Quelques questions à Deborah Brautingam, professeur à American University (New York), auteur de « The Dragon’s gift » The real story of China in Africa, Oxford University Press, 2009

Quelle est la marge de manœuvre d’un pays tel que le Congo, lorsqu’une puissance comme la Chine lui propose un crédit de 9 ou 10 milliards de dollars  afin de se doter d’infrastructures?

Il n’y a rien de surprenant à ce que les négociations aient été empreintes de suspicion ; elles ont duré longtemps, les accords ont été diffficiles à conclure… Il y avait déjà eu un précédent, où un riche pays d’Asie avait prêté de l’argent, promis des investissements et des transferts de technologie, en échange de matières premières dont il avait besoin, du charbon entre autres : c’est le « deal » qui avait été conclu autrefois entre le Japon et une Chine qui sortait du sous développement, disposait de matières premières et avait besoin de tout le reste. C’est ce qui s’appelle la « voie asiatique » : alors que les Occidentaux mettent l’accent sur la bonne gouvernance, la démocratie et en font une priorité, les Asiatiques croient que le développement est lié aux infrastructures, lesquelles permettent le développement des échanges, du commerce et donc de la production…

En Afrique, la Chine, qui se souvient d’avoir elle-même été un pays en développement, et qui a encore du chemin à faire dans les zones rurales, entend mettre en œuvre sa propre expérience, pas si ancienne…

Depuis combien de temps étudiez vous cette « voie asiatique » ?

Depuis plus de trente ans je voyage en Chine, je parle le chinois et j’ai assisté aux changements de cette société. La Chine aujourd’hui se tourne vers l’Afrique, de la même manière que naguère le Japon avait entrepris de développer la Chine,  la Corée du Sud…Aujourd’hui les élèves ont égalé le maître, suivant l’enseignement de Confucius, et les Asiatiques croient que ce décollage qui a été possible chez eux peut être envisagé pour l’Afrique également. Pour eux, l’Afrique n’est pas un « basket case » un cas désespéré, mais une opportunité d’investissements, d’échanges, de profits mutuels. Sur ce sujet, il n’y a pas de concurrence entre pays asiatiques : la Chine, la Corée du Sud et même Taïwan se concertent à propos de l’Afrique…

Quelle est la différence entre l’attitude des Européens et celle des Chinois ?

Les gouvernements occidentaux assurent qu’ils aident l’Afrique,  par des dons ou des prêts à taux d’intérêts très bas. Ils posent des conditions en matière de gouvernance, de droits de l’homme, envoient des coopérants, des experts, qui vivent dans des conditions très au dessus de celles des populations locales et multiplient rapports coûteux, séminaires et autres ateliers dispendieux. Mais ils ne pratiquent pas de transferts de technologie et sont focalisés sur certaines matières premières dont ils ont besoin, le pétrole, les produits miniers.

Pour les Chinois, tout est intéressant, tout peut faire l’objet d’échanges : le cacao du Ghana, les arachides du Sénégal…La Chine de consent pas de prêts concessionnels : tout doit être remboursé, car il s’agît d’accords commerciaux. Mais le remboursement peut se faire sous forme de livraisons de pétrole dans le cas de l’Angola, de produits miniers ou agricoles. De cette manière, l’argent ne circule pas, les coûts sont moindres, les possibilités de détournement, de corruption  très réduites.

En Afrique, les Chinois vivent dans des conditions beaucoup moins coûteuses que les Européens, ils sont moins exigeants et les salaires qu’ils paient sont beaucoup plus bas.

Mais surtout, la Chine donne aux pays africains les moyens de rembourser les prêts consentis : en investissant dans les moyens de production, les infrastructures, les Chinois estiment que les ressources générales du pays vont augmenter, et donc, en même temps, les capacités de remboursement, et, plus largement, le pouvoir d’achat de la population. Ce qui permettra à cette dernière d’acquérir… des produits chinois…

Les articles chinois que l’on vend en Afrique sont de très mauvaise qualité..

Cela est du au fait que le pouvoir d’achat des Africains est encore très bas. On leur vend donc des articles de consommation courante de troisième catégorie. Mais la Chine peut faire mieux : ce qu’elle vend sur le marché américain ou européen est de qualité supérieure, car le pouvoir d’achat est beaucoup plus élevé. Dès que les Africains auront plus de moyens,  on leur enverra des produits de meilleure qualité : avec les Chinois, tout est d’abord question de business…

A la suite des pressions du Fonds monétaire international, qui redoutait un nouvel endettement, le crédit chinois qui, en république démocratique du Congo  devait financer les infrastructures est passé de 6 milliards de dollars à 3 milliards. Le montant initial pourra-t-il être rattrappé ?

Je ne le crois pas et je le regrette :  l’accord initial prévoyait trois milliards d’investissements dans le secteur minier, six dans les infrastructures. Cela faisait partie d’un deal global et il a été amputé au détriment du Congo, sous la pression des Occidentaux. D’autres prêts pourront être consentis, mais plus aux mêmes conditions. Il faut savoir aussi que c’est la Chine qui a pris tous les risques : les travaux d’infrastructures ont déjà commencé, on voit les Chinois à l’œuvre partout, alors que l’exploitation minière, qui devra permettre de rembourser ces travaux, n’a pas encore débuté…

On a accusé la Chine de vouloir réendetter  des pays comme la RDC ; c’est théoriquement exact, à ceci près que la Chine entend aussi multiplier les investissements productifs afin de donner à ces pays les moyens de la rembourser. Quant au manque de transparence, c’est un faux argument : les contrats signés au Congo avec certaines sociétés occidentales ne sont pas transparents non plus. Et dans un pays  comme le Niger, l’un des plus pauvres d’Afrique, il faudra tout de même m’expliquer comment il se fait que la société française Areva, qui exploite l’uranium depuis 40 ans, ne contribue pas plus à l’économie du pays que les exportateurs d’oignons…

Il se dit souvent que la Chine envoie en Afrique des prisonniers, des gens privés de liberté, qui doivent accepter des contrats de trois ans…

Je connais cette rumeur, j’ai essayé de la vérifier, mais je n’y suis jamais parvenue. Ce qui est vrai, c’est qu’une partie des salaires des ouvriers des grandes sociétés est payée en Chine, il s’agît donc d’une sorte d’épargne forcée..

La Chine est aussi accusée de vouloir acheter en Afrique de vastes terres cultivables, pour y produire de la nourriture…

Cela aussi c’est une légende :  plusieurs de ces projets  ont été abandonnés, tout simplement parce qu’ils n’étaient pas rentables, les coûts de transport étant trop chers. La Chine préfère produire de la nourriture pour sa population dans des pays d’Asie, plus proches géographiquement…

Alors que les autorités de Kinshasa voulaient développer rapidement leur pays, avaient elles un autre choix que se tourner vers la Chine ?

Elles n’avaient pas de meilleur choix, tous les autres étaient pires. Alors que ce pays sortait de la guerre, que tout était détruit, que l’Occident avait peur de s’engager, ce sont les  Chinois qui ont fait le pari… Comment l’Europe aurait-elle pu relever le défi ? La seule mise à niveau de l’Allemagne de l’Est absorbe 62 milliards d’euros par an, pendant dix ans : les priorités de l’Europe se situent ailleurs et les Congolais, qui ne voyaient rien venir, ont été obligés de se tourner vers la Chine. Sinon, ils attendraient encore…

http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2011/05/31/la-chine-applique-en-afrique-sa-propre-strategie-de-developpement/#more-924

Posté par rwandaises.com