Massés au bord de la route menant de Bukavu à Mwenga, un territoire qui plonge au cœur du Sud-Kivu, les villageois ne se souvenaient pas d’avoir jamais vu un tel cortège de voitures, amenant tant d’étrangers d’un seul coup. Et surtout, dans ce territoire minier, une sorte de Far West pluvieux, plus fréquenté par les soldats et les aventuriers que par les altermondialistes, nul ne se rappelle avoir jamais entendu parler de solidarité, de justice, de réparations…

C’est ici, à quatre heures de piste de Bukavu, que les participantes à la Marche mondiale des femmes ont tenu à venir se recueillir devant ce haut lieu du martyrologe congolais, où la première pierre d’un monument a été posée, en hommage aux treize femmes et aux deux hommes qui furent enterrés ici, en octobre 1999, jetés debout dans une fosse et lentement ensevelis sous les pelletées de terre.

Dans la foule qui se serre sous la pluie pour regarder tous ces Blancs, tous ces officiels et parmi eux la Ministre du genre et de l’enfant qui pose la première pierre d’une future maison de la femme, il y a Machozi Asoni, 60 ans. Droite, ridée, le regard perçant et la mémoire intacte. Elle se souvient de tout, elle était là lorsque les militaires, début octobre 1999, envahirent le quartier : « ils cherchaient des sorcières, des femmes qui fabriquaient des gris gris pour les Mai Mai » (ces amulettes sont censées rendre invulnérables les combattants congolais, des garçons du village qui s’opposaient à la présence des forces rwandaises). La veille, une fille qui vivait avec le chef des soldats était tombée malade et elle avait accusé les femmes de lui avoir jeté un sort… »

Machozi raconte comment sept femmes, ses voisines, furent alors enlevées, pour l’exemple : « les militaires du mouvement rebelle de l’époque, le RCD Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie, sous les ordres du Rwanda) se sont emparées d’elles, les ont frappées, emmenées au cachot. Six autres femmes et deux hommes, également suspects, allaient suivre. »

La prison est toujours là, avec ses murs délavés par les pluies et cette boue rouge qui colle aux semelles. En dessous de l’escalier, on distingue une sorte de fosse remplie d’eau : « c’est là », dit Machozi, « que les femmes ont été jetées, c’est là qu’elles ont croupi durant plusieurs jours. Nous entendions leurs hurlements, car elles avaient été frappées à la tête avec des bâtons, blessées à l’arme blanche. Avant de les précipiter dans l’eau qu’ils avaient remplie de sel, les militaires avaient couvert les femmes de pili pili, ils leur avaient ouvert le vagin avec des tiges de bois, et introduit les piments… »

Deux autres femmes, Angelina Bibiha et Naluwinja Andropine interviennent, ajoutent elles aussi leurs souvenirs : « les femmes vivaient encore lorsqu’on les a sorties de la prison. Elles ont été poussées vers le centre de Mwenga, entièrement nues, blessées, mais elles se tenaient encore droit. Un grand trou avait été creusé dans le sol, elles ont dû y entrer debout. Les militaires ont lancé des pelletées de terre sur elles, jusqu’à ce qu’elles soient ensevelies, alors qu’elles pleuraient, qu’elles criaient encore… » Tous les habitants de Mwenga assistèrent au supplice, mais les femmes sont formelles : « dans la foule, on n’entendait rien, aucun cri, aucune larme, les militaires menaçaient de tirer sur nous au moindre bruit. Ils disaient que cela devrait nous servir de leçon, que nous ne devions plus aider les Mai Mai, nos enfants qui luttaient contre les envahisseurs venus du Rwanda… »

Sur le pré boueux qui devrait servir d’aire d’atterrissage à des hélicoptères qui n’arriveront jamais à cause des pluies diluviennes, une foule compacte se serre derrière des panneaux qui réclament la justice, le départ des militaires, des réparations. Sur l’un des cartons, tenu par les « orphelins de Mwenga » quelques noms sont peints en rouge, ceux des auteurs du crime contre les femmes : Kasereka, (probablement un nom d’emprunt) qui était à l’époque commandant de la place, et venait du Nord-Kivu, Ramazani, un militaire venu d’Uvira et leur chef de l’époque, Amisi Tango Four. Les deux premiers sont, dit-on, « cachés quelque part au sein de l’armée congolaise ». Le troisième, Gabriel Amisi, a pris du galon : il est aujourd’hui commandant en chef des forces terrestres. Tous ces hommes, à l’époque, étaient des supplétifs du Rwanda qui voulait contrôler l’Est du Congo…

Aujourd’hui, bénéficiant des accords de paix de 2002, ils ont été intégrés au sein des forces gouvernementales et ont parfois changé de nom. C’est pour cela aussi qu’à Mwenga, on se méfie de l’armée : « certains visages nous donnent le frisson » disent Machozi et les autres…

Cahotant durant des heures sur la piste rouge, lisse et glissante comme du savon, les délégations de la MMF, de village en village, ont ainsi découvert les plaies béantes du Congo : les collines désertes, occupées aujourd’hui encore par les rebelles hutus qui à l’occasion rançonnent et tuent, les agglomérations surpeuplées, où se sont réfugiés les civils chassés de leurs champs, tous ces gens qui crient, se bousculent, demandent qu’on les aide enfin. Les femmes ont aussi été confrontées à la multitude des crimes toujours impunis : à Kasika, les villageois ont barré la route pour expliquer au cortège comment, le 24 août 1998, leur Mwami (roi traditionnel des Bashi) avait été tué dans l’église, comment sa femme, enceinte de jumeaux, avait été éventrée sur l’autel, comment le prêtre et les fidèles avaient été massacrés.

Dans ces campagnes du Sud-Kivu, les viols, les tueries se poursuivent et les villageois dénoncent les opérations militaires en cours : « les rebelles se vengent sur nous, les militaires nous rançonnent, la guerre nous empêche de cultiver… »

Dimanche, des milliers de femmes se sont rassemblées à Bukavu, venues des Amériques, d’Europe, de toute l’Afrique (à l’exception des femmes rwandaises, spectaculairement absentes). Elles ont fleuri un modeste rond-point créé par des rescapés de guerre, et surtout, elles ont traversé la ville en chantant, en criant leur solidarité, en réclamant que leurs sœurs congolaises reçoivent enfin justice et réparations. A Mwenga, la coordinatrice locale de la marche a résumé le sentiment général en remerciant les femmes du monde entier d’avoir fait un tel voyage : « durant longtemps, lorsque nous racontions les horreurs que nous avons connues, notre crainte, c’était que l’on ne nous croit pas. Aujourd’hui, vous avez vu et entendu… »

BRAECKMAN,COLETTE

Jusqu’où retentira le cri des femmes de Bukavu ?

Catégorie reportage

Du jamais vu à Bukavu ! Quinze mille femmes dans la rue, vêtues de pagnes éclatants, arborant une exigence simple « je dénonce (le viol) et je dis non », défilant en scandant le slogan déjà célèbre dans tout le Congo : « sol sol, solidarité avec les femmes du monde entier ». Reportage.

Dimanche, même la pluie avait épargné la capitale du Sud-Kivu et c’est sous le soleil que la Marche des femmes, comme un long serpent bigarré, s’est déployée dans la ville. Sur les trottoirs, les hommes, pétrifiés s’étaient arrêtés pour regarder les femmes si belles, si nombreuses, si déterminées, qui s’étaient mises en marche après avoir planté l’arbre de la paix. Elles étaient venues de partout, les Latino américaines qui semblaient marcher sur la lune et se contentaient de scander des slogans altermondialistes, les Sud Africaines au poing levé qui scandaient « Amandla », le slogan de la lutte anti apartheid, les Burundaises plus belles que jamais sous leurs ombrelles blanches, les Quebecoises, les Espagnoles, qui retrouvaient ici les organisations féminines soutenues de loin depuis si longtemps. Ici, Blanches et Noires, marchant d’un même pas, partageaient les mêmes pagnes, portaient les mêmes espérances.

La délégation venue de Belgique, mandatée par toutes les organisations féminines du pays ainsi que par les syndicats et soutenue par Joëlle Milquet, était l’une des plus remarquée par la radicalité de son slogan : « ce que la Monusco (Mission des Nations unies) ne fait pas, nous on le fera… »

La Belgique ne s’était pas contentée d’envoyer une importante délégation, et Joëlle Milquet de se faire représenter par son conseiller diplomatique Charles Delogne et par l’ancien sénateur Georges Dallemagne. Bon nombre de femmes congolaises, dont des représentantes de toutes les organisations de base du Sud Kivu assuraient que les femmes belges (de Tournai entre autres) les avaient aidées en leur offrant des pagnes, des moyens de déplacement : « Si nous sommes ici, si nous parvenons à nous faire entendre, c’est grâce à la mobilisation de nos sœurs du monde entier, et en particulier de Belgique… »

Les déléguées de la Marche Mondiale, qui avaient animé trois jours débats passionnés à l’Athénée d’Ibanda et rendu hommage samedi aux femmes ensevelies de Mwenga, étaient ici dépassées en nombre par les Congolaises, défilant en rangs serrés qui semblaient grossir de carrefour en carrefour.

Car c’est de tout le pays que les femmes congolaises avaient convergé pour rejoindre leurs sœurs en souffrance, arborant fièrement le pagne des entreprises publiques ou de leurs associations, les drapeaux de leurs provinces respectives.

« Nous avons payé nous-mêmes notre voyage » assuraient fièrement les 40 femmes venues de Kisangani, « la Province Orientale aussi a été victime de la guerre et aujourd’hui encore des groupes étrangers venus du Soudan et d’Ouganda continuent à nous agresser, il était temps pour nous de joindre notre voix à celle de nos sœurs du Kivu… »Les Kinoises, les Katangaises, assuraient quant à elles avoir organisé des cagnottes, fait le tour des entreprises publiques et privées pour réunir les fonds nécessaires au voyage « il est important d’être là, de montrer que le Congo est un seul pays, que nous sommes solidaires… »

Au cours de cette journée mémorable, les querelles des jours précédents ont été oubliées. Au début en effet, très à cheval sur leur autonomie, les organisatrices de la marche avaient refusé le soutien des pouvoirs publics, craignant les risques de récupération politique. A la veille de la manifestation cependant, alors que les délégations étrangères convergeaient déjà vers Bukavu, les représentantes de la MMF à Kinshasa et au Kivu prirent la mesure de la faiblesse de leurs moyens face à l’importance de l’évènement et elles se décidèrent à coopérer avec la ministre du genre et de la famille Marie-Ange Lukiana qui prit les choses en main, de même que le nouveau gouverneur du Sud Kivu, Marcellin Cishambo. « L’enjeu, c’est l’image de notre pays, le succès de cette rencontre internationale » assurait Mme Lukiana. En une semaine, grâce à l’appui des autorités, Bukavu changea de visage : la route menant vers l’athénée d’Ibanda fut soudain asphaltée, des kiosques apparurent, protégés de la pluie par des auvents de toile, la ville se couvrit de banderoles reprenant les exigences des femmes, les dénonciations de la violence sexuelle…

A la fin, l’une des organisatrices congolaises Janine Mukanirwa devait le reconnaître :« sans le succès des pouvoirs publics, nous n’aurions pas pu réussir cette manifestation importante » tandis que le gouverneur Cishambo rappelait « pour reconstruire notre pays, restaurer l’autorité de l’Etat, -qui seul peut rétablir une paix durable- nous devons collaborer. La société civile et les pouvoirs publics ne sont pas opposés, ils sont complémentaires… »

Contre pouvoirs, anti pouvoirs, prélude à la campagne électorale, risque de récupération politique… Dimanche, toutes ces polémiques semblaient stériles au vu de ces femmes qui défilaient coude à coude et qui emplissaient la ville de leur seule exigence : « fin à la guerre, fin à la violence… »

Comment ce cri des femmes de Bukavu pourrait-il ne pas être entendu, à New York ou à Bruxelles ? Le bon sens des femmes ne s’embarrasse pas de précautions de langage ou de périphrases diplomatiques. Ce qu’elles veulent, c’est que « ces étrangers (les Hutus rwandais) qui ont été amenés chez nous à la faveur d’un couloir humanitaire demandé par la communauté internationale et qui ont semé la mort, soient ramenés chez eux, de gré ou de force. » C’est « que les violeurs soient punis, empêchés de nuire, qu’ils soient poursuivis, même s’ils font partie de nos forces armées ou des Casques bleus », que « les victimes, qui n’ont jamais été aidées, puissent enfin espérer une réparation des dommages subis ». A cet égard, le Belge Luc Henkinbrant, responsable du Bureau des Nations unies pour les droits de l’homme compte proposer que les victimes dont le cas sera traité par la justice puissent recourir à un fonds spécial, qui leur consentira une petite avance sur d’éventuelles indemnisations.

Quant à Georges Dallemagne, soucieux lui aussi de lutter contre l’impunité, il compte bien relancer une idée simple : effectuer des tests ADN sur les femmes victimes de viols (une procédure assez peu coûteuse, déjà pratiquée pour les demandeurs de visa…) afin de pouvoir retrouver, le cas échéant, leur agresseur et le sanctionner. Durant trois ans, Avocats sans Frontières, sans résultat, a étudié cette suggestion faite à l’époque par Karel De Gucht, mais désormais Dallemagne, médecin de son état, compte bien réactiver le projet : «s’il se concrétise,en plus de la sanction éventuelle, ce test pourra aussi avoir un effet dissuasif… »

On le voit, le cri des femmes est déjà entendu, de nouvelles initiatives s’annoncent…Il est temps, car depuis les montagnes du Sud Kivu, des nouvelles inquiétantes atteignent Bukavu : désorientés, rendus furieux par l’arrestation de leur chef Callixte Mbarushimana, les rebelles hutus ont intensifié leurs attaques et, nous dit un témoin « c’est avec une rage, une violence décuplées qu’ils s’attaquent désormais aux civils… »

Le Nord et le Sud Kivu demeurent une poudrière, la guerre et la peur rodent toujours sur les collines, mais dimanche, durant quelques heures, des milliers de femmes ont bravé l’angoisse pour célébrer la solidarité, forcer le destin à se montrer plus clément.

La cérémonie de clôture, sur la place de l’Indépendance, fut à la mesure de cette matinée mémorable : alors que se terminaient les discours officiels, les derniers groupes de femmes affluaient encore, leur pas scandé par la fanfare kimbanguiste. On vit la ministre Lukiana galvaniser la foule, l’épouse du président promettre de transmettre à son époux, « le soir même » le manifeste de la marche mondiale tandis que dans la foule les « fans » d’Olive, la première dame, -qui a un charisme certain-, hurlaient de joie. On entendit aussi le gouverneur Cishambo chanter d’une belle voix de basse un hymne religieux, un chant en lingala puis s’improviser maître de cérémonies pour que tous, d’une seule traite, entonnent, à capella et le cœur aux lèvres le bel hymne national « Debout Congolais »…
Les Congolaises ont démontré, elles, qu’il y a longtemps qu’elles sont debout, qu’elles marchent, qu’elles n’ont jamais renoncé à lutter pour leurs droits et leur dignité. Et à Bukavu elles ont découvert qu’elles n’étaient plus seules dans ce combat…

COLETTE BRAECKMAN

Bukavu, capitale de la solidarite des femmes

Catégorie actualité

Reina et Isabel, arrivées du Nicaragua et du Salvador après quatre jours de voyage, Bernadette qui représente les femmes du Burkina Faso, ou Myriam Nobre, la Brésilienne qui parle au nom de la coordination mondiale des femmes, ne rencontreront jamais Mehura, la petite Congolaise de 17 ans, qui cajole son bébé en espérant retrouver un jour sa famille…C’est pour elle cependant, et pour toutes ces Congolaises enlevées, violées, massacrées, que des centaines de femmes, venues de 148 pays, se sont réunies à Bukavu et se préparent à marcher dimanche.
A quelques centaines de mètres de l’athénée d’Ibanda, devenu pour quelques jours la capitale des femmes en mouvement, Mehura regarde le temps passer depuis le centre d’accueil du BVES (Bureau pour le volontariat au service de l’enfance et de la santé) où l’a déposée le Haut Commissariat aux réfugiés.
Voici deux ans, avec trois autres filles de Nyunzu (Nord Katanga) elle se dirigeait vers le marché de Muhuya lorsque des combattants rwandais des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) se sont emparées d’elles et les ont emmenées dans le Masisi, au Nord Kivu. « Nous étions leur butin, l’un d’eux a dit que je serais sa femme, ou plutôt son esclave. J’ai porté ses paquets, et par la suite j’ai cultivé son champ. Je devais aller vendre au marché et lui ramener l’argent, lui préparer la nourriture et la nuit, coucher avec lui. Je n’osais pas lui parler, il était brutal et les hommes qui gardaient le camp, en pleine forêt, menaçaient de nous tuer si nous tentions de fuir. Lorsque l’armée congolaise a entamé ses opérations contre les Rwandais, les autres filles ont réussi à s’échapper. Moi, je n’osais pas bouger à cause de mon bébé. L’homme, avant de fuir, l’avait appelé « Prince »… Finalement, lorsque les combats se sont calmés, je suis partie à pied vers Minova où la Croix Rouge m’a recueillie. Si je retrouve ma famille au Katanga, j’espère qu’elle ne va pas me rejeter à cause du bébé rwandais. Mehura sourit en caressant le bébé joufflu : « Prince », c’est tout ce que j’ai… »
La petite Congolaise vit à côté de Mahoro, une Rwandaise de 15 ans, qui, elle, a été violée par des groupes armés congolais. Son père est rentré au Rwanda, sa mère a épousé un Congolais qui ne veut pas d’elle, elle a mal au ventre depuis qu’elle a perdu, à sept mois de grossesse, l’enfant qu’elle portait sans même savoir qu’elle était enceinte…Elle ne sait pas qui va un jour l’accueillir. Dans un autre centre du BVES, Innocent raconte qu’il avait 10 ans lorsqu’il fut enlevé par les rebelles hutus, transformé en esclave, en porteur, durant cinq ans, tandis que Bitawa, 15 ans, qui combattit avec les rebelles congolais Mai Mai raconte fièrement qu’il était devenu « docteur » : « je fabriquais les gri gri, les amulettes qui nous protégeaient des balles.. »Aujourd’hui, il apprend à se servir d’une machine à coudre.
Dans des familles d’accueil, des centres comme celui du BVES qui héberge 400 femmes et enfants dans la seule ville de Bukavu, des centaines, des milliers de « poussières de vie » flottent ainsi entre la guerre et la paix, entre la souffrance et l’espoir.
C’est pour ces innombrables et obscures victimes des conflits qui, depuis quinze ans, ont dévasté la région que les femmes venues de 40 pays se sont réunies à l’athénée d’Ibanda. Partout dans la ville, des banderoles disent non au viol et à la servitude, à l’exploitation sauvage des ressources minières, réclament une justice efficiente. Dans le grand hall qui porte le nom de la militante belge Denise Comanne, où le vent fait bouger des rubans noués en dernière minute, les femmes racontent leurs combats, disent leurs exigences. Grands boubous, turbans audacieusement noués, entrelacs de tresses, pagnes, bijoux traditionnels, les femmes rassemblées ici sont belles, éclatantes de couleur et de diversité. Elles se succèdent à la tribune, font de longues files devant le micro, s’expriment en toutes les langues, à tout moment des applaudissements éclatent, le slogan de la marche mondiale est repris en chœur : « sol sol solidarité, avec les femmes du monde entier ». Les institutions financières internationales, instruments d’une mondialisation qui écrase les femmes, en prennent pour leur grade, les ONG du Nord, volontiers donneuses de leçons et dont les programmes s’arrêtent lorsque les subventions s’épuisent, sont mises en cause « quel développement nous ont-elles apporté depuis quinze ans? », demande une déléguée de Haïti, tandis qu’une Burundaise, fièrement, relève que la gratuité de l’enseignement primaire a été instaurée dans son pays et que les femmes enceintes ont désormais accès aux soins de santé.
Les Rwandaises, qui auraient tant à dire en matière de promotion de la femme (elles sont majoritaires au Parlement) ont renoncé à faire le voyage, arguant de questions de sécurité et beaucoup y voient un mauvais présage. En dernière minute, Joëlle Milquet a du annuler son voyage, mais la délégation venue de Belgique témoigne de la vitalité de la diaspora congolaise.
L’atmosphère est chaleureuse, désordonnée, conviviale. Toutes les femmes membres du gouvernement de Kinshasa ont fait le déplacement et, en leur nom, la Ministre du genre Marie Ange Lukiana rappelle qu’une loi sur la parité homme femme a été votée, ainsi qu’une loi interdisant les violences sexuelles. Mais de la loi à la pratique, le chemin est trop long… L’épouse du chef de l’Etat s ’insurge cependant contre cette appellation « capitale mondiale du viol » qui a été accolée à son pays et demande que « ceux qui ont amené ces groupes armés dans notre pays nous aident à les ramener chez eux… » Mme Olive Kabila surprend aussi lorsqu’elle incite les femmes à « balayer devant leur propre porte », à se montrer solidaires entre elles, par exemple en ne « chipant » pas les maris des autres, en se querellant entre belles sœurs, en n’étant pas assez attentives aux femmes âgées… Dans la salle, l’accueil est mitigé, d’aucunes y voient des messages d’ordre privé, mais beaucoup estiment aussi que la « première dame » a brisé des tabous. On se chuchote des histoires de « premiers » et « deuxièmes bureaux », on dénonce le machisme des Congolais et des hommes en général, en soulignant que la violence est aussi domestique.
A l’extérieur, dans une Foire de souveraineté alimentaire, des femmes vendent du fretin (menu poisson du lac), des pagnes, du café bio, des paniers de raphia. D’immenses photos montrent les femmes d’ici, qui gravissent les montagnes courbées sous le poids de leurs fagots. « Rien qu’en les regardant, je souffre » dit un jeune garçon, main dans les poches…
Dimanche, on marchera, sans doute dans le désordre et un joyeux tohu bohu, mais on avancera…

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Posté par rwandaises.com