Condamné à deux reprises pour génocide par la justice rwandaise, objet d’une procédure ouverte en France en 1995 dans laquelle le CPCR et Survie se sont portés partie civile aux cotés de la FIDH, le docteur Sosthène Munyemana assigne devant le tribunal de grande instance de Bordeaux ceux qui ont publiquement rappelé son passé. Il leur reproche une atteinte à la présomption d’innocence. L’audience a lieu mardi 27 septembre 2011 : en jugeant ceux qui dénoncent la clémence dont bénéficie un homme reconnu coupable de génocide dans son pays, la justice française se laissera-t-elle instrumentaliser ?
Le samedi 30 janvier 2010, des membres du Collectif girondin pour le Rwanda (CGR), excédés par l’inaction de la justice, se mobilisent devant l’hôpital de Villeneuve-sur-Lot où exerce le docteur Munyemana, pour informer la population et mettre la direction de l’hôpital devant ses responsabilités. A la suite de cette action, en se fondant pour l’essentiel sur des propos rapportés dans la presse, Sosthène Munyemana a porté plainte contre l’association Cauri et trois membres du CGR pour non-respect de la présomption d’innocence. Or, en octobre 2008, M. Munyemana a été condamné à la prison à perpétuité pour génocide par les tribunaux gacaca de Butare, au Rwanda. Il serait paradoxal qu’un homme reconnu coupable d’avoir participé au génocide des Tutsi puisse faire taire ceux qui dénoncent l’impunité dont il jouit dans notre pays.
Car même si son extradition vers le Rwanda a été refusée par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Bordeaux le 7 octobre 2010, le mot « innocence » ne fait pas bon ménage avec le nom de celui qu’on désigne comme le « boucher de Tumba ». En témoigne le résumé des faits le concernant établi par la Cour nationale du droit d’asile, qui lui a refusé le statut de réfugié : « l’instruction a également permis de constater que M. Sosthène MUNYEMANA s’est volontairement inscrit dans l’appareil administratif local mis en place durant la période du génocide ; qu’il a pu se mouvoir avec aisance au cœur même de l’action génocidaire notamment lors de son enquête sur l’assassinat d’un ami, d’origine hutu ; qu’il a assumé une pleine autorité sur un local de détention du secteur de Tumba, dans la commune de Ngoma ; qu’ayant volontairement prêté son concours à l’administration organisant les massacres, il a personnellement assumé la responsabilité de la détention de Tutsi qu’il a livrés aux autorités communales dont il ne pouvait ignorer le comportement criminel ; que sa complicité avec les agents de persécutions est illustrée par la bienveillance et les protections dont il a bénéficié de la part des autorités universitaires et préfectorales de l’époque ainsi que des soldats et miliciens qu’il a pu questionner sur le lieu même de leurs crimes sans être inquiété ; qu’enfin, et en contradiction flagrante avec ses déclarations, sa nomination au comité de financement de l’autodéfense civile pour la préfecture de Butare constitue, en soi et au sens récemment rappelé par le Conseil d’Etat dans sa décision Tegera, une raison sérieuse de penser que l’intéressé s’est rendu coupable de crime de génocide et de crime contre l’humanité au sens des stipulations de l’article 1er, F, a de la convention de Genève » (arrêt du 24 janvier 2008).
Si les juridictions administratives se sont donc prononcées sur le cas Munyemana, ce n’est pas encore le cas des juridictions judiciaires. Sosthène Munyemana, médecin à l’hôpital de Butare au moment du génocide, est arrivé en France en septembre 1994. Le Collectif girondin pour le Rwanda a déposé plainte contre lui le 18 octobre 1995, il y aura bientôt seize ans… Déplacée de Bordeaux à Paris en 2001, l’instruction, confiée à Mme Pous, est aujourd’hui relancée. Une condamnation par le tribunal de Bordeaux de prévenus dont la bonne foi ne peut être mise en cause apparaîtrait d’autant plus incompréhensible qu’après avoir été reconnu coupable de génocide au Rwanda, M. Munyemana pourrait bien avoir – enfin – à rendre des comptes à la justice française.
Au-delà de l’affaire Munyemana, ce qui est en cause, c’est la bienveillance dont les autorités françaises ont fait preuve jusqu’à présent à l’égard de Rwandais présents sur notre sol et sur lesquels pèsent les plus graves soupçons d’implication dans le génocide des Tutsi. La France va-t-elle rester longtemps encore ce havre d’impunité ?
Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda et l’association Survie estiment qu’en cas de condamnation la justice contribuerait à dissuader des individus, rescapés ou non à s’exprimer et poursuivre leur travail d’investigation. Le CPCR et Survie demandent aux autorités françaises de donner à la justice les moyens pour enfin juger les présumés génocidaires vivant dans notre pays.
26 septembre 2011 par CPCR, Survie
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