Photo. REUTERS/Hereward Holland
Le président rwandais Paul Kagamé sera en visite officielle à Paris en juillet. Une première depuis le génocide de 1994 contre les Tutsi.
Un Président rwandais à Paris? Voilà près de vingt ans qu’on n’avait pas vu ça! Depuis la dernière visite privée, en octobre 1993, de Juvénal Habyarimana, alors grand ami de la France. Cette fois-ci c’est son successeur, et ennemi déclaré, longtemps considéré comme un «Khmer noir» à l’Elysée, que Paris s’apprête à accueillir très officiellement. Annoncée par l’hebdomadaire Jeune Afrique, la venue de Paul Kagamé marque une nouvelle étape dans le rapprochement, toujours délicat, entre Paris et Kigali. Paradoxalement, c’est au moment où Kagamé semble affaibli par des défections dans les rangs de ses proches que Paris accueille l’homme fort du Rwanda.
Mais la visite de Kagamé en France en juillet 2011 aura été précédée par celle, bien plus discrète, mercredi 27 avril, du ministre de la Justice, Tharcisse Kavaragunda, qui a rencontré son homologue français, Michel Mercier, ainsi que des responsables du ministère des Affaires étrangères français.
De quoi ont parlé les deux ministres? Encore et toujours du génocide de 1994 contre la minorité Tutsi, qui a fait plus de 800.000 morts en trois mois. Les discussions ont inévitablement abordé le sort réservé aux nombreux Rwandais désormais installés en France mais suspectés d’avoir participé aux massacres.
Des plaintes en cours d’instruction à Paris
Une vingtaine de plaintes sont en cours d’instruction au Tribunal de grande instance de Paris. Elles concernent toutes des Rwandais arrivés en France après les massacres et qui ont refait leur vie, souvent sans qu’on leur pose beaucoup de questions sur leur passé.
Pendant plusieurs années, les procédures judiciaires ont été ralenties voire découragées par les tensions entre les deux pays, qui ont rompu leurs relations diplomatiques en 2006, avant de se réconcilier trois ans plus tard. Le travail de la justice française en a été facilité.
En mars, Fabienne Pouss, l’une des quatre juges d’instruction chargée de ces dossiers délicats à Paris, a effectué un nouveau déplacement au Rwanda pour faire avancer les enquêtes. Des gendarmes français investis dans ces investigations ont déclaré récemment que des procès pourraient même être organisés en 2012.
Depuis 1994, Kigali exige que ces suspects rwandais soient jugés ou bien extradés vers le Rwanda. La France, comme beaucoup d’autres pays occidentaux, a toujours rejeté cette seconde option. Pas d’extradition, donc. Mais en renouant avec Kigali, Paris doit désormais envisager la possibilité de juger ces hôtes, parfois encombrants. Certains d’entre eux ont en effet été un temps des alliés de la France.
Un exemple: préfet de la région de Gikongoro, au Sud-Ouest du Rwanda, Laurent Bucyibaruta avait applaudi l’arrivée des troupes françaises de l’opération Turquoise fin juin 1994. On le jugera très coopératif. Et il ne sera pas inquiété pour son rôle éventuel dans les massacres massifs orchestrés sur les collines de sa région.
Mais, finalement, ce sont les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par le général Paul Kagamé qui ont gagné la guerre. La présence des troupes françaises au Sud-Ouest du Rwanda n’y a rien changé. Alors Laurent Bucyibaruta est parti en exil en France.
Il y vit toujours aujourd’hui, près de Troyes. Et depuis près de deux décennies, malgré une plainte déposée en France contre lui dès l’an 2000 et deux brèves arrestations, il n’a guère été dérangé par la justice française. Il a pourtant fait également l’objet d’un acte d’accusation émis par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui en 2007 a transféré son dossier à la France, chargée désormais de le juger.
Très discret, Laurent Bucyibaruta est l’un de ces dossiers délicats qui, au moment d’un procès, pourrait ouvrir la boîte de Pandore des zones d’ombre de la politique française. Face à un tribunal, que racontera l’ancien préfet accusé de crimes contre l’humanité sur sa coopération avec les forces de Turquoise?
Le rôle ambigu de la France
Certains des militaires français qui ont participé à l’opération Turquoise se trouvaient déjà au Rwanda entre 1990 et 1993, soutenant l’effort des troupes rwandaises contre les rebelles du FPR. L’ennemi c’était alors Kagamé, et la dérive ethniste du régime Habyarimana fut trop longtemps minimisée. Au moment du génocide, la France mettra un certain temps à rompre avec les héritiers d’Habyarimana, impliqués dans les massacres.
L’attitude parfois ambiguë de Paris, ainsi que des militaires français présents au Rwanda, est désormais reconnue, comme l’a confirmé récemment l’ambassadeur de France actuellement en poste à Kigali, Laurent Contini.
A plusieurs reprises après 1994, Kagamé lui-même a ouvertement accusé la France d’avoir soutenu et armé les forces génocidaires. Mais, d’un côté comme de l’autre, la justice a souvent été utilisée comme une arme diplomatique.
La tenson entre Paris et Kigali a ainsi viré au conflit ouvert lorsqu’en novembre 2006, le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière émet neuf mandats d’arrêt contre de hauts responsables rwandais membres du FPR, parmi lesquels Paul Kagamé. On sait aujourd’hui, grâce aux télégrammes divulgués par WikiLeaks, que c’est avec l’aval de l’Elysée que Bruguière a ainsi accusé ouvertement le FPR d’avoir assassiné le Président Juvénal Habyarimana à la veille du génocide, provoquant la rupture des relations diplomatiques.
Son enquête, partiellement remise en cause par la rétractation de plusieurs témoins, a été depuis confiée à ses successeurs à la tête des affaires antiterroristes: les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux. Contrairement à Bruguière, ils ont pu se rendre à Kigali en septembre 2010, et procéder à une analyse balistique dont les conclusions seront connues en juin 2011.
Reçu à Paris, l’actuel ministre rwandais de la Justice a eu l’opportunité de méditer sur les revirements à 180 degrés, de la diplomatie comme de la justice. Tharcisse Kavaragunda est ministre de la Justice depuis 2006, l’année de la rupture avec Paris. Il était alors monté au créneau pour présenter une enquête rwandaise, réponse de Kigali à Bruguière, mettant en cause certains responsables français de 1994 dans le génocide. Parmi eux, l’actuel chef de la diplomatie française, Alain Juppé, figurait au premier rang des accusés.
Evidemment, aujourd’hui, ces accusations ne sont plus d’actualité. Reste que le retour d’Alain Juppé au Quai d’Orsay a été mal vécu à Kigali. Ministre des Affaires étrangères en 1994, en pleine cohabitation, Alain Juppé a toujours défendu l’opération Turquoise, dont il fut l’un des principaux artisans, et n’a jamais accepté la repentance face à l’action de la France durant le génocide. Comme il l’a plusieurs fois souligné sur son blog.
Pourtant, c’est bien officiellement à sa demande que le Président Paul Kagamé est invité en juillet à Paris. Présent pour la première fois au Rwanda lors des commémorations du génocide le 7 avril, l’ambassadeur français des Droits de l’Homme, François Zimmeray, a transmis l’invitation, au nom du chef de la diplomatie française.
Zimmeray était accompagné à Kigali par le prédécesseur d’Alain Juppé au Quai d’Orsay, Bernard Kouchner, qui n’a pas manqué de souligner sa différence, rappelant qu’il avait, lui, toujours été solidaire des Rwandais dans la tragédie du génocide. Sans pour autant réussir côté français à faire «taire les voix discordantes».
L’attitude à adopter face au génocide et au régime de Paul Kagamé ne fait toujours pas l’unanimité. La mémoire reste à vif. Mais c’est bien la quête de la vérité, et donc de la justice, qui pèsera, d’une façon ou d’une autre, sur l’avenir des relations franco-rwandaises, toujours hantées par les secrets du passé.
Maria Malagardis
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La paix des juges entre Paris et Kigali
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Posté par rwandaises.com