Info Collectif VAN – www.collectifvan.org – Marcel Kabanda, Président de l’Association Ibuka France qui sauvegarde la mémoire des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, a eu l’amabilité de nous transmettre le discours qu’il a improvisé magistralement le dimanche 24 avril 2011, lors de la 96e commémoration du génocide des Arméniens à Paris. Le Collectif VAN diffuse ici ce texte que Marcel Kabanda a retranscrit de mémoire : « Aujourd’hui, la négation a trouvé ses supporters du côté où on l’attendait le moins, du côté des historiens. Ceux qui, au nom de la liberté pour l’histoire, multiplient des obstacles au vote des lois contre le négationnisme, peuvent-ils nous prouver que la loi Gayssot a empêché les recherches et études sur la Shoah ? (…) Il y aura un avant et un après 4 mai, on saura qui est du côté de la dignité et qui est du côté de l’indignité. » Pour mémoire, le 4 mai 2011, après 4 ans de blocage, le Sénat français doit se prononcer sur la loi tendant à sanctionner la contestation du génocide arménien. Le CCAF appelle à un rassemblement le 4 mai à 14H devant le Sénat.

Dimanche 24 avril 2011

Paris

Chers amis,

Je vous remercie de m’avoir convié à cette cérémonie d’hommage aux vôtres disparus voici 96 ans. Mais en même temps que je pense aux souffrances qu’ils ont endurées, à l’avilissement dont ils ont été l’objet, je pense aussi à votre courage, à votre obstination à maintenir leur mémoire, à demander que justice soit faite. Dans l’introduction à cette cérémonie, il a été dit que c’est le génocide le plus connu de l’histoire. J’ajouterais que c’est le crime le plus long de l’histoire. 96 ans de négation, de mensonge, sont 96 ans de perpétration du génocide. Le bourreau, dit-on, tue deux fois, une fois physiquement, une seconde fois en niant le crime.

Je n’ai pas préparé un discours. Je suis ici pour vous exprimer un message de mes amis et collègues de l’Association Ibuka France. C’est un message de sympathie, de solidarité et d’amitié.

Il y a deux semaines, nous commémorions pour la 17ème fois le génocide commis contre les Tutsi du Rwanda en 1994. Ce matin, j’ai assisté dans ma ville, à Fontenay-aux-Roses à la célébration de la journée de déportation. Et je suis maintenant, je suis là pour commémorer avec vous le génocide des Arméniens. Il y a comme une généalogie du génocide. C’est une espèce qui se perpétue, se met en veilleuse par ici et réapparaît avec virulence par là. Au lendemain de la Shoah, les Nations ont prêté un serment suivant lequel il n’y aurait plus jamais ça. Le Cambodge et le Rwanda ont montré que cet engagement n’a en rien cassé le ressort de sa reproduction. Il est peu probable que le dernier slogan de la responsabilité à protéger y change quelque chose.

La ressource des génocides réside dans l’une de leurs dimensions les plus souvent négligées, oubliées, la négation, la banalisation. Avant l’invasion de la Pologne, Hitler a pris soin de leur rappeler que tout le monde avait oublié le génocide des Arméniens. Il leur avait confié une mission, il leur donnait un viatique adéquat, on peut tuer et nier et quand bien même il arrive à en prendre connaissance, le monde a une étonnante capacité à oublier. Aujourd’hui, la négation a trouvé ses supporters du côté où on l’attendait le moins, du côté des historiens. Ceux qui, au nom de la liberté pour l’histoire, multiplient des obstacles au vote des lois contre le négationnisme, peuvent-ils nous prouver que la loi Gayssot a empêché les recherches et études sur la Shoah ?

Un rendez-vous est pris : je serai à vos côtés le 4 mai devant le Sénat. Votre demande est juste. Après la destruction de leurs racines, vos parents se sont trouvés dispersés loin des terres où ils étaient nés, loin de leurs terres. Depuis, d’une génération à l’autre, vous essayez de vous reconstruire. Mais cette reconstruction n’est pas achevée. Je vois ici des adultes, des jeunes et des moins jeunes. C’est que vous sentez tous qu’il manque quelque chose pour consolider le travail de reconstruction et d’intégration que vous avez admirablement accompli durant des années. Il manque la reconnaissance de l’histoire de destruction qui est depuis 1915, constitutive de votre identité. L’Europe dans laquelle nous sommes et dont nous sommes fiers le sait. Elle sait que la reconnaissance et la prise en compte des catastrophes qui tout au long du XXè siècle ont failli l’anéantir a constitué le ressort de sa construction. Celle-ci ne repose pas seulement sur le commerce du charbon et de l’acier mais aussi sur le désir de paix et de dignité pour tous les peuples qui la constituent. L’enseignement de l’histoire et les discours sont tout sauf l’oubli ou la négation du passé. La vérité sur le passé est, à la fois, une reconnaissance de la dignité de celles et ceux qu’il a engloutis et une garantie que l’on se battra pour qu’elle soit désormais assurée à tous. L’Europe sait aussi que vous avez pris part à ces combats, que vous avez enrichi sa culture et son économie. Mais pour votre plein épanouissement, vous avez besoin que votre passé soit reconnu et respecté.

Il y aura un avant et un après 4 mai, on saura qui est du côté de la dignité et qui est du côté de l’indignité.

Marcel Kabanda

Texte oral et écrit de mémoire

http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=53830

Posté par rwandaises.com