La planète est aujourd’hui gérée par ce que l’on appelle la « communauté internationale », entité difficile à définir, et évidemment mythique. Si l’on en croit les médias, ce personnage éprouve des sentiments d’horreur, de réprobation, d’émotion, de compassion,…, dispose d’assez d’autorité pour recommander le respect des droits de l’homme et de la démocratie, prend des engagements qu’il sait pertinemment ne pas pouvoir tenir, commet des erreurs, et continue d’intervenir dans la gestion du monde de façon irresponsable suivant les humeurs des leaders dont la compétence est contestable et contestée. L’hypocrisie du concept cache mal une insatisfaction profonde au sujet de la gestion anarchique de la société mondiale à l’heure de la « mondialisation ».Or, parmi les incarnations variables de cette « communauté », que toutes les organisations mondiales ont quelques titres à représenter, l’Organisation des Nations Unies (ONU) est la première qui vient à l’esprit en raison des ses attributions politiques, sociales et morales, et de son officielle universalité.

De ce fait l’ONU, fait aujourd’hui problème. Nul ne cerne très bien ce qu’elle est, et ce qu’elle fait, ni quel est son degré d’importance, ou même son utilité. La confusion règne au sujet de son identité, parce qu’elle apparaît tantôt comme dirigée par la puissance hégémonique des Etats-Unis, tantôt comme le reflet d’une majorité composée des pays en développement, tantôt comme réduite à son Conseil de Sécurité, où les membres permanents jouent le rôle principal, tantôt comme son seul secrétaire général. Le rôle qu’elle joue dans les relations internationales est aussi difficile à estimer.

Il ne fait aucun doute en dépit de la place que lui accordent les médias depuis des années 1990 que l’ONU n’est qu’une infirme partie d’un immense réseau. Les institutions des relations internationales sont à la fois publiques et privées. Les firmes transnationales ou multinationales ont des filiales, des agences, des correspondants qui constituent un système mondial, en alerte permanente, et exercent une grande influence sur les gouvernements .IL existe aussi un très grand nombre d’organisations internationales (les ONG, ou organisations non gouvernementales), qui traitent de tous les problèmes imaginables et qui ont aussi leur agences, leurs bureaux, leurs représentants. Quant à l’ensemble public de relations entre les quelques deux cents états de la planète, il est constitué essentiellement par : les contacts au niveau le plus élevé entre chefs d’états et de gouvernement ou entre ministres des finances ou des affaires étrangères (les « sommets ») ; les relations diplomatiques bilatérales :ambassades, consulats, contacts directs entre administrations nationales ; un système d’organisations multilatérales, régionales, intercontinentales ou mondiales, politiques, économiques, ou techniques, dont le degré de coopération ou même d’intégration est très divers.

L’ONU est l’une de ces organisations, mais elle n’est pas celle qui assure les fonctions les plus importantes. Les questions de sécurité relèvent surtout des alliances militaires, les questions économiques du Fonds Monétaire International, de l’OMC (Organisations Mondiale du Commerce), de l’OCDE, ou de plus en plus du Groupe des huit qui réunit les plus grandes puissances économiques spécialisées, régionales ou mondiales. L’ONU touche sans doute à tout, mais de façon si marginale que l’on peut aisément imaginer un système dans lequel les fonctions quelle remplie seraient confiées à d’autres institutions .Son utilité et son efficacité apparaissent aussi discutables. En regardant sur les écrans de télévision les camions et les véhicules blindés marqués par UN (pour United Nations) et les scènes de guerres qui entourent et impliquent les « casques bleus » , l’opinion se demande si l’ONU est une organisation de paix ou une organisation de guerre ; si elle est un acteur indépendant sur la scène internationale ou si elle n’est, à travers son Conseil de sécurité, que l’exécuteur des décisions des plus grandes puissances et ,en particulier, des Etats-Unis. Les échecs de l’ONU en RD Congo, en Afghanistan, en Angola, en Yougoslavie, en Somalie provoquent la perplexité : les articles de presse qui attribuent son inefficacité à la mauvaise organisation de sa « bureaucratie » contredisent ceux qui prétendent qu’elle représente la moins mauvaise solution possible pour les difficiles problèmes que pose le développement des conflits interétatiques.

Les idées que l’homme de la rue se fait de l’organisation sont sans doute fondées sur les connaissances impartiales, sur l’idée que chacun se fait de la scène internationale, et sur les opinions politiques en général. Elles fluctuent aussi en fonction des traditions du pays dans lequel on vit et des rapports positifs ou négatifs qu’il a entretenus avec organisation au cours de son histoire. Elles accompagnent de sentiments parfois assez forts de mépris, d’inimitié ou d’admiration et peuvent enfin varier suivant les péripéties de l’actualité. Mais les spécialistes de l’ONU, universitaires, diplomates ou experts, ne sont pas beaucoup plus à l’aise que l’homme de la rue pour porter son jugement sur la nature ou sur les activités de l’institution ou sur les reformes qu’il faudrait faire pour la rendre plus efficace. Les familiers des colloques sur les organisations internationales connaissent bien l’importance des différences de perception de l’ONU. Les théories traditionnelles en ce domaine n’ont pas été renouvelées. Tout ce qui s’écrit au sujet de l’organisation relève toujours : soit du « réalisme » (ou du néo-réalisme), qui nie le changement, prétend que les relations internationales ne s’expliquent que par le jeu des intérêts internationaux et décrit les relations mondiales comme des lieux où s’affrontent les propagandes ; soit du « fonctionnalisme » qui, souvent avec candeur , prétend que les contacts entre techniciens et spécialistes permettront l’établissement d’une culture commune et pacifique, qui assurera en définitive le triomphe des valeurs occidentales ; soit d’un juridisme très généralement conservateur et purement descriptif, soit des thèses sur l’interdépendance, mais sans base théorique ; soit, enfin, de discours utopiques à des degrés divers, prolongeant l(idéalisme wilsonien, sur la force des droits de l’homme, des valeurs morales et de démocratie, qui débouchent en définitive sur une sorte de fédéralisme mondial.

En fait, tous ces courants se mélangent, de façon variable (et contradictoire), dans la plupart des esprits sans qu’il en résulte une théorie du changement, de la mondialisation, du dépassement des théories du Etats-nations et de l’intégration mondiale. Cette confusion ne sera pas aisément dissipée. La dimension mondiale de la plupart des problèmes devient chaque jour à la fois plus importante et plus difficile à appréhender.IL est au surplus normal que chacun ait de l’ordre mondial souhaitable une conception qui résulte à la fois de son idéologie et de ces incertitudes. Cette confusion est d’autant plus regrettable que l’idée qu’il faudrait réformer ou remplacer l’ONU fait des progrès dans les esprits. A l’ère de la mondialisation accélérée, quel est l’avenir de cette institution contestée, critiquée et pourtant porteuse d’espoir ? Peut-elle devenir capable de jouer un rôle dans la mondialisation politique dont le besoin ce fait de plus en plus sentir ? Peut-elle, au prix de quelles transformations, et bien qu’elle apparaisse irréformable, donner un peu de réalité au mythe de « communauté internationale » auquel les peuples voudraient croire ?

Il faut replacer l’institution mondiale et son devenir dans l’histoire pour tenter de répondre à ces questions.

Lucien D’zata

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posté par rwandaises.com