Depuis la diffusion le 1er octobre dernier du rapport de l’ONU sur les atrocités commises au Congo entre 1993 et 2003, qui suspecte notamment le Rwanda de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité voire d’actes de génocide, il s’opère un renforcement du négationnisme du génocide des Tutsis.

Soyons clairs : avant d’être chef de l’Etat rwandais, Paul Kagame a été un chef de guérilla, et c’est à la tête du Front patriotique rwandais qu’il a pris le pouvoir à Kigali, mettant par là fin au génocide qui se déroulait sous l’impulsion des forces politiques qui dirigeaient alors le pays.

Son action, comme chef de guérilla ou comme homme politique, doit être soumise à la critique, à l’instar de ce que font à juste titre régulièrement les ONG et les organismes internationaux.

La situation exceptionnelle du pays, où bourreaux et rescapés vivent côte à côte seize ans après, si elle constitue un élément fondamental de compréhension, ne doit pas être une raison d’adopter des critères différenciés d’évaluation des droits de l’homme, qui sont universels.

Cependant, dire, comme on l’entend de plus en plus depuis la parution de ce rapport, que ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 est « trop compliqué » pour en parler publiquement avec clarté, qu’il faut attendre que les événements politiques actuels soient analysés avec la distance du temps pour affirmer la simple vérité historique du génocide, que tout ça, finalement, n’est pas si clair qu’on voudrait bien nous le dire, et donc qu’il est délicat de qualifier de génocide le meurtre collectif et organisé de quelque 800 000 Tutsis entre avril et juillet 1994, c’est participer du renforcement du discours négationniste.

Les rescapés, les premiers, se voient intimer l’ordre de condamner les faits et gestes de ceux qui les ont sauvés d’une mort certaine, sous peine de voir leur histoire, notre histoire à tous, niée. Alternative fallacieuse quand on sait que ceux qui portent ces discours sont les fers de lance du négationnisme. Alternative qui confine au racisme car elle ne peut penser le Rwanda autrement qu’en termes ethniques et complotistes, en faisant siens la thèse de la responsabilité collective et le mythe d’un lien secret unissant tous les tutsis dans l’espace et dans le temps. C’est dans ce cadre de pensée uniquement qu’il est logique de demander aux rescapés, en premier, de condamner Kagame.

Cette logique de haine et de stigmatisation collective n’est que la perpétuation de la logique qui a rendu le génocide possible. Demander à ceux qui en ont été victimes de la manière la plus brutale de l’adopter est d’autant plus violent. Alternative qui tient du chantage ignominieux car l’énonciation de la vérité historique ne peut être conditionnée au positionnement politique actuel supposé des individus ou des institutions d’une catégorie de la population.

FLOU

L’alternative proposée renforce le discours négationniste du génocide des Tutsis car elle alimente ce qui le caractérise : le flou. Ici, et c’est peut-être la proximité temporelle qui empêche cela, pas d’équivalent d’un Faurisson qui affirmerait que le génocide n’a pas eu lieu ou qu’aucun tutsi n’est mort au Rwanda entre avril et juillet 1994.

Par contre, les mythes négationnistes, comme celui du « double génocide », dontPierre Péan est un des vecteurs les plus connus, sont autorisés par les tentatives de brouillage de la réalité historique, pourtant abondamment étudiée et documentée.

Ainsi, le discours qui se présente comme respectueux des droits de l’homme et précautionneux au vu des évolutions politiques récentes dans la région des Grands Lacs et du rapport de l’ONU, contribue au flou qui renforce le négationnisme. Ce flou entraîne deux conséquences principales.

Tout d’abord, il empêche la transmission de la connaissance historique de l’événement, perpétuellement remise à plus tard, alors que les voix de certains témoins directs s’éteignent avec leurs disparitions. Surtout, il sert à couvrir les responsables, en leur faisant gagner du temps. Nombreux sont les génocidaires qui vivent en Belgique, en France, au Canada, sans avoir été inquiétés jusque là.

Il profite à ceux, capitaine de gendarmerie ou bien responsable élyséen, qui portent une responsabilité dans la préparation, l’organisation ou la perpétration du génocide et qui cherchent à se soustraire à l’examen de celle-ci. L’exemple de Samuel Kunz, gardien du camp d’extermination nazi de Belzec et inquiété par la justice seulement en 2010, est là pour nous rappeler que les stratégies de gain de temps, comme celles à l’œuvre ici, peuvent s’avérer efficaces.

Il est d’autant plus important de combattre ce renouvellement du discours négationniste, pour que la vérité historique soit dite avec force et que la justice soit faite.

 

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Posté par rwandanews