sur Pierre Nkurunziza, que beaucoup appellent « Pieter », et qui vient de prêter serment pour un deuxième mandat, après avoir été réélu avec 91,6% des voix, Abdoul est intarissable : « cet homme là travaille pour nous, mais surtout avec nous. Je l’ai vu participer à la construction d’une école, il portait lui-même les briques et les pierres ; j’ai admiré ses muscles… » Des jeunes se pressent, et racontent : « nous avons joué au football contre son équipe, « Alleluia FC » et après nous avons discuté avec lui… »
Dans ce quartier populaire, qui fut l’un des bastions du mouvement rebelle hutu FNL (Front national de libération) Philippe tempère cependant le chœur des éloges : « nous apprécions la sécurité, c’est vrai et aussi les nouvelles routes, les écoles que nous avons contribué à construire. Mais des jeunes du quartier sont en prison, soupçonnés de soutenir le FNL qui s’est retiré du processus électoral et dont le président Agathon Rwasa a pris la fuite car il craignait d’être arrêté… »
Dans un autre quartier populaire, Kinama, plusieurs des femmes du marché reconnaissent elles aussi les mérites du président : « grâce à lui » dit Ermeline « mes enfants ne paient plus l’école primaire. » Sa voisine Adèle interrompt la cuisson de ses beignets pour confirmer : « je soutiens trois enfants orphelins en province. L’école primaire est gratuite c’est vrai, mais les enseignants sont souvent en grève et l’année scolaire a du être prolongée. Quant aux cahiers et aux livres, cela reste cher. »
Dans le quartier de Buyenzi, celui dit des « Débrouillards », où se retrouvent aussi des Congolais, des Tanzaniens, tout le monde travaille. On y trouve des pièces de rechange, des marchandises « tombées des camions », des ateliers en tout genre. A l’ombre de la paroisse Saint Augustin, Léonie cuisine pour tous ces travailleurs, Pascale, un enfant à la main, un autre dans le dos, lui donne un coup de main. En 2007, elle a accouché de jumeaux, à l’hôpital Régent Charles : « j’ai du subir une césarienne. Avant on m’aurait demandé 100.000 francs burundais (100 dollars environ) et, si je n’avais pas pu payer, on m’aurait gardée en otage jusqu’à ce que la famille apporte l’argent. Cette fois, l’opération a été gratuite. Mais comme je ne payais pas, les médecins faisaient la tête… »
Les deux femmes, en quelques mots, résument la situation : « il n’y a pas de travail pour tout le monde, et les jeunes, même ceux qui ont été à l’école, sont sur la rue, et les nombreux démobilisés pourraient avoir envie de retourner dans les maquis… Mais tout de même, il y a de l’espoir… »
Même son de cloche à Kamenge, au Centre des jeunes. Voici quelques années, ce quartier proche du centre ville et peuplé essentiellement de Hutus, était une véritable zone de guerre, autant que Kinama et Musaga, plus excentriques. Des bandes de jeunes y faisaient la loi, on tuait dans les maisons, l’armée se lançait dans de brutales opérations de pacification…Dans cet univers de violence, le père italien Claudio tentait, sans se décourager, de rassembler des jeunes de tous les groupes ethniques, de les faire participer à des activités sportives.
Aujourd’hui, le Centre des jeunes déploie toujours ses salles de jeux, ses terrains de foot. Mais il accueille aussi des lycéens de 3eme moderne, venus d’un quartier plus favorisé. Avec les gamins du quartier, Adelin, élève de 3eme moderne, a fabriqué des briques durant deux semaines : « mes camarades et moi, nous sommes contents d’avoir travaillé gratuitement car ces briques permettront ici de construire une nouvelle école primaire… »
Il est visiblement Tutsi, ses voisins sont des Hutus mais ces adolescents rigolards sont tellement détendus que je n’ose même pas poser la question de l’ethnie. « Vaut mieux pas » dit Yvette, la journaliste de Radio Renaissance, qui mène tambour battant cet exercice de « vox pop » (vox populi), « le sujet est totalement dépassé, on n’en parle même plus. Avant, moi, je n’aurais même pas osé m’arrêter à Kamenge… »
Signé voici dix ans, le 28 août 2008, l’accord d’Arusha proposait un équilibre ethnique entre Hutus et Tutsis, basé sur les quotas : 60% de Hutus et 40% de Tutsis au Parlement, un exécutif dirigé par un président flanqué de deux présidents d’ethnie et d’appartenance politique différentes, la réforme de l’armée et de la police, à raison de 50% pour chaque groupe ethnique.
Bonaventure Niyoyankana, président du parti UPRONA (l’ancien parti unique, longtemps considéré comme représentant des Tutsis) reconnaît que : « le mécanisme a fonctionné. Les Tutsis se sont sentis protégés, rassurés par ses dispositions ; notre parti a obtenu 16 élus directs. Désormais, cette question ethnique est dépassée, chaque parti aligne des Hutus et des Tutsis parmi ses militants et parmi ses élus… »
Paradoxalement, les lignes de fracture se situent désormais entre les partis naguère considérés comme « hutus ». Les principaux d’entre eux sont : le Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi) auquel appartenait le président Melchior Ndadaye assassiné en 1993 et promu au rang de héros national (un mémorial a été édifié dans l’enceinte même de l’ancien palais royal), le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie) vainqueur des élections, et le FNL-Palipehutu qui n’a rejoint le processus de paix qu’en 2009 et qui pensait rafler la mise lors des élections de 2010.
A la veille des élections, le CNDD-FDD, au pouvoir depuis cinq ans, était très contesté à Bujumbura. Les organisations de défense des droits de l’homme relevaient la brutalité des services de sécurité, les contrôles policiers, les intimidations ; la presse, forte de sa très grande liberté, relevait l’accaparement des marchés publics par le parti au pouvoir, la vente de l’avion présidentiel, un Falcon 50 ; l’assassinat du vice président de l’ONUCOME, une ONG dénonçant la corruption, défrayait la chronique.
Début 2010, les partis d’opposition, regroupés dans une coalition « ADC Kinigi » croyaient que, ligués contre le CNDD-FDD, ils avaient une bonne chance de l’emporter et songeaient à présenter un candidat commun au second tour des élections présidentielles.
Rien de tout cela ne s’est produit : dès les élections communales du 24 mai, le CNDD a raflé la mise, bousculé ses rivaux qui ont aussitôt dénoncé une « fraude massive » et se sont retirés de la compétition, malgré les objurgations de la communauté internationale, l’ambassadeur de Belgique et le représentant de l’ONU se montrant parmi les plus pressants. Cette abstention a permis au parti sortant d’emporter 81 sièges de députés sur 106 lors des législatives du 23 juillet!
« En déclarant forfait, ils ont raté l’occasion » assure le président de l’Uprona, « car l’opposition aurait facilement pu gagner 30 sièges aux législatives ; nous-mêmes, qui avons joué le jeu, nous en avons recueilli 17. »
Que s’est il donc passé lors des communales ? Un observateur militaire, revenu du terrain, nous explique que «depuis longtemps, le CNDD avait tout misé sur les élections communales et mis en avant la personnalité du président. Non seulement le parti contrôlait tout, les administrateurs communaux, les chefs de zone qui encadraient la population et lui conseillaient de « bien voter », mais « Pieter » a payé de sa personne : en cinq ans, il a sillonné le pays…A Bujumbura, les intellos se moquaient de ses séances de prières, du fait qu’il faisait attendre ministres ou diplomates pour ne pas rater sa partie de foot à 15 heures, ils critiquaient ses absences car chaque vendredi il partait en province. Mais dans les collines, il dormait dans les paroisses, encourageait la fabrication des briques et participait lui-même à la construction des centres de santé et des écoles (1500 écoles ont vu le jour en cinq ans !). Il distribuait des plants d’avocatiers ou d’arbres fruitiers, discutait avec les paysans, leur répétait « travaillez et priez »… Du jamais vu : un président, un « grand monsieur » qui travaillait aux côtés des gens, qui partageait avec eux les haricots…Même les chefs des autres partis hutus n’avaient jamais fait cela… »
Le politologue Julien Mimubona confirme qu’il y a eu « clivage entre l’élite urbaine, focalisée sur les questions de gouvernance, et le monde rural. Pour ce dernier, la gratuité des soins de santé pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans, l’accès à l’école primaire pour tous les enfants, sans oublier la sécurité, sont des acquis essentiels. Les chiffres le montrent : la ville de Bujumbura n’a pas voté pour le CNDD-FDD mais dans les campagnes, les scores dépassent toujours 90% »
Cependant, le CNDD-FDD avait mis toutes les chances de son côté : à la veille des élections communales, alors que tous les cadres étaient déjà sur le terrain, il a fait reporter le scrutin du vendredi au lundi, le temps, durant le week end, de finaliser la persuasion. Découvrant, mais un peu tard, que tous les jeux étaient faits depuis longtemps, les partis d’opposition ont alors dénoncé un hold up électoral. Ce constat n’a pas été partagé par les observateurs internationaux, ni par les milliers de représentants de la société civile : « des irrégularités oui, des pressions, un encadrement serré, mais pas de « vol » des élections, pas de violences durant le scrutin », assure une observatrice canadienne. Le président de la Commission électorale indépendante confirme : «nous n’avons trouvé aucune preuve de fraudes massives. Il est vrai que le CNDD-FDD a mis en œuvre une puissante machine, ce que les autres n’avaient pas… »
Dans son discours d’investiture, Pierre Nkurunziza, 45 ans, gradué en éducation physique, sportif accompli et ancien maquisard, a déclaré qu’il était « le premier président –sous entendu hutu- à être allé jusqu’au bout de son mandat électoral et à avoir été reconduit. » Sans avoir été renversé ou assassiné…
Pour son deuxième mandat, celui de l’enracinement de la paix, il a annoncé deux chantiers d’importance : la mise sur pied d’une Commission Vérité et réconciliation, afin d’examiner tous les crimes de guerre commis au cours des dernières décennies, par les une et par les autres, et la « tolérance zero » dans la lutte contre la corruption. Regardant droit devant lui, il a averti : « un homme averti en vaut deux ». Dans la grande salle du palais de Kigobe, où étaient réunis élus et dignitaires, il y eut comme un frémissement…
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Posté par rwandaises.com
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