Notre Jdanov national, Alain Juppé, vient de nous gratifier d’un grand moment de propagande à la tribune de l’Assemblée nationale. Interrogé le 11 octobre par le député Serge Janquin sur l’implication de la France dans le soutien au dictateur camerounais Biya, qui s’est fait reconduire au pouvoir pour la sixième fois dans la parodie d’élection du 9 octobre, Juppé a répondu : « Ce que je peux vous dire, c’est que, selon l’Organisation internationale de la francophonie et le Commonwealth qui ont suivi le déroulement de ces élections, on peut considérer aujourd’hui qu’elles ont eu lieu dans des conditions acceptables. »
Relevons le fait qu’il éprouve le besoin de s’abriter derrière l’OIF, caution docile de toutes les élections truquées en Afrique francophone, dont le degré de crédibilité est égal à zéro. Du reste, même elle s’est contentée jusqu’à présent de déclarer que l’élection s’était déroulée dans le calme, ce qui est bien le moins, étant donné le déploiement de force et l’intimidation qui l’ont accompagnée. Notons le mensonge qui consiste à faire croire à une quelconque unité de vues entre l’OIF et les observateurs du Commonwealth qui, malgré leur complaisance, ont évité le ridicule d’une quelconque bénédiction.
Au contraire, leur communiqué du 12 octobre émet de sérieuses réserves sur Elécam, l’organisme chargé de veiller au bon déroulement du vote, jugé peu crédible, et souligne l’abus des moyens de l’État par le parti au pouvoir, le peu de fiabilité de la liste électorale, l’importance de l’abstention. Toutes remarques évidentes pour les observateurs les plus superficiels. Cependant Juppé prétend devant les députés que « le taux de participation n’est pas encore connu ». Soit le ministre d’État, ministre des Affaires étrangères manque d’informations, soit il veut les dissimuler dans l’attente du mensonge officiel, qui n’a pas tardé : en déclarant un taux de participation de 65 %, la cour suprême du Cameroun a en effet inversé la réalité.
Mais foin des subtilités, ne retenons que le mot « acceptable », qui dit tout de la propagande . Juppé proclame qu’on doit accepter tous les abus patents du pouvoir camerounais, ses trucages grossiers, ses détournements des fonds publics, ses atteintes aux droits des citoyens. Pis, il s’engage personnellement dans la cause du dictateur en enchaînant avec ces mots stupéfiants : « Nous appelons donc la population et la presse camerounaises, ainsi que tous les acteurs politiques du pays, à faire preuve, jusqu’au 24 octobre, date de proclamation des résultats, et au-delà, de modération et d’éviter tout recours à la violence pour faire valoir leurs vues ».
Monsieur Juppé se permet de suspendre la liberté d’expression au Cameroun et d’interdire aux Camerounais tout mouvement de défense de leurs intérêts bafoués. Ils doivent « accepter » de courber l’échine puisque Monsieur Juppé en a décidé ainsi. Cette injonction est sans doute une menace d’intervention pour écraser les contestataires. Mais elle est surtout un aveu de mensonge. Qu’a-t-on en effet à craindre si le vote a été vraiment « acceptable » ?
Suivant la logique toute particulière de la propagande, Juppé s’enorgueillit ensuite d’avoir servi la démocratie en Côte d’Ivoire en noyant dans le sang un contentieux électoral qu’un peu de modération aurait sans doute permis de résoudre en évitant les déchaînements de violence qu’on a vus. Pas de quartier pour ceux qui contestent le choix de Paris au lieu de l’accepter sans discuter. Le même Juppé est allé en Libye exalter la bienheureuse violence qui a permis à la France de « faire valoir ses vues » sur l’idée qu’elle se fait du bonheur des Libyens, y compris par le recours à la pire des barbaries, « acceptable » sans doute elle aussi, en tout cas acceptée avec enthousiasme par les grands défenseurs des droits de l’homme.
À la guerre comme à la guerre
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