Dakar, 26 avr (APS) – La maison d’édition française Zulma, pour son vingtième anniversaire, vient de rééditer « Murambi, le livre des ossements », l’un des premiers romans sur le génocide des Tutsi du Rwanda, en 1994, une réédition agrémentée d’une postface instructive de l’auteur, le Sénégalais Boubacar Boris Diop.

S’il constate une meilleure connaissance de ce qui s’est passé au Pays des Mille Collines depuis la première publication, en 2000, de son roman, grâce à une riche production scientifique et littéraire, Diop déplore l’absence quasi-totale des intellectuels africains dans toutes les bibliographies relatives au génocide.

‘’A ma connaissance, écrit-il, les intellectuels africains sont les seuls au monde à refuser, sous les prétextes les plus variés et divers, mais souvent hautement farfelus, de prendre en compte les faits historiques pouvant avoir de si graves conséquences sur le destin des générations futures.’’

‘’Murambi’’ de Boubacar Boris Diop c’est l’histoire de Cornelius, qui revient au Rwanda après un exil d’une vingtaine d’années à Djibouti. Il n’a pas connu le génocide de 1994, mais une fois chez lui, il se livre, à l’épreuve de la réalité, à un travail de mémoire pour essayer de comprendre ce qui a bien pu mener au massacre de près d’un million de personnes.

Rappelant que depuis la première parution du livre, il y a onze ans, il a été amené à discuter de son contenu avec les publics les plus divers, dans de très nombreux pays, l’écrivain avoue, même cela ne lui plaît pas, que c’est en Afrique même que le refus de s’intéresser aux Cent-Jours du Rwanda, d’en analyser les mécanismes spécifiques ou de simplement en parler, lui a toujours paru le plus manifeste.

Boubacar Boris Diop revient, dans ce texte de 35 pages, sur la résidence ‘’Rwanda : écrire par devoir de mémoire’’, initiative de l’organisation arts et médias d’Afrique ayant permis à une dizaine d’écrivains du continent d’aller, comme le souligne l’écrivain, ‘’réinvestir’’ leur propre écriture.

Pour sa part, Diop relève que sa formation de journaliste lui a été d’un grand secours : ‘’pendant deux mois, je me suis contenté de poser des questions et d’écouter en silence, avec une infinie patience, les réponses que l’on voulait bien y faire’’.

Il reprend à son compte la ligne de Yolande Mukagasana, développée dans l’ouvrage ‘’N’aie pas peur de savoir’’ (Paris : J’ai lu, 1999). ‘’Il ne suffit pas de compatir aux souffrances des victimes pour donner du sens au fameux +Plus jamais ça+, écrit Boris Diop : il est tout aussi essentiel de connaître en détail les circonstances de la tragédie et mêmes les motivations des génocidaires.’’

Il ajoute : ‘’Le refus de savoir que redoute Mukagasana, même s’il se réfugie souvent derrière un bel alibi – ne pas se défausser sur les autres de nos errements – est surtout l’expression d’une totale perte d’estime de soi’’.

’’En vérité, explique-t-il, ce ne sont pas nos yeux mais notre esprit qui s’est détourné du gigantesque amoncellement de cadavres sur les collines du Rwanda (…). Ignorer à ce point sa propre histoire, cela a plus à voir avec un déficit d’humanité qu’avec le simple manque d’information’’.

Pris alors, comme beaucoup d’autres dans le tourbillon politico-médiatique de ne voir les Cent-Jours du Rwanda autrement que comme ‘’un affrontement tribal où tous les acteurs avaient, de façon égale, du sang sur les mains’’, Diop ne voulait pas, dit-il, ‘’revenir du Pays des Mille Collines avec une œuvre de fiction’’.

D’une certaine manière, ajoute-t-il, ‘’la promesse a été tenue : ’Murambi, le livre des ossements’ accorde beaucoup plus d’importance aux faits rapportés par mes interlocuteurs qu’aux tours de passe-passe souvent associés à une écriture expérimentale’’.

’’Le voyage rwandais n’était pas seulement une expérience littéraire sans précédent, elle a aussi été le passage à l’acte dont rêve en secret tout artiste’’, écrit Boubacar Boris Diop.

’’Même s’ils méprisent souvent les politiciens, les créateurs envient leur énergie et leur capacité à influer directement sur l’existence de leurs semblables’’, poursuit-il, relevant que l’occasion d’une aussi forte adhésion au réel n’avait jamais été offerte, à lui et à ses collègues, avant ‘’Rwanda : écrire par devoir de mémoire’’. ‘’Et nous avons beaucoup apprécié de pouvoir enfin faire, au sens propre, œuvre utile’’.

Diop ajoute : ‘’L’aventure reste cependant irremplaçable non pas pour des raisons littéraires mais parce que les livres qui en sont issus ont contribué à rendre justice, si peu que ce soit, aux victimes du génocide’’.

C’est pour le rappeler et rester ‘’en dialogue’’ avec des lecteurs qui lui écrivent encore, onze ans après la parution du roman, que l’auteur a tenu à ajouter une postface à cette nouvelle édition de Murambi, le livre des ossements.

Cette postface est l’occasion pour l’écrivain d’expliquer la structure éclatée du roman par ‘’ce désir de donner à voir ou pressentir une myriade de destins individuels pendant le génocide’’. ‘’Parti au Rwanda +par devoir de mémoire+, je n’ai voulu abandonner personne sur le bord de la route’’.

Dans ce regard rétrospectif sur le génocide et le roman, une chose ne pouvait manquer : Boubacar Boris Diop réaffirme la responsabilité de l’Etat français dans le génocide des Tutsi du Rwanda. Bien avant cette tragédie, insiste l’écrivain, ‘’les exemples de Madagascar, du pays bamiléké ou de l’Algérie montrent bien que la France a commis plus de massacres pour ne pas quitter l’Afrique que pour la conquérir’’.

‘’Cette certitude qu’elle peut toujours tout se permettre chez ses obligés du pré carré africain a perdu la France au Rwanda’’, estime l’écrivain sénégalais, relevant cependant que ‘’la mémoire d’un génocide est une mémoire paradoxale : plus le temps passe, moins on oublie’’.

Point positif s’il en est, ‘’les citoyens français savent désormais que leur pays a été un acteur important du dernier génocide du XXe siècle. Ça n’est pas rien. Un génocide, c’est le crime absolu et il est plus que déshonorant d’être associé à ceux qui ont planifié et mis en œuvre l’extermination des Tutsi du Rwanda’’.

Cet exercice, fort utile, auquel s’est livré Boubacar Boris Diop en ajoutant une postface à la nouvelle édition de son roman, s’inscrit, comme le voyage qui a donné naissance au livre, dans le cadre d’un devoir de mémoire : ‘’une façon d’opposer un projet de vie au projet d’anéantissement des génocidaires’’.

‘’Le romancier y a son mot à dire’’, estime l’auteur, soulignant qu’il ne sert toutefois à rien de lui prêter l’ambition de soulever des montagnes avec ses seules chimères. ‘’Il est en vérité plus modeste : savoir qu’il a juste fait +un peu de bien+ suffit souvent à son bonheur’’.

Le bonheur est aussi dans cette très belle postface. Sa lecture permet de se rendre compte que, pour Boubacar Boris Diop, après l’expérience rwandaise, la lecture romancée des événements s’éclaire différemment. L’auteur incite à ne pas avoir honte de regarder les événements, récents ou passés, d’en comprendre les manifestations et les conséquences, avant de passer à autre chose.

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Posté par rwandaises.com