Entre versions officielles et officieuses, le rôle des forces en présence dans l’arrestation de Laurent Gbagbo reste un mystère. C’est l’art de la guerre et le charme discret des interventions extérieures.

Un soldat de la Licorne à Abidjan le 11 avril, jour de l’arrestation de Laurent Gbagbo. Reuters/Luc Gnago l’auteur

 

Officiellement, la crise ivoirienne est terminée. Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) sont venues à bout de la résistance des derniers fidèles de Laurent Gbagbo, l’ancien Président a été arrêté, et la paix, nous dit-on, revient peu à peu dans les rues d’Abidjan. Les images récentes de ce qui reste du palais présidentiel sont la preuve de la violence et de l’acharnement des frappes et des combats: entassement de carcasses de véhicules calcinés, façade crevassée d’impacts, pièces incendiées. Et, nous assure-t-on également, le rôle de l’armée française dans cette tragicomédie sanglante s’est borné au déploiement d’hélicoptères d’attaque dans le cadre de l’opération Licorne. Tout est bien qui finit bien, passons à autre chose, à un autre dossier brûlant, comme la Libye par exemple, où là encore, nous nous contentons d’éreinter les forces de Kadhafi depuis les airs.

En réalité, il est probable que la participation des unités françaises à la «bataille d’Abidjan» est allée au-delà des missions des Gazelle de l’Aviation légère de l’armée de terre (Alat) contre les armes lourdes des pro-Gbagbo. En fait, au moment de l’arrestation de l’ancien Président, les premières informations à circuler, tant du côté de Gbagbo que de celui de Ouattara, affirmaient qu’il avait été appréhendé par des troupes françaises. Peu après, la version de l’histoire changeait, et c’est depuis aux seules FRCI que revient le mérite de sa capture.

La guerre, une affaire secrète

Ce phénomène n’est pas nouveau, pas plus qu’il n’est uniquement français. Partout où les forces occidentales interviennent, il se passe sur le terrain des choses plus complexes que l’image que l’on en a, des choses parfois peu reluisantes, mais la guerre n’est pas une affaire de gentlemen. Du reste, même à la glorieuse époque des chevaliers, un champ de bataille n’était pas un endroit particulièrement courtois.

Cette dichotomie est indissociable de toute action militaire. Les raisons en sont multiples, la première étant bien évidemment d’ordre tactique et stratégique. Un haut commandement, quel qu’il soit, n’a pas intérêt à ce que soit connu le détail de ses opérations. Or, en dépit de l’idée que se fait l’opinion publique de la guerre moderne, idée véhiculée tant par les militaires eux-mêmes que par les médias, les combats ne se résument pas au décollage de Rafale du pont du Charles-de-Gaulle, à des films flous en noir et blanc se terminant toujours par des explosions et à des communiqués de porte-parole en treillis camouflé.

Une autre raison tient au romantisme indécrottable des médias occidentaux. Dès que les troupes d’un pays de l’Otan, la plupart du temps américaines, britanniques ou françaises, entrent en jeu aux côtés d’une rébellion, c’est cette dernière qui suscite la plus grande attention, voire un véritable engouement. Très vite, journaux et télévision dépêchent des correspondants sur le terrain qui, bien souvent au péril de leur vie, vont tenter d’en savoir plus sur les rebelles. Toutes proportions gardées, on renoue alors avec l’enthousiasme d’un Hugo ou d’un Byron pour les révolutionnaires grecs en guerre contre les Turcs.

Les reportages se multiplient, les noms les plus exotiques fleurissent. En Tchétchénie, on ne parle plus de «combattants», mais de boïeviki, ce qui, en gros, veut dire la même chose en russe, mais vous a quand même un autre cachet. Que les belligérants, surtout ceux du camp auquel les médias ont accès, s’affublent de noms de guerre plus ou moins ridicules, et ils seront aussitôt repris à l’envi. Très vite, le public a ainsi entendu parler des «Invisibles» en Côte d’Ivoire. Qu’il soit un boïevik, un Invisible, un Albanais de l’UÇK ou, archétype du rebelle chéri des médias, un moudjahidine afghan sous le commandement du «Lion du Panchir» (le défunt commandant Massoud), il perd très vite son statut de combattant irrégulier pour acquérir celui, mythique, de «guerrier». Ajoutons une pincée de déterminisme, et l’on a alors droit à des tableaux dithyrambiques sur l’Afghanistan, «tombeau des empires», le Tchétchène né pour la guerre ou sur les qualités intrinsèques du «guerrier toubou» au Tchad.

Au Tchad, justement, quand, dans les années 80, l’armée libyenne du colonel Kadhafi avait tenté de s’implanter dans le Tibesti, les fameux guerriers toubous, entre autres, lui avaient infligé de cuisants revers. A l’époque, les médias assuraient que les Tchadiens avaient remporté de brillants succès contre les blindés libyens grâce à l’emploi de missiles antichars Milan, dont ils auraient appris le maniement en trois jours. Or, à ce sujet, les avis sont plutôt partagés. Si certaines sources confirment qu’en effet, il est très facile de se familiariser avec ces armes, d’autres assurent au contraire, citant l’exemple des moudjahidine afghans formés par des instructeurs français, que les combattants irréguliers préfèrent le lance-roquettes antichars RPG-7, plus rustique, peinant à maîtriser le système de filoguidage du missile européen.

Alors, étaient-ce vraiment les Toubous qui manipulaient les Milan au Tchad? A l’époque, des rumeurs faisaient état de la présence sur place d’éléments du 11e régiment de parachutistes de choc, affilié au service de renseignements de la DGSE. Info ou intox, l’anecdote montre à quel point il est difficile de savoir ce qu’il en est vraiment sur le terrain, au plus fort des combats. (Pour ceux qui souhaiteraient découvrir le monde mystérieux des forces spéciales, leur organisation et leurs opérations, nous recommandons chaudement la lecture de l’excellente synthèse d’Eric Denécé, parue aux éditions du Rocher: Forces spéciales, l’avenir de la guerre?)

Une intervention au sol, forcément

De toute façon, même sans aller jusqu’à imaginer des soldats français déguisés en rebelles pour passer inaperçus et procédant eux-mêmes à la destruction des armes lourdes ennemies, dès que l’on parle de frappes aériennes, il y a intervention au sol. En effet, les opérations aériennes sur des objectifs terrestres, blindés, bases, positions de DCA, concentrations de troupes, nécessitent forcément la présence d’unités spéciales infiltrées afin d’éclairer ces cibles.

En 2001, des Français étaient déjà sur place en Afghanistan, auprès des hommes de Massoud, et ils auraient préparé le terrain aux Américains. Auparavant, au Kosovo, en dépit des démentis officiels, des Français, des Britanniques et des Américains étaient également sur place. Le quotidien britannique The Guardian avait d’ailleurs signalé la mort d’un membre des SAS (les forces spéciales britanniques) au combat, information immédiatement niée par l’Otan. Par conséquent, ne nous leurrons pas, des forces françaises sont toujours actives au sol, même quand on ne nous en dit rien. Ce qui, d’ailleurs, est légitime. Les militaires n’ont aucune raison de nous dévoiler leurs secrets dans les moindres détails. Après tout, c’est la guerre.

Aussi, si rien ne nous permet de confirmer que ce ne sont pas les Invisibles qui ont capturé Laurent Gbagbo, une chose est sûre: s’ils l’ont fait, c’est avec l’aide de gens dont le métier, lui, est précisément de rester invisibles.

Roman Rijka

 

Lire aussi:

Alassane Ouattara, un rapport ambigu à la violence

Pourquoi la France fait la guerre à Laurent Gbagbo

http://www.slateafrique.com/1535/role-licorne-abidjan-secret-bien-garde
Posté par rwandaises.com