Voici un an, Elise Muhimuzi accueillait à Bukavu la Marche Mondiale des femmes et elle conduisait des délégations venues du monde entier à la rencontre de femmes du Sud Kivu victimes d’exactions et de violences multiples. Aujourd’hui, cette militante qui a défendu sur tous les fronts la cause des femmes de son pays a les responsabilités d’un chef d’état major. Au titre de questeur adjoint de la Commission nationale électorale indépendante, elle tient tous les leviers de la direction logistique de la CENI : commandes du matériel, gestion du charroi, acheminement des bulletins et des urnes… Cette semaine, elle s’est rendue presque chaque jour à l’aéroport, surveiller le déchargement des appareils venus de Chine ou d’Afrique du Sud chargés d’urnes ou de bulletins de vote. A dix jours du scrutin, enfin, elle assure qu’elle dort tranquille : « tout sera prêt, acheminé, les 210 territoires du Congo seront approvisionnés, 63 000 bureaux de vote ont été déployés, 69 antennes logistiques fonctionnent dans les onze provinces… »
Pour Elise Muhumuzi, la course contre la montre entre dans sa dernière étape : « comme la loi prévoit que les bulletins de vote ne peuvent être déposés dans les bureaux que deux jours avant la date de l’élection, il faut que d’ici le 25, tout soit positionné dans les provinces…Et la question du serveur central, auquel l’opposition voulait avoir accès, a été réglée, puisque c’est sur place, dans les lieux même du vote, que les bulletins seront dépouillés manuellement et que les résultats seront publiés… »
Comment une femme issue de la société civile s’est elle retrouvée dans une telle position ? Elise n’en revient toujours pas : « alors que la composition de la CENI était pratiquement terminée, l’opposition a soudain exigé que des femmes fassent partie du bureau, une de leur côté, une autre pour la majorité. Comme ils envoyaient une représentante du Kasaï oriental, par souci d’équilibre, j’ai été choisie car je viens du Sud Kivu. » Depuis lors, au sein de la CENI, Elise a mis en pratique les règles de fonctionnement de la société civile : « nous fonctionnons toujours en groupes intégrés, où se retrouvent des Congolais et des membres de la Monusco, le travail est partagé, mais en définitive c’est toujours la CENI qui est responsable. Ces élections sont celles du peuple congolais… » Elise insiste cependant « nous sommes un organe technique, et rien d’autre. Quand on entre ici, on oublie la politique, déjà dans le mouvement des femmes, tel était mon souci… Et aujourd’hui on constate une parfaite entente entre le pasteur Mulunda, qui dirige la CENI et le professeur Jacques Djoli, son vice président, issu du parti de Jean-Pierre Bemba… »
Alors que l’on pouvait s’attendre à l’effervescence, un calme surprenant règne tant au siège central de la CENI que dans les bureaux installés sur le Boulevard du 30 juin, où sont confectionnées les accréditations des observateurs. Les manifestants ont disparu, les policiers sont détendus, les fiches d’identification des témoins sont rangées en petits paquets roses classés par provinces et territoires et le délai d’obtention du sésame a été prolongé d’une semaine: « nous avons décentralisé » explique Elise, « les avions de la Monusco ont distribué 800 tonnes de matériel électoral qui avait déjà été codifié au départ de la Chine, conditionné par palettes en tenant compte de la cartographie du territoire et du nombre d’électeurs, soit 32 millions au total. »
Au début de l’été, Elise a séjourné durant trois semaines en Chine, où elle est retournée plusieurs fois par la suite : « nous avions d’abord souhaité confier l’impression des bulletins de vote à une société congolaise, mais elle n’en avait pas les capacités. Les Sud Africains ont ensuite obtenu le contrat, mais quand ils ont constaté qu’ils ne pourraient pas respecter les délais, ils se sont tournés vers l’Allemagne. En Allemagne, c’étaient les congés payés et les entreprises ont expliqué que les lois sociales les empêchaient de faire tourner les imprimeries 24 heures sur 24. Les Sud Africains se sont alors adressés à la Chine et l’ « usine du monde » a relevé le défi : six usines de Taizou se sont mises au travail, jour et nuit, par équipes, les bulletins sont arrivés en huit rotations de Boeing 747… Il avait fallu abandonner l’hypothèse des bateaux…Là bas, j’ai tout surveillé, les maquettes des bulletins, l’achat et le transport de l’encre indélébile, qui était soumis à des autorisations particulières, j’ai tout révérifié avec les autorités chinoises avant les expéditions… »
Alors qu’en 2006, les Occidentaux avaient été très présents, qu’il s’agisse du financement ou de l’organisation des élections, ce scrutin ci est avant tout l’affaire des Congolais : selon Matata Mponyo, le ministre des Finances, c’est le Congo qui assume 80% du coût des élections, avec, à ce stade, un budget de 240 millions de dollars.
Elise insiste cependant sur la solidarité africaine : « en dernière minute, comme nous avions des problèmes de transport, plusieurs pays africains se sont décidés à nous aider. Le président sud africain Zuma s’est personnellement impliqué pour que des avions nous soient fournis, l’Angola nous a prêté des appareils Illyouchine, une vingtaine d’ hélicoptères, des zodiacs, l’Ouganda nous a soutenus avec des avions, le Congo Brazzaville aussi… En fait, c’est l’Afrique elle-même, et en particulier tous les pays voisins, qui a déjà voté, à sa manière, pour la démocratie au Congo… Notre stabilité, notre enracinement dans la démocratie, c’est devenu l’affaire de tout le continent… »
L’Union européenne contribuant, via un trust fund du Pnud, à hauteur de 202 millions de dollars, on ne peut certainement pas dire que l’Europe se désintéresse des élections congolaises. A Kinshasa, menée par les ambassadeurs des pays membres du Conseil de sécurité plus les représentants de la Belgique, de l’Union africaine, des Nations unies et aussi de la Chine et de la Russie, une démarche a été entreprise auprès de la CENI pour une fois encore réitérer la confiance mise en la CENI mais aussi pour demander que la légalité soit respectée et la violence évitée absolument.
Cependant, les observateurs de l’Union européenne sont moins nombreux (140) et les Belges fort peu représentés, l’effort logistique est moins visible, et jusqu’à présent, le climat était partagé entre une certaine indiff
érence et des doutes à propos de la date et de la régularité du scrutin, relayant les inquiétudes de la diaspora. En dernière minute, la société civile belge et l’AWEPA envoient cependant une forte délégation d’observateurs belges à Kinshasa, qui constateront peut-être sur place le fossé entre les craintes qui s’expriment à l’extérieur et la détermination des Congolais à réussir « leurs » élections.« On aurait voulu nous mener sur la voie de négociations, d’arrangements pour le partage du pouvoir, en différant la date des élections qu’on ne s’y serait pas pris autrement » soupire Elise Muhimuzi, « mais cela, nous n’en voulons plus. Dans ce pays, le souverain primaire, c’est le peuple, c’est lui qui doit décider. Le pouvoir ne se partage pas, il se conquiert dans les urnes. Ce scrutin ci, c’est vraiment celui des Congolais. Et dans cinq ans, vous verrez que la prochaine échéance, ce sera le tour des femmes… »
Posté par rwandanews