Il est loin le temps où un Kagame tendu, sur la défensive, fusillait du regard  ceux qui lui posaient des questions dérangeantes et leur répondait en termes cinglants. Aujourd’hui, alors qu’il se trouve encore au début de son deuxième mandat, le « patron » du Rwanda a depuis longtemps pris de la carrure et face aux journalistes, le combattant d’hier, le polémiste d’autrefois, se révèle un pédagogue : si on ne peut le qualifier d’éloquent, – les grandes envolées lyriques, les formules qui font mouche, ce n’est pas son genre- au moins réussit-il  à être clair, sans hésiter à prendre le temps qu’il faut pour se faire comprendre.

La rencontre avec la presse nationale et internationale répond désormais à un rituel qui semble bien rodé : chaque mois à peu près, les journalistes sont invités à  gagner la salle de conférence du village Urugwiro, où se  trouvent les bureaux de la présidence. Avant de s’installer devant les cartons marqués à leur nom, ils sont soumis à de strictes mesures de sécurité : désormais, les portables ne sont plus autorisés, même pas à la consigne, devant l’entrée.  Les visiteurs doivent les laisser dans leur voiture, s’ils en ont une, ou les abandonner entre les mains d’un ami qui restera à l’extérieur.

Le rituel des questions et réponses est bien rodé,  lorsqu’il est désigné pour poser sa question (une par personne…) chaque journaliste se nomme et aborde le sujet qui lui convient.  Détendu, ne craignant pas les longues explications, le président n’esquive aucune question, qu’il s’agisse de la crise financière internationale et des déboires de Dexia ou de l’importance des biocarburants. S’exprimant comme le patron d’une start up en pleine expansion, le président aime aligner les chiffres du décollage économique, souligner que la croissance se maintient, que le Rwanda est en passe d’être autosuffisant sur le  plan agricole, avec pour  objectif d’atteindre la sécurité alimentaire. A un journaliste qui lui demande pourquoi, au milieu de la partie, il a changé d’équipe, remanié son gouvernement et nommé un nouveau Premier Ministre, Kagame précise, sans fausse pudeur «  ne vous  y trompez pas, le capitaine de l’équipe, c’est moi, et il n’a  toujours pas changé… »

Rentrant de France, où il a rencontré Sarkozy et scellé la normalisation, Kagame confirme que le passé n’est pas oublié, mais seulement mis entre parenthèses « on ne peut rien ajouter à ce qui a été dit auparavant (allusion claire au rapport Mucyo qui accuse des militaires français d’avoir été complices des génocidaires) » Mais le réaliste qu’il est tient à aller de l’avant, car  « on ne peut être prisonnier du passé… »

Lorsqu’un journaliste évoque les propos de Théogène Rudasingwa, ex- secrétaire général du FPR, qui assure qu’il lui aurait fait part de son intention d’abattre l’avion d’Habyarimana, Kagame balaie le sujet avec mépris : « vous la presse, vous aimez parler de rien… Et à force d’être répété, ce rien devient quelque chose et me fait perdre du temps… »Même type de réponse lorsqu’est évoqué le troisième attentat auquel aurait échappé, en Afrique du Sud, le général Kayumba, un ancien compagnon d’armes passé à l’opposition armée : « les relations entre le Rwanda et l’Afrique du Sud sont meilleures, et pas pires » On se réjouit de l’apprendre, sans oublier que Prétoria refuse d’extrader le général félon et apprécie fort mal que ce dernier fasse  l’objet d’attentats sur son territoire…

Lorsqu’il est question de la Libye, Kagame se révèle doué pour la gymnastique intellectuelle : les Libyens ont droit au changement, il est hostile aux chefs d’Etat qui menacent leur peuple et donc l’Otan a agi correctement en aidant les insurgés, même si, en définitive, les raisons réelles de l’intervention étaient sans doute moins limpides…Ce qui lui permet de revenir sur l’un de ses leitmotifs : si les Occidentaux sont allés en Libye, c’est aussi à cause de l’impuissance de l’Organisation de l’Unité africaine.  Le secrétaire de l’UA, attendu à Kigali et qui fut éconduit dans ses tentatives de médiation en Libye appréciera.

Quant au Rwanda, s’il a vendu les participations libyennes dans certaines entreprises, comme l’hôtel Umubano ou les telecoms, c’était en toute légalité…

La Chine, l’embargo américain sur les minerais du Congo,  le fait que le Rwanda a restitué à son voisin 70 tonnes de minerai, qui avaient passé illégalement la frontière, le fait que l’irruption des partenaires asiatiques a donné plus de choix, et donc plus de chances à l’Afrique : Kagame se révèle volontariste, plus panafricaniste que jamais. Qui donc a dit qu’on n’osait pas lui poser des questions qui fâchent ? Une journaliste en tous cas s’y est risquée, lui demandant de confirmer le fait qu’il aurait acheté des actions de la Bralirwa ou d’une banque rwandaise.  Sans se démonter, le président a confirmé, expliquant qu’il voulait donner un exemple et soutenir des entreprises de son pays, précisant que son staff s’était occupé de l’opération, après avoir vérifié s’il n’y avait pas d’obstacle constitutionnel. « Je ne sais pas combien ils ont investi, mais ce n’était pas une mauvaise affaire, heureusement, car si j’étais d’accord pour montrer l’exemple, je ne souhaitais pas perdre d’argent non plus »

Niant que la Chine ait jamais exercé des pressions sur son pays, Kagame, le CEO de la SA Rwanda a retrouvé son humour en rappelant, avec un demi sourire « de toutes façons, avec les années, nous avons appris à gérer les pressions, il y en a eu tellement… » Et de conclure, à bon entendeur «  nous avons nos droits et nos intérêts et nous avons appris à les défendre… » Faut il préciser que cela, tous l’ont compris depuis longtemps ?

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Posté par rwandanews