Avec le congé de printemps qui pointe le bout de son nez et la période des révisions… puis les examens… qui suivront de près, il ne sera peut-être pas simple d’organiser une rencontre entre Pauline Kayitare et vos élèves. Mais peut-être aurez-vous le temps de découvrir son témoignage et l’envie de l’inviter l’année prochaine dans votre classe. Pauline Kayitare est une rescapée du génocide rwandais de 1994. Elle a 13 ans lorsqu’elle perd sa mère et ses frères et sœurs, massacrés par des gens qui avaient été des voisins, des proches, des amis… Sa survie, elle la doit à un bon conseil de sa mère. Un conseil en forme d’assurance-vie : « tu leur diras que tu es Hutue. » Elle échappera miraculeusement à la mort dans un pays en proie à la folie.

Devenue adulte, elle obtiendra la nationalité française en se faisant, une nouvelle fois, passer pour Hutue. Aujourd’hui, elle raconte ces journées qu’elles a passées cachée, seule, dans la jungle, ces îlots perdus où se réfugiaient les Tutsis terrorisés, les longues marches durant la nuit pour échapper aux tueurs, les coups de machettes, le silence assourdissant des pays européens, Belgique et France en tête. Mais dans ce témoignage, aucune trace de haine ou de rancœur. Pauline Kayitare livre ici un récit bouleversant, forcément subjectif mais empreint d’une réelle humanité.

Un message fort que la jeune femme aimerait pouvoir porter dans les écoles afin de discuter avec les jeunes et aborder avec eux des valeurs comme  la tolérance, le respect des autres, de leur culture. Enseignons.be a rencontré pour vous Pauline Kayitare.

Bonjour Pauline. Je suis très heureux de vous rencontrer car j’ai été vraiment touché par votre livre. Ma première question est la suivante : pourquoi, afin d’obtenir la naturalisation française, avoir une nouvelle fois menti en prétendant être Hutue alors que les victimes du génocide étaient les Tutsis?

Après 1994, nombreux ont été les génocidaires à demander l’asile politique à la France. Le gouvernement était depuis juillet aux mains des Tutsis. Pasteur Bizimungu était devenu le président et Paul Kagame le vice-président. Le FPR (Front patriotique rwandais), qui était principalement tutsi, était au pouvoir. En tant que Tutsie, je n’avais donc aucune raison de quitter mon pays. Mais il fallait que je parte. J’ai donc menti à nouveau.Un mensonge nécessaire car même si j’ai vécu dans l’imposture, elle m’a permis d’avancer. Dans la peau d’une victime, ce n’était pas possible.

« Ce livre, c’est avant tout une thérapie »

Pourquoi avoir écrit ce livre?

Après avoir fui le Rwanda, j’ai étudié en France et travaillé. Je me suis mariée et ai aujourd’hui une petite fille. Depuis quelques mois, j’habite en Belgique et je travaille dans un cabinet d’avocats. Mais alors que tout semblait enfin aller bien pour moi, je suis tombée en dépression. On ne peut pas oublier ce qui s’est passé. Pendant 16 ans, j’ai revécu l’horreur, je faisais des cauchemars. Mon compagnons m’a suggéré d’écrire mon histoire, ce que j’ai fait. Ce livre, c’est avant tout une thérapie.

Une manière d’exorciser ses démons?

Oui. Et c’est aussi un devoir de mémoire. La plupart des gens n’osent pas parler de ce qui s’est passé, ils ne trouvent pas de mots pour expliquer l’inexpliquable.

Justement, vous, comment expliquez-vous ce qui s’est passé?

Je ne l’explique pas. Vous savez, ces tueurs, ce sont des gens avec qui on avait tout partagé. On avait plongé nos mains dans la même assiette. Et du jour au lendemain, ils sont devenus les chasseurs et nous le gibier. Lorsqu’ils nous chassaient, nous nous cachions dans la forêt. Et lorsqu’il pleuvait, ils rentraient se mettre à l’abri tandis que nous restions sous la pluie. Et je me demandais : « Pensent-ils à nous quand ils sont au chaud? »

« J’étais sur le banc des assassins »

Le conseil de votre mère vous a sauvé la vie. Expliquez-moi.

Nous avions été capturés par les tueurs dans le village. Je me suis souvenue du conseil de ma maman et j’ai dit à l’homme qui m’avait attrapée : « ne me tuez pas, je suis comme vous, je suis Hutue ». Et là, j’ai vu que l’homme hésitait. Est-ce qu’il m’a crue ou est-ce qu’il m’a laissé le bénéfice du doute? Je ne sais pas. Tous les autres prisonniers ont été tués. Des hommes, des femmes et des enfants. Et moi, je vivais. Et j’ai tout vu. C’était le prix de ma vie, tous ces morts. La question que l’on se pose, c’est « pourquoi moi et pas les autres? »  J’étais sur le banc des assassins, spectatrice. Et personne ne criait, l’espoir était tué. Il y a sûrement chez moi un sentiment de honte. Et puis ces femmes qui sortaient piller les cadavres…

Ma maman ne m’a pas sauvé la vie, elle m’a insufflé la survie. C’est grâce à elle que je suis en vie et pour elle que je vais me battre. Désormais, c’est en moi.

Le mensonge fonctionne car vous êtes petite et que vous n’avez pas les traits physiques des Tutsis.

Oui et il n’y avait pas la carte d’identité. Il faut savoir que normalement, chaque rwandais avait sa carte d’identité sur laquelle il était noté si vous étiez Hutu ou Tutsi. Nous étions contrôlés à l’école. Et la discrimination était bien présente. Il y avait des listes. Seuls les Hutus pouvaient aller à l’université, par exemple. Les instituteurs favorisaient les Hutus.

« Les criminels sont revenus habiter dans le village »

Votre père a survécu lui aussi. Comment peut-on se reconstruire après avoir vécu tout cela?

Mon père est quelqu’un d’extraordinaire. C’était un homme fort, qui savait se battre. Mais aujourd’hui, il n’a plus envie de vivre, comme beaucoup de gens qui ont vécu le génocide. Ces crimes laissent des traces profondes. Quand vous revenez dans votre village et que celui-ci est désert, soit vous devenez fou, soit cous continuez. Et le plus dur, ce sont les criminels qui sont revenus habiter dans les villages où ils ont tué leurs amis, des membres de leur famille… Lorsque je suis retournée enterrer ma mère et mes frères et sœurs, il y avait des gens qui avaient commis des crimes qui étaient présents. Mais mon père n’a pas de rancune, pas de méfiance.  Il ramène des gens à la maison, sans distinction. Il a adopté des enfants hutus. C’est une belle leçon de vie.

C’est votre père qui a retrouvé les corps de votre maman et de vos frères et sœurs.

Oui. Plus de neuf ans plus tard, il les a retrouvés. J’ai reconnu ma maman grâce à ses vêtements. J’ai été heureuse de pouvoir les enterrer et ainsi faire mon deuil.

Aujourd’hui, vous souhaitez témoigner dans les écoles. C’est un beau message que vous portez.

Cela me tient à cœur. Plus d’un million de personnes ont été massacrées. Il faut en parler. Peut-être les gens sont-ils prêts aujourd’hui à entendre ce qui s’est passé.

Voilà donc un témoignage à découvrir et à faire découvrir. Notons que Pauline Kayitare reversera les droits de son ouvrage à une association qui vient en aide aux orphelins de Kibuye au Rwanda. En vraie boulimique du travail, elle n’envisage pas pour l’instant de mettre son métier de comptable entre parenthèses… mais si les sollicitions sont nombreuses, elle promet d’y penser.  Si vous souhaitez inviter Pauline dans votre école, prenez contact avec Anne Wuilleret (a.wuilleret@andreversailleediteur.com).

Vous avez envie de lire le livre? Les éditions André versaille vous proposent d’en découvrir les premières pages. Et si vous nous laissez un petit mot sur le site, Enseignons.be vous enverra peut-être un exemplaire dédicacé. Bonne lecture.

http://www.enseignons.be/actualites/2011/04/03/pauline-kayitare-enfer-genocide-rwandais/

Posté par rwandaises.com