Le colonel Kadhafi l’avait annoncé, et il l’aurait probablement fait, si on l’avait laissé continuer : réduire Benghazi en cendres, pourchasser « comme des rats »  les insurgés. Le « printemps arabe » se serait arrêté dans le Golfe de Syrte. Sans doute. Encore peut-on espérer qu’il ne se soit pas arrêté de toutes manières, dans le fracas des bombes, à l’instar du « printemps » irakien et des lendemains meilleurs que l’Afghanistan attend toujours…

L’intervention occidentale, votée en un temps record, aussi bien à l’ONU qu’en Belgique, a été décidée au nom de la « responsabilité de protéger » qui remplace la notion d’ « ingérence humanitaire » un peu usée par quelques abus. Il s’agît donc de protéger les civils de Benghazi, et aussi les combattants, qui, malgré leur apparente désorganisation, ne sont pas aussi mal armés que cela, puisqu’ils réussissent à abattre un avion en vol, fût il le leur… Tiens, ils avaient donc des missiles, et aussi des avions… Juste en face,  de l’autre côté du désert, les combattants d’AQMI (Al Quaida au Maghreb islamique) qui errent dans le désert du Mali et du Niger doivent réévaluer la situation : ne pourraient ils pas s’emparer des armes laissées par le colonel en déroute et en faire meilleur usage que les insurgés de Benghazi ?

En outre, comment ne pas remarquer que le  « droit de protéger » est à géométrie variable ? La Côte d’Ivoire, depuis décembre, glisse doucement, inexorablement, vers l’abîme : les populations sont appauvries et exacerbées par l’embargo, indignées par l’impasse électorale, mobilisées par la propagande. Des civils guettent les nez, les noms, les accents, dénoncent des « infiltrés » et retrouvent  chez leur voisin les traces d’une « armée invisible » : bien des ingrédients de la tragédie rwandaise sont réunis. Les deux camps s’entendent sur un point : l’ONUCI (Nations unies en Côte d’Ivoire) qui avait organisé des élections dans un pays qui n’était pas désarmé et qui a certifié trop vite des résultats contestés, est aujourd’hui incapable de protéger les civils, quel que soit leur appartenance…On ne peut être partout, disent, à juste titre les Casques bleus. Et les champions de l’ingérence, eux, sont occupés ailleurs…

Si l’on regarde ailleurs en Afrique, l’abstention est plus révoltante encore. Car enfin, les femmes du Kivu, violées, réduites en esclavage, chassées de leurs villages, emmenées en brousse par des groupes armés, ne mériteraient elles pas, elles aussi d’être protégées ? Et ces femmes là, elles n’ont ni fusil, ni missiles, ni machettes : rien d’autre que leur houe dont elles ne peuvent plus se servir car si elles se rendent aux champs, elles risquent d’être attaquées en chemin.

Bien sûr, les forces de l’ONU sont présentes et près des villes, des agglomérations, les Casques bleus font ce qu’ils peuvent. Mais ailleurs ? Du côté de Walikale, de Shabunda, de Rutshuru, pourquoi les viols se poursuivent ils avec la même intensité, commis par des groupes que tout le monde connaît, ou par des militaires dont il n’est pas difficile de deviner l’obédience ou les protections…On nous dit que les Indiens les Pakistanais qui composent les forces de la Monusco n’ont qu’une faible intelligence du terrain et sans doute est ce exact, comment pourrait on le leur reprocher ? Les Belges, eux, civils et militaires, aiment  mettre en avant leur « expertise » du Congo. Elle n’est pas un vain mot, et dans les forêts du Kivu, il est probable que des militaires belges pourraient, assez vite, monter un réseau d’information efficace en capitalisant sur un capital de confiance. Mais voilà : le Parlement belge, au lendemain du génocide au Rwanda et de l’assassinat de dix Casques bleus belges, abandonnés dans des conditions atroces, a voté une résolution interdisant aux soldats belges de s’engager « dans nos anciennes colonies ». Une pudeur, une réserve que d’autres puissances coloniales, la France, la Grande Bretagne, l’Italie, sont loin de partager…

Si le « Parlement unanime » en ces temps d’affaires courantes, juge urgent et important de protéger les civils de Benghazi (une décision sans doute nécessaire et que l’histoire jugera) pourquoi ce même « Parlement unanime » ne pourrait il décider que la « responsabilité de protéger » s’étend aussi aux femmes du Kivu, qu’il est plus que temps de mettre fin à leur calvaire et qu’avant les prochaines élections, tout doit être mis en œuvre pour pacifier réellement les  provinces de l’Est ?

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Posté par rwandaises.com