(Courrier International 13/05/2011)
L’Afrique commémore à sa façon les trente ans de l’accession au pouvoir de François Mitterrand. En effet, le contexte est marqué par des consultations électorales intenses sur le continent. Comme il l’avait recommandé dans son célèbre et désormais historique discours de La Baule qui, en 1990, arrima l’aide à la démocratie. Mais aujourd’hui, que reste-t-il de l’effet Mitterrand ? Peut-on se risquer à affirmer que le continent a avancé sur le plan de la démocratie ? Sans doute le passage de Mitterrand a-t-il marqué le monde. A sa façon, il a contribué à la chute du mur de Berlin, permettant ainsi l’amorce de la fin de la guerre froide. Mais c’est dans les anciennes colonies d’Afrique que l’homme d’Etat français aura laissé le plus de traces. Car, Mitterrand, c’est également ça : la constance dans la défense des intérêts français. Il s’y est tellement employé que certains se demandaient s’il appartenait à la droite ou à la gauche. C’était oublier que jamais la France ne renoncerait à ses chasses gardées sur le continent.
L’homme savait séduire ses interlocuteurs et les foules. Avocat de formation et de profession, il savait aussi se rallier au monde dans la défense de causes qu’on croyait parfois perdues. Opposant farouche des années durant, il avait fait rêver en Afrique ces porteurs d’idéaux progressistes et autres frondeurs qui n’avaient de cesse de hanter le sommeil des dictateurs. Aussi son élection en 1981 avait-elle suscité de réels espoirs du côté des opposants africains. Beaucoup attendaient de lui ce changement radical dans la diplomatie africaine de l’Elysée, qui devait permettre l’amorce d’une démocratie véritable assortie de l’amélioration effective des conditions socio-économiques sur le continent, la partie francophone en particulier. La rupture attendue n’eut jamais lieu. Une fois au pouvoir, Mitterrand s’efforcera de rappeler dans la pratique que « la France n’a pas d’amis, mais bien des intérêts », comme on le clamait depuis l’époque du général de Gaulle.
Peu à peu, Mitterrand s’accommoda de certaines situations sur le continent. Contrairement aux attentes, et sans gêne aucune, il donna plus de force à la Françafrique. Ouvertement, il s’acoquina avec les vieilles oligarchies qui suçaient le sang des pays africains. Les anciens comptoirs français et les multinationales de l’Hexagone continuèrent leur pillage. Au niveau des chefs d’Etat, des dinosaures comme Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, Paul Biya au Cameroun, Omar Bongo au Gabon, Denis Sassou au Congo et Mobutu au Zaïre [RDC depuis 1997] eurent le vent en poupe. En revanche, des intrépides comme feu Thomas Sankara du Burkina Faso, se heurtèrent à un donneur de leçons sans pitié pour tous ceux qui, à ses yeux, avaient des attitudes pleines d’impertinence.
Il fallut attendre 1990 pour voir Mitterrand donner officiellement le ton de la nécessaire démocratisation du continent, sous peine de voir l’aide s’évaporer. Ce rusé « opposant historique de France » avait deviné à travers les luttes qui s’intensifiaient que les peuples africains marchaient vers une victoire certaine. Il fallait manœuvrer afin de récupérer la situation. D’où les nombreuses conférences nationales souveraines qui devaient aider, par le biais d’un multipartisme de façade, à mieux encadrer la libre expression des peuples en colère. Encouragés par le silence complice ou la bienveillance de Paris, les gouvernants africains entreprirent alors de conserver ou de reconquérir le pouvoir à la faveur de textes de lois taillés sur mesure. Métamorphosés selon le goût du jour, les partis uniques s’organisèrent donc pour remporter « haut la main » des élections savamment truquées. Ceci, aux dépens de partis d’opposition mal organisés, divisés et dépourvus de ressources, dans un contexte de pauvreté criarde et d’analphabétisme inouï. Avec regret, l’on découvrait alors cet autre visage de Mitterrand : l’occupant socialiste de l’Elysée ne semblait point se soucier des intérêts des larges masses laborieuses d’Afrique. Au gré des intérêts de la France, celui-ci ne se gênait pas de soutenir les dictatures et les régimes impopulaires sur le continent. La plupart de ces gouvernants avaient bien compris que pour avoir la paix, il fallait être dans les bonnes grâces de Paris.
Qu’a donc apporté Mitterrand aux Africains ? Incontestablement, le défunt chef de l’Etat français a servi de référence à de nombreux intellectuels du continent, adeptes de son socialisme à visage humain. N’empêche que le plus souvent, ils auront eu du mal à obtenir son appui quant à l’application véritable, chez eux, des principes élémentaires du socialisme. Certes, avec le discours de La Baule, Mitterrand a su courageusement prôner la démocratisation et inciter de nombreux chefs d’Etat à s’engager dans cette voie périlleuse pour la survie de leurs régimes. Mais des conseillers français étaient toujours là pour les aider à ne jamais partir, au nom des intérêts… français ! Une vraie politique de droite pour un leader classé à gauche ! Autant les prises de position du président Obama aux Etats-Unis tranchent par leur clarté, autant celles de Mitterrand ont bien souvent paru ambiguës. Une ambiguïté qui a profité à nombre de chefs d’Etat africains de l’époque, lesquels étaient peu enthousiastes à l’idée de voir la démocratie s’installer dans leurs pays respectifs. Quelques-uns ont néanmoins joué le jeu. Au Bénin et au Mali, entre autres, le parcours semble prometteur. De quoi se demander ce que serait devenue l’Afrique sans le discours de La Baule.
Mais doit-on tenir Mitterrand pour responsable de ce qu’il est advenu des tentatives de démocratisation en Afrique francophone ? Assurément pas. Il n’aura fait que son devoir : défendre vaille que vaille les intérêts de la France. Comme au Rwanda, pour soutenir le président Habyarimana et faire échec à ceux qui mettaient en danger l’influence française dans la région des Grands Lacs. Toujours est-il qu’aujourd’hui, dans la majeure partie des cas, la démocratisation laisse toujours à désirer en Afrique francophone. Trente ans après l’avènement de Mitterrand au pouvoir en France, vingt et un ans après le discours de La Baule et quinze ans après la mort de l’ancien président français, le bilan reste assurément mitigé.
1 commentaire(s) HISTOIRE Le discours de La Baule
Le 20 juin 1990, huit mois après la chute du mur de Berlin, François Mitterrand accueille à La Baule, sur la côte Atlantique, la XVIe Conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France. Le discours qu’il prononce à cette occasion marque un tournant dans les relations entre l’ancienne puissance coloniale et son pré-carré africain. « Nous ne voulons pas intervenir dans les affaires intérieurres. Pour nous, cette forme subtile de colonialisme qui consisterait à faire la leçon en permanence aux Etats africains et à ceux qui les dirigent, c’est une
forme de colonialisme aussi perverse que tout autre », affirme le président français, avant d’annoncer que l’aide de la France sera désormais subordonnée à l’avancée du processus de démocratisation. Dans la conférence de presse qui suit ce discours, Mitterrand établit ainsi une distinction entre « une aide tiède », destinée aux régimes autoritaires refusant toute évolution démocratique, et « une aide enthousiaste » réservée à « ceux qui franchiront le pas avec courage ».
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Posté par rwandaises.com