QUI A TUE OU NON JUVENAL HABYARIMANA ?
LE JUGE TREVIDIC CONNAIT-IL LA REPONSE ?
par Phil Quin (The East African)
C’est au début de l’année qui s’annonce qu’un juge français, Marc Trévidic, devrait publier le rapport de sonenquête sur les causes de l’accident d’avion qui a emporté la vie de l’ancien président du Rwanda il y a 17 ans, et qui servit de prétexte au génocide de 1994. A Kigali, un climat d’optimisme mesuré prévaut, de voir la fin de la campagne menée par certaines personnalités de la classe politique française pour brouiller les pistes de l’histoire, dans une tentative délibérée de minimiser le rôle de la France dans le génocide, etpire encore, de faire porter aux victimes, essentiellement tutsi, la responsabilité de l’effroyable sort qui s’est abattu sur eux.
Avant même que le million de morts ne soit enseveli, les apologistes et les négationnistes du génocide – sans parler des auteurs eux-mêmes – ont commencé à pencher lourdement en faveur de la thèse pourtant contraire au bon sens, voulant que ce soit le Front Patriotique Rwandais, majoritairement tutsi, qui avait abattu l’avion du président Juvénal Habyarimana en avril 1994. Si cela pouvait être établi, soutiennent certains, la preuve serait faite que les trois mois de massacres qui s’en sont suivi relevaient moins d’actes de génocide prémédités que de la réaction outragée d’un peuple affecté par la mort de son chef.
Pour beaucoup au sein de l’élite militaire et politique française, le FPR constituait la cible idéale capable de dévier l’attention ailleurs que sur leur propre rôle de pourvoyeurs en armes et de conseillers auprès des extrémistes hutu qui ont orchestré le génocide. La théorie du complot pour abattre l’avion devait aussi renforcer l’opinion courante – très avantageuse pour les parties impliquées – voulant que les Africains soient congénitalement enclins à la violence la plus abjecte et que, selon les propres termes de l’ancien président français François Mitterand interrogé au sujet du Rwanda, « dans ces pays-là, un génocide n’est pas très important ».
Les négationnistes du génocide s’étaient trouvé un héros en la personne du prédécesseur de Marc Trévidic, Jean-Louis Bruguière, dont le rapport publié en 2006 sur le crash de l’avion ayant conclu à la responsabilité de l’actuel Président rwandais Paul Kagame, avait conduit à l’inculpation de plusieurs hauts responsables du gouvernement rwandais. Le dit rapport avait alors soulevé un tollé médiatique, sans pouvoir résister au moindre examen contradictoire pour autant.
Bruguière n’a pas examiné le site du crash, il ne s’est même pas rendu au Rwanda. Il a omis de procéder au moindre examen des preuves matérielles disponibles. Il n’a même pas pris la peine de soumettre à interrogatoire les officiels gouvernementaux faisant l’objet de ses accusations à grand spectacle. A la place, le rapport contient une sélection douteuse de témoins oculaires triés sur le volet, dont la plupart se sont rétractés depuis.
La nature désinvolte et fortement politisée des méthodes du juge Bruguière ne se limitent pas à son travail sur le génocide rwandais. Depuis qu’il a repris en main le travail de Bruguière, Trévidic a découvert une tendance inquiétante à la falsification de preuves et à l’ingérence politique dans les dossiers traités par son collègue. Dans un premier cas, Trévidic a révélé comment Bruguière avait occulté une preuve vidéo montrant que c’était l’armée algérienne et non les islamistes radicaux qui étaient responsables de la décapitation de six moines trappistes en 1996. Dans un autre, il est accusé par les familles des 11 victimes françaises ayant péri dans un attentat à la bombe à Karachi, d’avoir maquillé la vérité au profit d’intérêts politiques.
Après avoir examiné le dossier rwandais d’un œil averti, Trévidic a pris la décision de suspendre la mise en accusation du FPR en attendant de parachever son enquête. Son approche méticuleuse dans la recherche de la vérité – fortement appuyée sur des preuves scientifiques et des analyses d’experts indépendants – contrastent admirablement avec le travail peu reluisant de son prédécesseur.
Sans préjuger du contenu de son rapport, les Rwandais semblent rassurés par ce qu’ils voient et entendent sur les méthodes et la réputation de Trévidic. Au mois de juillet, Time Magazine a salué son « honnêteté, sa détermination et son hostilité à l’ingérence politique ». Une combinaison nécessaire de qualités pour toute personne qui défend la vérité contre des forces puissantes pouvant se déployer au service de falsifications éventuelles.
C’est en cela que réside l’importance du juge Trévidic.
Les Rwandais n’ont pas besoin de la justice française pour expliquer ce qui s’est passé en avril 1994, ni pour justifier le chemin parcouru par leur pays depuis cette date. D’autres enquêtes, dont le très complet rapport Mutsinzi, ont déjà renvoyé le rapport Bruguière à sa véritable dimension burlesque.
Cependant, comme le gouvernement rwandais l’a montré en rompant ses relations avec la France en signe de protestation contre l’attaque en boulet de canon du juge Bruguière, il ne saurait rien concéder dès qu’il s’agit de la vérité sur le génocide. (Encore moins, comme cela m’a été garanti, quand il s’agit de pays qui avaient les moyens d’arrêter le bain de sang, mais dont les priorités étaient tout autres à l’époque).
Les contre-vérités qui émaillent le rapport Bruguière ont surtout causé du tort en raison du renfort qu’ils ont apporté aux forces de la négation et de la distortion du génocide, qui à leur tour, voulaient mettre la guérison du Rwanda en péril. En rétablissant la vérité historique, l’enquête du juge Trévidic peut permettre au Rwanda de poursuivre son parcours la tête haute, intrépide sur le chemin de son destin.
Phil Quin est un auteur et analyste de presse basé à Kigali
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