L’esprit des vacances s’est abattu sur le Parlement français. Le 22 décembre, les députés – ou plus précisément la poignée d’élus présents – ont voté un projet de loi qui pénalise la négation du génocide arménien par la Turquie en 1915.

C’est un cadeau pour le gouvernement turc mais aussi pour la communauté arménienne. Recep Tayyip Erdogan ne manquera pas d’utiliser ce projet de loi pour renforcer la vague nationaliste sur laquelle il surfe. Et pour le gouvernement de Nicolas Sarkozy, c’est un geste à l’égard des Arméniens de France dont les votes sont désespérément convoités par la majorité présidentielle.

Le texte doit encore passer de nombreuses étapes avant de devenir une loi. Mais on peut déjà affirmer qu’il a fait moins de mal aux relations franco-turques – qui ne pouvait pas vraiment se détériorer davantage – qu’à notre relation à l’Histoire.

Révision n’est pas négation

Le révisionnisme a une longue histoire en France. Il a aussi un autre nom : négationnisme. L’historien Henry Rousso a définit le terme il y a deux décennies dans son livre « Le syndrome de Vichy ». Alain Finkielkraut l’avait devancé avec son essai « L’avenir d’une négation ». C’était aussi le mot préféré de Pierre Vidal-Naquet, historien de l’Antiquité qui, dans son livre de 1993 « Les assassins de la mémoire », a fait une distinction simple mais cruciale.

Le révisionnisme c’est ce que font les historiens tous les jours – littéralement, étudier et réecrire le passé à la lumière des nouvelles idées et dernières découvertes. Les négationnistes, eux, ne font que nier l’existence de certains événements. Au lieu de réecrire le passé, ils l’effacent.

Selon Vidal-Naquet, le dialogue nécessite une base commune de vérité. Les négationnistes sont aux historiens ce que les pyromanes sont aux pompiers.

Le négationnisme a atteint son paroxysme dans la France de l’après-guerre, au moment où la nation luttait contre l’héritage de Vichy et de la solution finale. Le travail d’une génération d’historiens comme Robert Paxton et Michael Marrus, a permis d’approfondir notre compréhension de la collaboration.

Mais des travaux de « révisionnistes » comme Robert Faurisson et Maurice Bardèche sont apparus. Au lieu de réinterpréter le passé, ils l’ont réinventé. Peut-être n’était-ce pas pure coïncidence si les deux hommes enseignaient la littérature française et non l’histoire. Ils n’étaient pas coutumiers de la méthodologie de la discipline et des preuves matérielles qu’elle exige.

Les historiens deviennent témoins

Il était sans doute inévitable que le débat sur l’Histoire passe des chercheurs aux tribunaux. Une succession de procès, de Paul Touvier à René Bousquet en passant par Maurice Papon (tous accusés de crime contre l’humanité sous l’occupation) a conduit au vote, en 2006, de la loi Gayssot pénalisant la négation de l’Holocauste. Avec elle, les professionnels de l’histoire sont devenus des experts en témoignages judiciaires.

Au procès de Papon, en 1997, plusieurs grands historiens comme Paxton, furent appelés à la barre pour apporter leur connaissance durant l’interrogatoire. A la fin du procès, la frontière entre « jugement de l’Histoire » et jugement d’un accusé s’était brouillée à jamais, ébranlant à la fois la profession de juge et celle d’historien.

Rousso fut l’un des rares a refuser de témoigner, s’inquiétant de la fascination contemporaine pour une lecture « juridique de l’Histoire ». Selon lui, cette lecture sape inexorablement l’intégrité de l’Histoire. Comme il l’écrit dans son livre, « La hantise du passé », la présence de l’historien sur le banc des témoins le force à s’exprimer définitivement sur une chose et une chose seulement : la culpabilité de l’accusé. Quand il s’agit de réfléchir sur la complexité du passé, les tribunaux sont tout aussi intolérants que les négationnistes qu’ils font comparaître.

« L’histoire doit rester une source de débat »

L’ironie est évidente. En voulant protéger l’Histoire des négationnistes qui cherchent à la détruire, on l’a livrée aux politiciens. Mais en la codifiant, les politiques tentent de la soustraire du débat public. La loi qui « gêle » un événement historique empêche les historiens de faire leur travail. « L’histoire est avant tout une source de débat et doit le rester dans une démocratie » écrit l’historien Christian Delporte.

Il ne fait aucun doute que si Vidal-Naquet était toujours en vie (il est mort en 2006), il aurait été outré par cette nouvelle loi. Né dans une famille de Juifs sépharades, comme Nora, Vidal-Naquet avait signé une pétition peu avant sa mort pour demander l’abrogation de la loi Gayssot.

Dix-sept grand historiens français (dont Nora) l’ont suivi. Alors que le gouvernement français est occupé à jouer avec l’histoire à des fins politiques, il serait bon de rappeler la conclusion de cette pétition :

« Dans une société libre, il n’appartient ni au Parlement ni aux juges de définir la vérité historique. »

http://www.rue89.com/2012/01/01/lhistoire-une-source-de-debat-indispensable-la-democratie-227954

Posté par rwandanews