Contreverse judiciaire autour d’un documentaire sur le Rwanda
(Marianne 21/06/2011)

Dans une petite salle du tribunal de Paris, on a débattu du génocide rwandais. Une fois de plus, les protagonistes du débat autour des massacres ont préféré régler leurs comptes en justice.

Une petite salle d’à peine 40 m2, 20 personnes environ, pas de caméras de télévision. Malgré les apparences, l’affaire est grave, ici, on débat du génocide rwandais. Lundi 20 juin, le juge des référés du Tribunal de Paris était saisi d’une requête de trois personnalités rwandaises : Agathe Habyarimana, veuve de Juvénal, ex-président rwandais assassiné en 1994, Charles Twagira et Marcel Bivugabagabo, les trois étaient absents.

Dans la ligne de mire des plaignants : le documentaire « Génocide au Rwanda : des tueurs parmi nous ? », censé être diffusé le 28 juin sur France 2 dans le cadre de l’émission « La grande traque » et réalisé par Manolo d’Arthuys, également absent à l’audience. La diffusion était prévue le 31 mai mais elle était repoussée suite à l’arrestation de Ratko Mladic qui a fait l’objet d’une émission spéciale.

Les trois intéressés arguaient que ce film portait atteinte à leur présomption d’innocence en leur imputant un rôle dans le génocide alors qu’aucun d’eux n’a été condamné. Ils ont pour cela enclenché une procédure dite de référé heure par heure qui permet de prendre en urgence des « mesures conservatoires » face à « un dommage imminent » ou « un trouble manifestement illicite » (article 809 du Code de procédure civile).

Mais le plus cocasse est qu’aucun des plaignants n’a pu voir le documentaire en question. Aussi ont-il demandé que soit organisé un visionnage du documentaire avant toute diffusion et en présence du juge des référés, histoire de voir si cela vaut le coup de continuer l’offensive judiciaire. Pour les mêmes motifs, Quick avait déjà tenté de faire jouer son droit de regard sur un reportage d’Envoyé spécial avant sa diffusion à la télévision, sans succès. Le terroriste Carlos avait lui demandé un droit de regard sur la triologie d’Assayas avant sa diffusion sur Canal+, sans succès non plus au nom de la « liberté d’expression ».

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Dossier : la défense de DSK Pour justifier leur procédure, les plaignants se sont basés sur un communiqué de presse de France télévisions disant notamment « Seize ans après les faits, la justice rwandaise et la justice internationale ont jugé et condamné de nombreux responsables. Mais combien sont encore en liberté ? Alors que certains se cachent en Afrique, d’autres vivent en toute impunité en Europe, notamment en France où Manolo d’Arthuys les a retrouvés. », Ils ont aussi brandi une interview de D’Arthuys à TéléObs, le supplément télé du Nouvel Observateur. Les deux pièces ont été diffusées au moment de la première programmation avortée du documentaire.

Et au vu des accusations qui y sont portées, les plaignants ont alors demandé en vain à France télévisions et à Tony Comiti, le producteur, de pouvoir visionner le reportage en question. C’est alors que la diffusion du documentaire a été repoussée du 31 mai au 28 juin. Me Philippe Meilhac, avocat de la veuve Habyarimana, y a vu en effet de la procédure judiciaire enclenchée : « Il a été reporté pour être retravaillé (…) la mouture originale n’était pas convenable ». L’avocat a notamment relevé l’insertion avant le documentaire d’un panneau, envoyé en copie aux plaignants à défaut d’une copie du film, rappelant le principe de « présomption d’innocence » au bénéfice des personnalités interrogées. Faux, a rétorqué Me Richard Malka, avocat de Tony Comiti productions, la procédure n’a rien à voir avec cela : « Cela fait 4 mois que on l’a inséré, on n’a rien retouché, on nous fait un procès d’intention ».

Me Florence Bourg a aussi critiqué les propos tenus par Manolo D’Arthuys à TéléObs parlant d’une « méconnaissance du sujet ». L’avocat cite notamment cette phrase du journaliste : « Le Rwanda est très bien tenu par le président Kagamé, le Hutu ne bouge plus une oreille » . Elle y voit des « propos nauséabonds » qui « frôlent le racisme ». « Qu’ils poursuivent le Nouvel Obs », répond Me Malka. Même réponse sur les propos du communiqué du France Télés : « Qu’ils poursuivent le communiqué ! ». L’avocat précisé également que « les trois (plaignants) ont été entendus (dans le documentaire), c’est contradictoire » démentant ainsi toute mise en cause arbitraire.

« J’ai dû apprendre tout le génocide rwandais en 48 heures »
Ceux qui croyaient voir un débat sur les réelles responsabilités dans le génocide rwandais en ont été pour leur frais. L’audience en référé est moins spectaculaire que le procès Péan en 2008 (où il a gagné en appel en 2009 face à Sos Racisme qui l’accusait de diffamation raciale à l’égard des Tutsis). Pas de témoins mais des joutes parfois techniques entre avocats.

Me Malka reconnaît lui-même ne pas être un spécialiste de la question : « J’ai dû apprendre tout le génocide rwandais en 48 heures ». Il affirme cependant qu’Agathe Habyarimana a été actionnaire de la triste Radio Mille Collines avec son défunt mari. Il y a également une querelle sémantique entre les deux parties. Me Malka accusant ses adversaires de parler de « massacres interethniques » et non de « génocide », ce que les intéressés démentiront.

Me Bourg préfère débattre sur le terrain de la déontologie journalistique : « Le seul but (de Manolo D’Arthuys) est de mettre en petite boîte les propos d’Agathe Habyarimana pour en faire ce qu’il veut ». A croire que le grand déballage sur l’histoire rwandais n’est par pour aujourd’hui : « On vous demande de juger avec un référé heure par heure, une des controverses majeurs du XXe siècle », tonne Me Malka. En attendant donc que l’Histoire sorte de ses tourments, c’est la Justice qui tranchera. Réponse le 23 juin.

Tefy Andriamanana – Marianne | Mardi 21 Juin 2011 à 05:01

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