Il n’y a pas d’ethnies au Rwanda, tout au plus, une seule : l’ethnie rwandaise! Telles pourraient être l’opinion et la conclusion des travaux sur le génocide des Batutsi du Rwanda par le professeur d’université, Dominique Franche, géographe et historien. Cet universitaire connaît bien le Rwanda, pour y avoir enseigné et effectué des recherches durant de nombreuses années. Nous avons retrouvé une page très instructive sur ce qu’il entend par la notion même du terme « ethnie ». Rwandaises.com vous propose un extrait du texte de Dominique Franche.

 L’adjectif «ethnique», qui vient du vocabulaire ecclésiastique, signifiait aussi «païen», par opposition à «chrétien», en français comme dans d’autres langues. Et, chez les Grecs, les ethné s’opposaient à la polis, à la Cité. «Ethnie» suppose ainsi son contraire: le groupe qui détient la vérité, celle de l’Eglise ou celle de la Cité. Aux Etats-Unis, les expressions «ethnicgroup » et «ethnicity » sont appliquées aux minorités d’origine non anglo-saxonne et/ou non protestante (Irlandais, Indiens, Noirs, etc.), pas à la communauté «White Anglo-Saxon Protestant» qui détient le pouvoir: seuls les dominés ont une ethnicité, parfois revendiquée aujourd’hui pour résister à la domination WASP.
De même, chez les scientifiques européens, «ethnie» a longtemps été réservé aux peuples sans écriture, aux «primitifs» qu’étudiait l’ethnologie coloniale. Les «ethnies» étaient les populations dont on jugeait qu’elles n’avaient pas atteint un niveau de civilisation suffisant pour être comptées parmi les «nations», vocable réservé aux peuples des races dites «supérieures». Directement ou indirectement, les idées racistes sont associées au mot «ethnie». L’ethnie, c’est l’autre, le sous-développé, l’inférieur: nous avons fait des guerres, ils font des guerres ethniques, car ces gens-là ne sont pas comme nous.
 
Hutu et Tutsi ne sont pas des ethnies. Mais le discours qui parle de «guerre ethnique» au
Rwanda et au Burundi remplit des fonctions sociales importantes, qui permettent de comprendre pourquoi il perdure. D’une part, il offre le mérite d’une apparente simplicité: on croit concevoir aisément le ressort d’une guerre «ethnique», alors que rendre compte de ce qui s’est réellement produit au Rwanda s’avère bien plus difficile. Plus exactement, on réduit le conflit à la prétendue ancestrale haine ethnique, ce qui est une manière de dire que nous ne pouvons pas en comprendre les raisons, puisque nous, les civilisés, ne raisonnons pas en ces termes.
Les solutions qu’il faudrait apporter apparaissent trop compliquées pour nous parce qu’elles ressortissent nécessairement à une autre logique que la nôtre: nous ne pouvons pas comprendre une guerre ethnique, donc nous ne pouvons pas secourir ces populations. C’est à elles-mêmes qu’il revient de résoudre leurs problèmes incompréhensibles. Bonne excuse pour se croiser les bras.
Ce discours réducteur permet aussi de nous rassurer sur notre propre société. À partir du moment où l’on parle de guerre «ethnique», que ce soit à propos du Rwanda ou de la Yougoslavie, on se place dans le cadre d’une altérité essentielle: la sauvagerie de ces conflits paraît ainsi réservée à des populations primitives, tandis que nous, «nations» civilisées, aurions dépassé ce stade depuis longtemps. L’idée que pareilles atrocités seraient impossibles chez nous, parce qu’elles sont le propre de sociétés d’un autre type, nous rend le sommeil plus facile. Et pourtant, l’expression «guerre ethnique» s’appliquerait certainement davantage au conflit franco-allemand de 1914 qu’à la guerre civile rwandaise…

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