Par Christophe Champin / MFI

La Mission d’information parlementaire française sur le Rwanda a publié son rapport, mardi 15 décembre 1998, après huit mois d’enquête. Il nie la responsabilité de Paris dans le génocide d’avril 1994, mais reconnaît de graves erreurs d’appréciation des autorités françaises.

Article publié par MFI/RFI en décembre 1998

« Ce sont bien des Rwandais qui, pendant plusieurs semaines, ont tué d’autres Rwandais dans les conditions que l’on sait. Au moment où il se produit, la France, n’est nullement impliquée dans ce déchaînement de violence. Trois mois auparavant, la présence militaire française a été ramenée à 24 assistants militaires techniques. Une fois les accords de paix d’Arusha conclus, en août 1993, la France a passé le relais aux Nations Unies. C’est l’ONU et la force de surveillance des accords qui ont été incapables d’enrayer la montée des violences et de mettre fin aux massacres ». Avec cette remarque préliminaire, lors de la présentation du rapport final de la mission d’information sur le Rwanda, son président, Paul Quilès, en a donné le ton. Oui, la France a commis une erreur de stratégie en soutenant militairement le régime de Juvénal Habyarimana. Mais elle n’a pas été complice des génocidaires et c’est la communauté internationale tout entière qui porte la responsabilité de cette tragédie, conclut le rapport.

En mille huit cent pages, dont 600 d’annexes et plus de 800 de comptes-rendus d’auditions , il n’en apporte pas moins des réponses à bien des questions que pose le rôle de la France dans les événements qui ont menés au génocide de 1994. D’octobre 1990 à mars 1993, celle-ci a maintenu une présence militaire dans un pays au « régime de plus en plus affaibli, critiqué et critiquable », écrivent les rapporteurs, les députés socialistes Pierre Brana et Bernard Cazeneuve. Bien qu’ils nient la participation de militaires français aux combats contre le Front patriotique rwandais (FPR), ces derniers estiment que l’aide aux Forces armées rwandaises est allée jusqu’aux limites de l’engagement direct, puisqu’elle allait du conseil opérationnel à tous les échelons significatifs du commandement, à la formation de commandos ou la participation à des contrôles d’identité.

La France piégée par sa propre stratégie

Pourquoi un soutien aussi appuyé ? Selon Paul Quilès, la position française répondait à deux objectifs : empêcher qu’un gouvernement auquel la France était liée par un accord de coopération militaire soit renversé par la force et accompagner le Rwanda dans un processus d’ouverture démocratique. « Ces deux objectifs n’apparaissent pas contradictoires. La démocratie et le respect des droits de l’homme ne pouvaient être garantis que si la paix revenait. Or la prise de pouvoir par le FPR, quelle que soit la légitimité de certaines de ses revendications ne paraissait devoir conduire ni à la paix ni à la démocratie ». Cette stratégie a abouti à la conclusion des accords d’Arusha, en août 1993. Mais à quel prix ? Les rapporteurs estiment qu’en voulant maintenir l’équilibre entre les Forces armées rwandaises et les rebelles du FPR, la France s’est trouvée piégée par sa propre stratégie et a appuyé un régime dont elle a sous-estimée le « caractère autoritaire, ethnique et raciste ».

Sur la prévision du génocide, le rapport estime que la France avait perçu les risques d’un déchainement de violence mais n’a pas su tirer les enseignements des informations dont elle disposait, principalement en raison de « dysfonctionnements institutionnels ». Ils confirment, par ailleurs, que la France a été le seul pays en contact avec le gouvernement génocidaire après le début des massacres. Une autre « erreur » qui, selon eux, a contribué à jeter la suspicion sur l’opération Turquoise, en juillet 1994, dont les objectifs étaient strictement humanitaires. 

Au terme de ce rapport, plusieurs questions restent en suspens, à commencer par la responsabilité de l’attentat qui a provoqué la mort du président Habyarimana, le 6 avril 1994 et l’entraînement ou non des milices par les Français. Et surtout, le rapport reste flou sur les responsabilités politiques. Toutefois, la France ne sort pas blanchie. Enfin les parlementaires ont rompu, pour la première fois, avec la tradition de non contrôle parlementaire des interventions militaires extérieures. Ils souhaitent même que cette nouvelle pratique soit désormais institutionnalisée.

Les enjeux du rapport

Pour la France, la publication du rapport de la mission parlementaire sur le Rwanda constitue, bien sûr, une tentative d’examen de conscience sur son rôle dans le premier génocide reconnu depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais elle s’inscrit aussi dans un contexte plus large. A travers l’affaire rwandaise, c’est la politique africaine de la France depuis les années 60, dont les zones d’ombre ont maintes fois été dénoncées, qui est en cause. La preuve en est que le traumatisme rwandais, puis le soutien contesté de Paris au régime chancelant du président Mobutu dans l’ex-Zaïre en 1997, ont fini par pousser le gouvernement français à revoir, au moins formellement, sa coopération avec le continent noir. Les deux grands axes des réformes engagées sonnent comme une réponse aux dérives dénoncées de la France au Rwanda : fin des interventions militaires françaises dans les crises africaines au profit d’un soutien aux initiatives régionales de maintien de la paix et de résolution des conflits ; disparition (le 1er janvier 1999) du ministère de la Coopération, censée symboliser la fin officielle du fameux « pré-carré » francophone en Afrique.

Le travail de la mission d’information fait également partie dans un processus plus vaste – entamé avec la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha, puis celle d’une Commission d’enquête sénatoriale en Belgique – qui est loin d’être achevé. Certes la France et, dans une moindre mesure, la Belgique ont été les premières montrées du doigt dans cette tragédie. Mais l’ONU, qui a retiré la force de maintien de la paix (MINUAR) présente dans le pays depuis 1993 en laissant les massacres se perpétrer, n’a pas encore mené sa propre enquête interne, en particulier sur les dysfonctionnements qui l’ont empêché de sonner l’alerte dans les mois précédant le génocide. Et jusqu’à maintenant, le secrétaire général des Nations unies s’est refusé à cette introspection.

L’adoption du rapport a donné lieu à d’intenses débats

Le vote final des membres de la mission parlementaire sur le rapport a été l’occasion de discussions intenses, y compris au sein de la majorité. Avant sa publication, le contenu de cet épais document devait, en effet, faire l’objet d’un vote à la majorité, chacun des députés présents ayant la possibilité de proposer des modifications. « Il y avait à chaque fois un débat très large et, bien entendu, on notait soigneusement les suggestions, les critiques, les propositions qui nous ont été faites. On a essayé, dans le rapport final, d’en tenir compte, quelquefois on en a retenu, quelquefois on ne les a pas reprises à notre compte, mais on a essayé d’être vraiment les rapporteurs du point de vue majoritaire de la mission », confie Pierre Brana (PS), un des rapporteurs. Chaque chapitre, parfois chaque mot, a suscité la discussion. Et si l’opposition de droite n’a pas manqué de faire entendre sa voix, des divergences d’approche sont également apparues chez les socialistes, affirme une source proche de la mission. « Certains pensaient qu’il fallait à tout prix blanchir la France et cela s’est cristallisé dans la discussion sur les conclusions.» Le rapport est donc le résultat d’un compromis entre deux positions, l’une favorable à la mise en cause directe de décisions prises au plus haut sommet de l’Etat, en l’occurence par l’ancien président de la République François Mitterrand, l’autre soucieuse d’exonérer la France de toute responsabilité.

 

Déception à Kigali

La présidence rwandaise a violemment réagi, au lendemain de la publication du rapport de la mission parlementaire française. « Contrairement aux prétendus résultats de ce rapport, la France est coupable de crime de génocide au Rwanda », estime-t-elle dans un communiqué publié par l’Agence France Presse. Pour les autorités rwandaises, le génocide a servi de « prix pour le triomphe de la Francophonie ». Elles en veulent pour preuve le fait que le rapport montre du doigt les Etats-Unis. Kigali ajoute que « le gouvernement français a joué un rôle vital dans la préparation du génocide au Rwanda, a pris une part active dans le génocide lui-même et a systématiquement sapé les efforts » pour faire la lumière sur ses causes et ses conséquences.

Interrogé par RFI, le chargé d’affaires rwandais à Paris, Modeste Rutabayiru, a également marqué sa déception : « Je croyais que la France, ou en tous cas la mission d’information, pouvait avoir le courage de regarder en face la situation qui a prévalu dans notre pays, d’épingler les différentes responsabilités aussi bien françaises qu’à l’extérieur. Ça n’a pas été le cas malheureusement ». Une déception partagée par l’association des rescapés du génocide, Ibuka, pour qui la France s’innocente « comme toutes les personnes accusées de génocide » alors que les Français, selon cette association, ont une implication directe dans les massacres.

Le sénateur belge Alain Destexhe globalement satisfait du rapport français

Le sénateur Alain Destexhe, initiateur de la commission d’enquête belge sur le Rwanda en 1997, a exprimé sa satisfaction sur le contenu du rapport de la mission d’information parlementaire française dans un entretien accordé, le 16 décemebre, à MFI. « Le fait que cette mission ait eu lieu est un point positif, c’est un apport fondamental à l’établissement des faits dans le drame du Rwanda. La mission a été plus loin dans l’établissement des faits que la commission d’enquête belge, sur la responsabilité de l’Onu et des Etats-Unis, même si on peut s’interroger sur le côté renvoi de responsabilités sur les autres.» A ses yeux, le point essentiel est que le rôle de la France au Rwanda n’a pas été éludé dans ce rapport, contrairement à ce que laissait penser la présentation qu’en a fait le président de la mission française, Paul Quilès, qui semblait minimiser les responsabilités de Paris. « Le rapport dit clairement que la France a soutenu un régime raciste et que la coopération militaire était trop engagée. Pour moi, on en tire la conclusion qu’il y a une forme de responsabilité », estime le sénateur. Alain Destexhe regrette toutefois que les députés français n’aient pas clairement situé les responsabilités politiques. « Les limites de ce travail, c’est de ne pas avoir dégagé les responsabilités au sein de l’Etat français. On ne dit pas qui a pris les décisions.» Contrairement au rapport français, le travail de la commission d’enquête belge, publié en décembre 1997, avait clairement situé les manquements du gouvernement de Bruxelles, en citant notamment les ministres des Affaires étrangères et de la Défense en place au moment de la tragédie rwandaise.

 

http://www.rfi.fr/afrique/20100713-rapport-parlementaire-le-rwanda-1998-france-fautive-mais-pas-coupable-selon-deputes

Posté par rwandaises.com