Le paradoxe d’Anderson est un paradoxe empirique selon lequel l’acquisition par un étudiant d’un diplôme supérieur à celui de son père ne lui assure pas une position sociale plus élevée. Ce paradoxe a été mis en évidence par Charles Arnold Anderson en 1961.

Pour lui, «  le statut social relatif des fils apparaît comme pratiquement indépendant de leur niveau d’instruction relatif ».


Ce paradoxe est directement lié à un autre phénomène que les sociologues appellent  »inflation des diplômes ». La Sociologie l’appréhende ainsi:  »Comme chacun prend la même décision, il en résulte un effet d’agrégation pervers qui consiste en une diminution du rendement social du diplôme : tendanciellement, un diplôme identique donne accès à des positions sociales moins élevées que celles des parents – excepté pour les diplômes se situant en haut de la hiérarchie qui, si cette hiérarchie reste inchangée, ne peuvent être surclassés. Le phénomène est analogue à celui d’une inflation monétaire. Un même titre scolaire étant détenu par d’avantage d’agents, il perd de son efficacité relative […]. Tout dépend alors de la vitesse relative d’évolution de la structure éducationnelle vis-à-vis de celle des positions sociales » (R. Boudon, N. Bulle & M. Cherkaoui ( sous la direction de), Ecole et société. Les paradoxes de la démocratie, PUF, Paris, 2002, p. 181).

Cependant, malgré l’apparition de ce phénomène d’inflation relative des diplômes, on remarque que, normalement, dans ce genre de situation, ceux qui se présentent sur le marché du travail avec un diplôme élevé auront toujours plus de chance de s’en tirer plutôt bien, en général plus facilement que ceux qui se présentent avec des diplômes inférieurs. Comme le disent D. Merllié et J. Prévot ( dans leur livre: La mobilité sociale, La Découverte, Paris, 1991), les diplômes peuvent apparaître à la fois de plus en plus nécessaires et de moins en moins suffisants. Bref, l’on peut bien affirmer que les mécanismes sociaux se révèlent souvent très complexes.

Par ailleurs, plusieurs sociologues, dont Raymond Boudon, ont tenté d’apporter une réponse à ce paradoxe d’Anderson. Au début des années 1970, R. Boudon ( dans son livre : L’inégalité des chances. La mobilité sociale dans les sociétés industrielles, Armand Colin, Paris, 1973) a développé un modèle qui permet de comprendre que le paradoxe d’Anderson n’est paradoxal qu’en apparence et qui explique pourquoi la mobilité sociale ne varie pas significativement dans les sociétés industrielles. En fin de compte, R. Boudon montre qu’un diplôme du fils analogue à celui de son père conduit bien plus souvent à une stagnation du statut social et un diplôme inférieur à un déclassement. La table d’Anderson n’entame donc pas l’idée selon laquelle l’augmentation relative du niveau d’études est un atout extrêmement fort pour l’amélioration relative du statut social.

Dans tous les cas, en décidant de s’engager dans les études supérieures, avec tout ce que cela représente souvent comme coûts et sacrifices divers, les gens basent généralement leur décision sur la théorie du choix rationnel.

Rappelons brièvement que le choix rationnel ou la décision rationnelle est un terme générique utilisé pour désigner, en fait, non pas une théorie, mais plusieurs théories de l’action développées notamment en Economie, où elles constituent un paradigme dominant, et en Sociologie, où elles sont en concurrence ave d’autres paradigmes sociologiques. Généralement, ces théories attribuent aux agents un comportement rationnel qui leur permet, devant un certain nombre de choix possibles, d’adopter un comportement visant le plus grand profit ( ou le moindre mal , dans le cas négatif ). Parmi les adeptes et les défenseurs de la théorie du choix rationnel, dans le domaine de la Sociologie, nous pouvons justement citer, parmi d’autres, le sociologue Raymond Boudon.

Au Rwanda, après 1994, les nouvelles autorités politiques du pays ont éliminé les principales barrières basées sur la discrimination « ethnique », régionale et même sur l’origine sociale qui, en matière d’éducation, a longtemps empêché certains jeunes rwandais d’accéder à l’enseignement, surtout secondaire et supérieur. Ainsi depuis l’arrêt du génocide de 1994 contre les Tutsi et la fin de la guerre de libération du pays l’on a commencé à assister à la libéralisation et la démocratisation de l’éducation (enseignement) au Rwanda. Cette nouvelle politique inclusive, intégrative et qui se base sur une vision claire de transformation positive profonde du pays a, par conséquent, généralement entraîné une certaine massification dans l’éducation, à tous les niveaux.

Actuellement, chaque chômeur rwandais est bien conscient qu’il serait bien difficile d’espérer trouver un emploi si on n’est pas détenteur d’un diplôme, au moins, de second cycle de l’enseignement supérieur. En effet, en matière de recherches d’emplois, on remarque que la compétition s’avère actuellement rude!

Cependant, en réalité, ce phénomène sociologique n’est pas si surprenant pour les personnes averties, car l’on sait bien que, ici comme ailleurs, le système économique ne peut généralement pas changer au même rythme que le système éducatif.

Hélas, nous n’avons pas l’intention de dire que, là où ce phénomène se manifeste, les décideurs politiques n’ont aucune marge de manœuvre face au problème du chômage relatif existant. Puisque, théoriquement, le phénomène est sociologiquement bien connu, c’est toujours et principalement aux hommes ( hommes et femmes) politiques de prendre ( même de façon anticipée) des mesures adéquates et au moment juste pour, si pas empêcher ou éliminer totalement le chômage, au moins l’adoucir.


Dr Sébastien GASANA

Sociologue

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