Lorsque la route rapide qui mène à l’aéroport traverse le district de Tshangu, le plus peuplé de Kinshasa, le  ciel disparaît, masqué par des dizaines de banderoles tendues d’un poteau à l’autre. Tous les murs sont colonisés par des affiches colorées. Le message est résumé à l’extrême : un visage, un nom, un numero. Ni promesse ni programme, à peine, parfois, le nom ou le logo d’un parti. Pour retrouver nos amis du quartier de PetroCongo, près du fleuve,  il faut quitter l’asphalte, lâcher une voie secondaire qui sera bientôt dotée de caniveaux, et s’engager sur un chemin de terre creusé de flaques profondes comme des étangs, que tout le monde traverse en remontant son pantalon… Entre deux averses, les conversations vont bon train. Même si rares sont les candidats qui se hasardent dans leur quartier, les habitants deTshangu assurent qu’ils détiennent déjà un record du monde, celui des bulletins de vote les plus volumineux : 56 pages, sur lesquelles s’alignent, par ordre alphabétique, 1586 candidats appartenant à 406 partis. Pour quinze sièges à pourvoir. C’est pour cela qu’à la fraîche, les militants de l’Etoile du Sud, une ONG qui multiplie les actions de développement dans le quartier, se livrent à un exercice simple : discuter des mérites de plusieurs candidats et inciter les gens à mémoriser au plus tôt les numéros de leurs préférés, afin, le jour du scrutin,  de ne pas passer trop de temps dans l’isoloir. Avant  l’évaluation politique proprement dite, place à l’humour, et chacun de raconter les mésaventures des ambitieux : « Untel n’a pas les moyens de regagner sa circonscription dans le Bandundu car l’argent n’est pas venu ; telle autre a eu peur de la pluie et annulé sa visite. Tel leader s’est fourvoyé sur une petite liste où on l’a oublié… »

En fait, alors que les élections législatives, couplées aux présidentielles,  doivent renouveler les 500 membres de l’Assemblée, 18000 candidats se sont présentés et d’innombrables listes parallèles sont apparues, censées venir soutenir, en dernière minute, les grandes formations. Dans  le cas de la majorité présidentielle, ce calcul a échoué et à Tshangu on en rit encore : « beaucoup de candidats croyaient que Kabila leur donnerait les moyens de faire campagne, de distribuer T-shirts et cadeaux comme en 2006. Cela ne s’est pas produit : les candidats ont été priés de mener campagne à leurs frais, sur le principe du chacun pour soi… Le président leur a dit : « si vous êtes élu, je récompenserai le travail accompli… »

Aujourd’hui, seuls les anciens députés, qui ont fait des économies, et les plus prévoyants des nouveaux candidats surnagent et ont les moyens de battre campagne.

Il n’empêche que l’afflux de candidats et l’inscription record de 32 millions d’électeurs ont longtemps empêché Elise Muhimuzi de dormir. Cette ancienne militante du Mouvement des femmes dirige désormais d’une main ferme  le département logistique de la Commission électorale indépendante et ce n’est qu’aujourd’hui, à dix jours du scrutin, qu’elle assure dormir tranquille : « ce lundi, comme la loi le prévoit, tous les bulletins de vote auront été distribués à travers le pays et seront gardés par la Monusco à proximité des bureaux de vote. » Vers la fin, cette opération a pris l’allure d’une campagne militaire : « nous avons bénéficié d’une incroyable solidarité africaine : l’Afrique du Sud, l’Ouganda nous ont prêté des avions, l’Angola a mis à notre disposition dix hélicoptères, des bateaux zodiacs, nous avons-nous-mêmes loué six hélicoptères, utilisé les appareils de nos forces aériennes… »La seule production des bulletins de vote avait représenté un casse tête… chinois : «  l’Afrique du Sud avait obtenu le marché, mais ne pouvait rencontrer les délais. Sollicitée durant l’été, l’Allemagne déclina, car c’était le temps des congés. La Chine, elle, releva le défi : six usines ont été mises au travail, jour et nuit, dès septembre. J’ai passé trois semaines là bas, à veiller à ce que, dès le départ, les bulletins soient déjà conditionnés en fonction de leur destination finale…Tout a été acheminé en huit rotations de B747, dans les délais… »

Matata Ponyo, le ministre des Finances, assure, lui, que le Congo, à raison de 340 millions de dollars, a financé 90% du budget de ces élections, sans dépassement budgétaire (le FMI jugera plus tard…). « C’est le prix de notre souveraineté » dit Elise la militante, « le pouvoir ne doit plus se négocier, se partager. C’est au peuple, le souverain primaire, qu’il appartient de décider, même si l’exercice coûte cher… »

Aux confins de Tshangu, les discussions se prolongent tard dans la soirée et chacun assure avoir déjà mémorisé le numéro de son choix, mais le garder secret jusqu’au dernier moment…Les noms de Kabila et de Tshisekedi se croisent, mais on ne nous en dira pas plus…

 

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Posté par rwandanews