Le président rwandais est à Paris pour sceller la réconciliation entre les deux pays.
Samedi, le président rwandais, Paul Kagame, pose le pied en France. Les débuts d’une visite officielle – la première depuis le génocide de 1994 – qu’il n’est, pour une fois, pas exagéré d’appeler à haut risque. Le point d’orgue devrait être lundi le déjeuner à l’Élysée entre Nicolas Sarkozy et son homologue, un repas censé sceller la réconciliation entre les deux pays. «L’ampleur du contentieux est tel, les enjeux idéologiques sont si forts qu’ils ne seront pas surmontés sur une simple visite», estime André Guichaoua, professeur à Paris-I.
Entre Paris et Kigali, les tensions passionnées sont extrêmes et intactes depuis dix-sept ans et la fin des massacres qui ont entraîné la mort de 800.000 Tutsis et opposants hutus.
Au cœur de la discorde, l’appui apporté dans les années 1990 par les Français au régime de Juvénal Habyarimana lors de la guerre qui l’opposait aux rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame et l’opération «Turquoise». En juin 1994, en plein génocide, des militaires français furent déployés au Rwanda. Paris a toujours affirmé que cette expédition était à visée humanitaire. Mais pour le FPR «Turquoise» n’avait pour but que de «protéger les tueurs». Rapidement, le nouveau pouvoir rwandais accuse la France d’être «complice du génocide» et l’armée française d’avoir pris part directement aux assassinats.
Réactions d’hostilité
La sortie en 1998, du rapport d’une commission parlementaire française, présidée par Paul Quilès, qui assure que Paris n’est «nullement impliqué» dans le génocide, mais retient une certaine responsabilité, due à «une erreur globale de stratégie » et à des «dysfonctionnements institutionnels», ne changera rien. Pas plus que les interventions de la justice ; au contraire.
En 2006, le juge français Jean-Louis Bruguière, au terme d’une enquête pour le moins curieuse, soupçonne le FPR d’être à l’origine du meurtre de Juvénal Habyarimana, crime considéré comme le déclencheur du génocide, et signe neuf mandats d’arrêt contre des proches de Paul Kagame. Le Rwanda rompt alors ses relations diplomatiques avec la France et charge à son tour des personnalités rwandaises de mener des investigations. Cela donnera le rapport Mucyo. Publié en 2008, qui conclut à une implication française dans les crimes de masses en citant nommément vingt militaires et treize personnalités, notamment Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères en 1994. La rupture est totale.
Dans cette aggravation régulière des accusations réciproques, le seul changement majeur est l’élection de Nicolas Sarkozy. Ce dernier a en effet fait de la pacification des relations avec le Rwanda l’une des priorités de sa diplomatie africaine. Il faudra deux ans. Fin 2009, les relations diplomatiques sont rétablies. Trois mois plus tard, Nicolas Sarkozy se rend à Kigali, où il reconnaît, de «graves erreurs» et «une forme d’aveuglement» de la France lors du génocide. Mais sans prononcer d’excuses.
C’est dans ce contexte lourd que Paul Kagame rend la politesse à son homologue français. «Rien n’est vraiment soldé et tout peut donc déraper», concède un diplomate. Les propos acrimonieux échangés ces derniers mois entre Alain Juppé et Paul Kagame le démontrent assez. Mais le ministre des Affaires étrangères français, très opportunément en voyage en Asie les prochains jours, n’aura pas à rencontrer le président rwandais. Contre tous les usages diplomatiques. Dans une autre entorse symbolique au protocole, le chef de l’État rwandais ne se rendra pas au Sénat. Gérard Larcher a refusé de le recevoir arguant d’un «manque de temps». Et toutes les réactions n’ont pas été aussi feutrées. Bien des officiers enragent, plus ou moins discrètement. Le socialiste Paul Quilès voit comme une «ignominie» dans la visite rwandaise tant que le rapport Mucyo n’a pas été retiré.
Malgré tout, le rapprochement entre les deux vieux ennemis n’a rien de très étonnant. Mais plus que de la volonté de pardon affiché, il fait montre d’intérêts bien compris, d’une simple realpolitik. Paris ne peut en effet supporter plus longtemps des accusations de génocide qui entachent durement son image, particulièrement auprès des Africains de l’Est. Quant au régime rwandais, en froid avec ses soutiens traditionnels anglo-saxons, il lui est de plus en plus difficile d’ignorer la France et son influence au sein de l’Union africaine et surtout de l’Union européenne.
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L’image écornée du régime rwandais
Une arrivée à Kigali étonne toujours. Les rues proprettes de la capitale rwandaise, les bétons nets et la circulation fluide dénotent dans la région. Tout comme le relatif silence des rues, l’impression de discipline un peu contrainte et l’omniprésence des forces de l’ordre. La capitale rwandaise résume en fait assez bien le Rwanda et son tout-puissant président, Paul Kagame.
Le très grand et très distant chef d’État s’est d’ailleurs longtemps caché derrière une réputation sans nuance. À ceux qui accusaient son régime de dérives autocratiques, brandissant les analyses des ONG de protection des droits de l’homme, il opposait les rapports d’experts et d’organismes internationaux qui louaient sa gestion et sa lutte contre la corruption. Et longtemps l’argument a convaincu. Il est vrai que les prouesses économiques de ce petit pays enclavé, qui était ruiné il y a peu, pouvaient forcer le respect – tout comme son administration précise et méticuleuse. On comprenait aussi la main de fer utilisé par un gouvernement contraint de gérer un État aux lendemains d’un génocide qui a fait 800.000 morts et créé des haines inimaginables. On excusait le jeune Kagame, âgé de 36 ans à peine quand, en 1994, il a pris de facto les rênes de pays. Mais dix-sept ans plus tard, l’image s’est largement craquelée et le président rwandais voit s’accumuler les mauvaises nouvelles.
Déjà, en 2003, la première élection présidentielle s’était soldée par une victoire du candidat Kagame avec 95 % des voix, suscitant des protestations. Sa réélection l’an dernier, avec 93 % des suffrages, a provoqué un véritable malaise. La campagne s’est déroulée dans une atmosphère délétère. La principale opposante, Victoire Ingabire, une Hutue, avait été empêchée de quitter le pays, puis arrêtée. Elle est actuellement jugée pour «complicité de terrorisme».
Manque de liberté politique
«Ce scrutin est le vrai échec du régime», souligne un spécialiste. Les États-Unis, l’un des grands soutiens du Rwanda, se contentent de sèchement «prendre note» du résultat. En juillet dernier, un rapport publié par Africom, le commandement militaire américain pour l’Afrique, s’inquiète du manque de liberté politique qui pourrait pousser certains opposants vers la radicalisation.
Pour Kagame, ces critiques de moins en moins voilées venues de l’extérieur s’ajoutent aux tensions internes. Ces dernières années plusieurs vieux compagnons d’armes, en désaccord sur le partage du pouvoir, ont fait défection. Des figures de premier plan comme l’ancien chef de cabinet de Kagame, Théogène Rudasingwa, l’ex-tête des renseignements militaires, Patrick Karegeya ou le chef d’état-major général, Faustin Kayumba Nyamwasa, viennent de créer un parti d’opposition depuis leur exil.
Face à la menace, le pouvoir rwandais a très vivement réagi. Officiellement certes, l’entourage de Paul Kagame assure traiter par le mépris ces dissidents et assure, sans convaincre, n’être pour rien dans la tentative d’assassinat du général Nyamwasa en Afrique du Sud. Pour l’universitaire André Guichaoua, «Paul Kagame est aujourd’hui sans aucun doute très isolé au sein même du pouvoir, mais aussi à l’extérieur».
Par Tanguy Berthemet
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