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Le 28 novembre 2010, le peuple de Côte d’Ivoire s’est rendu aux urnes au second tour d’une élection présidentielle pour se choisir un gouvernant et mettre fin à huit longues années de souffrances, conséquences d’un coup d’état manqué en 2002 et transmué en une rébellion qui depuis divise la Côte d’Ivoire en un sud régalien et un nord rebelle. Le verdict des élections, tel que validé et proclamé par le Conseil Constitutionnel de Côte d’Ivoire, est présentement remis en cause par M. Ouattara et son armée rebelle qui se targuent de votre onction officielle. La situation qui prévaut en Côte d’Ivoire est un autre symptôme d’une Organisation des nations Unies trop souvent déficiente, partisane, affairiste, et qui, surtout en Afrique, promet toujours une chose pour ne réaliser que son contraire, et s’en retourne penaude après avoir tout mis sens dessus dessous. En Côte d’Ivoire, après son échec flagrant à désarmer un groupe rebelle, l’ONUCI faits désormais mains et pieds pour imposer ce groupe rebelle aux Ivoiriens comme une substitution naturelle à l’autorité légale.

M. le président, j’ai bien peur que votre soutien à M. Ouattara, qui revendique sa victoire d’une chambre d’hôtel entouré des principaux acteurs de la rébellion du nord connus de nombreux observateurs pour d’ignominieuses violations des droits de l’homme, n’en rajoute à l’incongruité des circonstances qui ont progressivement accordé une certaine légitimité aux hors-la-loi qui ont attaqué les institutions légale de la Côte d’Ivoire en 2002, mais aussi que ce soutien ne décourage tout effort de démocratie en Afrique en isolant l’un des rares dirigeants africains désireux de gouverner sur des bases constitutionnelles, et donc selon les principes de la démocratie. M. le président, sans la prétention de vous faire un cours de démocratie, je crois fermement cependant que le fondement de toute société démocratique demeure la constitution de cette société. L’on peut débattre à loisir de la qualité de telle ou telle constitution—et, à ce propos-là aucune constitution n’est infaillible—mais c’est incontestablement par un minimum de respect pour les lois qu’il s’est érigés qu’un peuple commence sa marche vers la démocratie.

M. le président, lorsque le 4 décembre 2010, après avoir examinés les cas de fraudes massives rapportées dans le Nord, le Conseil Constitutionnel, qui est l’organe suprême de résolution de conflits électoraux, a invalidé les votes litigieux et proclamé le président Gbagbo vainqueur, le Conseil remplissait sa mission constitutionnelle en tant qu’elle est consignée dans le Code Electoral ivoirien, celle de réconcilier les cas litigieux et de valider des résultats crédibles. Monsieur le président, l’on peut arguer qu’une loi est injuste. Cependant l’on ne peut pas, sur la base de cet argument, prendre sur soi d’enfreindre cette loi et continuer de prétendre que l’on est toujours un membre à part entière de la société qui est régie par cette loi. En rejetant la décision du Conseil Constitutionnel, en esquivant la procédure officielle et la légalité comme il sait tant le faire, M. Ouattara met en péril la démocratie en Afrique et ne mérite pas que l’on accorde la moindre légitimité à ses méthodes barbares. M. le président, lorsque dans sa résolution du conflit électoral aux Etats Unis la Cour Suprême a statué en faveur du président Bush, M. Gore s’est soumis au verdict de cette haute autorité, et ne s’est pas retranché au Four Seasons Hotel à Washington D.C. s’inaugurer président, défiant la décision de la Cour Suprême de son pays. L’on ne peut pas continuer d’apprécier les réalités africaines à travers des filtres antithétiques à la démocratie, qui encouragent la voyouterie, tout en attendant en même temps des Africains qu’ils administrent leurs états selon des principes démocratiques. N’est-ce pas paradoxal que la plupart des chefs d’état, qui, par circonfession à l’Union Européenne, applaudissent Ouattara soient arrivés au pouvoir ou s’y maintiennent par des moyens détournés ? Ces autocrates sont-ils les facteurs de la mesure morale que nous devrions souhaiter pour l’Afrique du nouveau millénaire ?

M. le président, permettez que je vous dise qu’en ce qui concerne la crise ivoirienne, la majorité des Ivoiriens pensent que vous avez choisi le camp du victimaire plutôt que celui de la victime, de l’illégalité plutôt que celui de la légalité, de l’antidémocrate plutôt que celui du démocrate. Les habitués de la politique africaine reconnaitront que le Président Gbagbo est un champion de la démocratie. Sa lutte pour la démocratie remonte à trente ans. M. Gbagbo a combattu le monopartisme de feu le président Houphouet (père de l’indépendance ivoirienne) à une époque où l’expression « multipartisme » rimait avec la contradiction en politique ivoirienne. Son épouse, ses compagnons de lutte et lui-même connurent la prison, la torture, l’exil et la privation, et même sous l’administration de M. Ouattara, qui aujourd’hui aspire à passer pour un martyre de la démocratie. De tout le temps, Mr. Gbagbo a mené sa lutte politique à force d’arguments passionnés et de marches de protestations, sans jamais appeler à un coup d’état. Lorsqu’il fut élu en 2000, il mit sur pied un gouvernement d’union nationale qui vit la participation de plusieurs partis politiques dans la gestion du pays et il organisa un forum de réconciliation nationale pour panser les plaies du pays dont l’origine remonte à la lutte de succession de messieurs Ouattara, Bédié, et Guei. Pour récompenser le Président Gbagbo de son sens démocratique, M. Ouattara lui a envoyé une rébellion, qui depuis 2002 a interrompu son programme de réduction de la pauvreté en Côte d’Ivoire. M. le président, il me serait impossible d’énumérer en si peu de temps les nombreux faits qui illustrent l’adhérence cyclique de M. Ouattara à la politique de la violence ni ceux qui militent en faveur de l’esprit démocratique du Président Gbagbo. J’en ai amplement parlé ailleurs. Permettez-moi cependant de dire ici mon profond étonnement par rapport à votre position que je comprends mal, s’il est toutefois vrai que je comprends parfaitement celle de M. Sarkozy et de la France en général.

Etant l’héritier du maintien et de la prolongation de la françafrique, cette relation abusive qu’entretient la France avec ses anciennes colonies, ainsi qu’un ami très personnel des Ouattara, M. Sarkozy ne pouvait que soutenir M. Ouattara. M. Sarkozy, qui en qualité de maire de Neuilly a officié le mariage de monsieur et madame Ouattara, et qui était aussi leur invité d’honneur à cette même cérémonie nuptiale a des accointances très particulières avec les Ouattara. Le négoce international de Mme. Ouattara a de gros clients dont Martin Bouygues, roi du béton français, Vincent Bolloré (partenaire de Bouygues) et roi des médias français et du papier d’emballage de tabac—c’était bien Bolloré qui avait payé des vacances de félicitation à Sarkozy à l’Ile de Malte sur son luxueux yacht après les présidentielles françaises de 2006 ; c’était encore lui qui avait prêté son avion privé à M. Sarkozy pour qu’il impressionne sa nouvelle girlfriend d’alors, Carla Bruni, pour leurs vacances de décembre 2007 en Egypte—et Dominique Strauss-Khan, ex-ministre des finances de Mitterrand et président du Fonds monétaire international depuis 2007. Tout ce beau monde a fait des affaires fructueuses en Côte d’Ivoire lorsque M. Ouattara, au temps où il était premier ministre, privatisait et vendait, parfois pour un franc symbolique, les compagnies d’Etat (eau, électricité, chemins de fer, etc.).

Ceci pour dire, M. le président, que M. Ouattara n’est pas un puceau de l’arène politique ivoirienne. Il a eu l’occasion de gouverner le pays, lorsque sous la pression des institutions financières (la Banque et le FMI, notamment) un président Houphouet endetté et agonisant le fit premier ministre de la Côte d’Ivoire. Sous l’administration de M. Ouattara, tous les feux du cadran économique ivoirien clignotèrent dangereusement. Comme le lui avait recommandé l’O.M.C., M. Ouattara élimina les subsides aux planteurs ivoiriens, alors que l’Amérique et l’Union Européenne subventionnaient généreusement leurs agriculteurs. Il mit à la retraite anticipée plus de 10.000 fonctionnaires ; ceux qui avaient encore la chance de conserver leur emploi virent leur salaire chuter de 40% ; M. Ouattara réduisit l’accès à l’éducation en réduisant de moitié le salaire des enseignants ; il élimina la subvention aux restaurants universitaires, le transport des bus universitaires, la couverture médicale universitaire, et il imposa aux populations des frais d’accès aux premiers soins ; il initia la dévaluation du CFA et institua la carte de résidence très controversée qui fut à la base du harcèlement des étrangers. Ces échecs, comme il fallait s’y attendre, frustrèrent les populations, qui manifestèrent leur mécontentement par des marches de protestation. M. Ouattara réprima ses marches dans le sang, la torture et la mort ; et malgré les appels répétés pour une enquête indépendante, M. Ouattara demeura inflexible.

M. le président, la démocratie, je le pense, implique la bonne gouvernance ; la bonne gouvernance pour l’Afrique suppose que les dirigeants africains devraient faire l’inventaire entier des ressources du continent afin de repenser une exploitation de ces ressources dans un schéma qui tient d’abord compte du bien-être des populations dont la terre génère ces ressources, c’est-à-dire, des populations africaines. Cela implique que les prétendus intellectuels africains devraient eux aussi prendre les dirigeants des pays industrialisés ainsi que leurs institutions financières satellites au mot, et leur rappeler, constamment, que la bonne gouvernance exige d’eux qu’ils battent les pattes et laissent les Etats souverains identifier et satisfaire les besoins de leurs peuples sans aucune forme de pressions extérieures, sans aucun chantage financier, sans la volonté d’installation martiale de marionnettes à la solde des pays industrialisés, mais surtout sans la récupération d’une élite de névrosés séduits par la promesse d’une jouissance Firstmondialiste. Tel est le combat du président Gbagbo ; un combat pour une Afrique debout.

En tant qu’Africain préoccupé par le monopole économique de la France dans son pays, qui maintient son pays dans un état de dépendance perpétuel, le Président Gbagbo a raison de croire en la diversification de son partenariat. A ce titre-là, il apparait pour la France, qui désire conserver avec ses anciennes colonies ses vieilles relations de maître à esclave, comme un empêcheur de tourner en rond. En effet, sous de faux airs de réciprocité, la françafrique, cette machinerie de génocide économique et humain en Afrique, s’est assuré un accès privilégié aux ressources agricoles et géologiques de l’Afrique. Demander à la France d’avoir désormais des relations de réciprocité avec l’Afrique n’est pas un péché pour lequel l’on doit mériter la crucifixion. Prenons garde de ne pas toujours ériger des édifices aux combattants de l’Afrique libre seulement après coup, après les avoir précipités du haut de la falaise de la réciprocité.

Très respectueusement,

Martial Frindéthié

Professor Frindéthié enseigne le français, la littérature comparées et les études globales à Appalachian State University. Il est l’auteur de Globalization and the Seduction of Africa’s Ruling Class: Argument for a New Philosophy of Development (McFarland, 2010), Francophone African Cinema: History, Culture, Politics and Theory (McFarland, 2009), et The Black Renaissance in Francophone African and Caribbean Literatures (McFarland, 2008, Choice Magazine Outstanding Academic Title).

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Posté par rwandanews